Datas et IA : comment Docaposte veut devenir l’un des "big 5" de la transformation numérique

Après avoir été l’un des principaux moteurs de la mutation numérique de La Poste, sa filiale francilienne Docaposte compte bien damer le pion aux grands cabinets privés et devenir l’un des acteurs majeurs de la transformation numérique. Après avoir musclé ses expertises à travers plusieurs acquisitions au cours des dernières années (dont deux en Auvergne Rhône-Alpes avec Probayes et Heva, dont le rachat vient d'être annoncé ce mercredi), Docaposte a constitué un pôle de data et d’IA de 400 collaborateurs. Avec désormais, quatre verticales en vue et un acteur public qui compte bien se positionner parmi « les big 5 » en défendant un positionnement basé sur une IA plus « éthique ».
C'est à Guillaume Leboucher, un entrepreneur issu du numérique depuis 20 ans et fondateur d'Openvalue, que le groupe postal a choisi de confier la direction de son nouveau pôle IA et datas, qui regroupe 400 experts mais aussi les compétences de ses trois filiales dont sa chef de file installée en Isère, Probayes. Avec l'ambition de rivaliser avec les grands cabinets de conseil du secteur.
C'est à Guillaume Leboucher, un entrepreneur issu du numérique depuis 20 ans et fondateur d'Openvalue, que le groupe postal a choisi de confier la direction de son nouveau pôle IA et datas, qui regroupe 400 experts mais aussi les compétences de ses trois filiales dont sa "chef de file" installée en Isère, Probayes. Avec l'ambition de rivaliser avec les grands cabinets de conseil du secteur. (Crédits : DR)

Sa création semble déjà loin, de même que ses missions initiales : la filiale de la Poste, Docapost, avait été fondée en 2007, à l'origine pour assurer le traitement documentaire du groupe... Mais depuis, la digitalisation de l'économie et la crise sanitaire sont passées par là, renforçant et réorientant à mesure les ambitions du groupe.

L'arrivée du nouveau pdg de Docaposte, Olivier Vallet en 2017 s'était d'ailleurs soldée par un passage de 400 à 750 millions d'euros de chiffre d'affaires à l'échelle du groupe, qui emploie désormais 6.400 salariés, et surtout, par le choix de faire de cette filiale du groupe postal un « acteur de confiance » dans le numérique. Un acteur amené finalement à muscler fortement ses compétences dans les champs, alors émergeant, de l'IA et des datas.

 « L'idée étant de dire que nous ne sommes pas simplement un acteur reconnu dans le courrier ou le colis, mais aussi un acteur de big tech », affirme Guillaume Leboucher, le coordinateur du nouveau pôle IA et data de Docaposte. L'un des exemples les plus parlant est peut-être sa collaboration, engagée depuis plusieurs années par le biais de sa pépite iséroise Probayes, avec des constructeurs comme PSA et Toyota dans le domaine des voitures et navettes autonomes.

« Nous travaillons déjà, grâce à l'intelligence artificielle, sur le sujet de la perception, afin de voir comment s'assurer de ne pas rater des piétons, véhicules, et donc de s'approcher du risque zéro, mais aussi sur le sujet de l'anticipation du comportement des usagers sur la route afin d'être capables, en observant un véhicule quelques secondes, de dire quelle est la probabilité qu'il changer de voie dans les secondes suivantes ou d'anticiper les comportements humains », explique Kamel Mekhnacha, directeur général de Probayes.

Cette voie est d'ailleurs passée par celle de la croissance externe : avec une amorce dès 2016 avec le rachat de Probayes, qui développait depuis le début des années 2000 des solutions sur mesure d'IA (machine learning et deep learning) et constitue aujourd'hui le socle de ses compétences en IA. Puis en 2019, avec l'arrivée dans le giron du groupe postal de l'ESN francilienne Softeam spécialisée dans le secteur banque-assurance, puis du cabinet de conseil parisien Openvalue et de ses 120 consultants spécialisés en data et intelligence artificielle en 2021.

Et désormais, Docaposte vient d'ajouter une autre corde à son arc avec l'annonce du rachat, ce mercredi, cabinet lyonnais Heva (35 salariés, 3,6 millions d'euros de chiffre d'affaires en 2021), qui lui permettrait ainsi de « renforcer sa position dans l'analyse des données de santé à des fins de recherche ».

« Le secteur des données de santé était déjà l'un des grands métiers de Docapost », notamment depuis « l'acquisition d'InAdvans, éditeur de solutions dématérialisées pour la recherche clinique et le lancement du consortium Agoria santé en 2020 », précise le groupe, et ce bureau d'études, qui se pose comme un leader français dans ce domaine, avec notamment l'évaluation en vie réelle à partir de bases de données telles que le Système National des Données de Santé (SNDS), va y contribuer également.

Se positionner comme un acteur sur toute une chaîne de valeur

Mais pour l'heure, c'est à l'IA et aux datas que Docaposte affectera plus précisément un pôle dédié chargé d'alimenter sa stratégie.

Et c'est à Guillaume Leboucher, un entrepreneur issu du numérique depuis 20 ans et fondateur d'Openvalue, que le groupe a choisi de confier la direction. Sa mission ? Structurer désormais ce nouveau pôle IA et datas, en associant notamment les compétences de ses trois filiales, afin de créer désormais un véritable « pôle d'expertises et de compétences », capable, entre les lignes, de rivaliser avec les plus grands cabinets de conseils privés comme Accenture, que La Poste surveille désormais.

Pour ce faire, le groupe pourra ainsi compter, à travers cette réunion, sur « l'une des offres les plus complètes du marché, sur toute la chaîne de valeur des projets de la data et de d'IA », puisqu'elle associe notamment « des compétences en design et architecture de la solution globale, transformation des données pour les adapter aux algorithmes d'IA et création des interfaces utilisateurs ».

Pas de changement de société ou de statut à l'horizon toutefois, puisque cette création se traduira en premier lieu par la mise en commun d'équipes et de projets, mais aussi des compétences, qui couvriront désormais sur l'ensemble de la chaîne du numérique.

Côté budget, il faudra cependant repasser pour connaître les lignes affectées à la R&D : tout juste glisse-t-on qu'il « faudra investir encore plus », évoque Guillaume Leboucher, en référence aux efforts titanesques déjà consentis par d'autres pays comme les Etats-Unis en matière d'IA.

Avec désormais, une feuille de route qui se dessine cependant avec quatre axes précis : travailler sur l'intelligence artificielle, à savoir le machine learning, le deep learning, le traitement du langage naturel (NLP) et la computer vision. De là à suggérer que Docaposte se voit désormais comme une « pépite technologique », il n'y qu'un pas, que franchit le groupe.

L'ouverture au marché des PME et ETI

« Le monde du numérique est devenu incontournable, mais c'est aussi un monde qui a besoin de rassurer. C'est pourquoi le groupe La Poste, qui bénéficie toujours d'une grande confiance des citoyens, souhaite apporter cette confiance numérique à travers plusieurs métiers historiques, que sont par exemple la signature électronique qui permet de faire certifier un document, la création d'une identité numérique ou encore le traitement de l'archivage électronique de certains documents comme les bulletins de paie des salariés », explique Guillaume Leboucher.

D'ailleurs, après avoir longtemps ciblés les plus grands groupes, Docaposte compte bien sur cette nouvelle page qui s'ouvre pour s'adresser également aux PME et ETI, avec une promesse : « celle de rendre l'IA accessible à tout l'écosystème français ».

« L'idée est de se demander comment, lorsqu'on est face à une entreprise de 40 à 50 personnes, on peut contribuer à ce que les algorithmes puissent l'aider à transformer son business, en permettant à une entreprise de remporter des marchés ou de mieux s'armer en période de crise », reprend Kamel Mekhnacha, directeur général de Probayes qui jouera un rôle central, depuis Grenoble, dans ce nouveau pôle.

De quoi nourrir également l'ambition de Docaposte, qui a déjà annoncé sa volonté de dépasser désormais le milliard d'euros de chiffre d'affaires d'ici à 2023, et même de parvenir à doubler ce chiffre à l'horizon 2030.

« Ce n'est peut-être pas les chiffres de toutes les big tech en termes de croissance, mais réaliser un milliard d'euros sur une entreprise citoyenne, avec les valeurs de La Poste et une ambition de créer cette proximité et de se poser comme un tiers de confiance représente déjà quelque chose », ajoute Guillaume Leboucher.

Entre connaissance-client et performance opérationnelle

Pour cela, Docaposte misera concrètement sur deux grands axes dans les mois à venir : à savoir, en premier lieu, la connaissance-client, et toutes les données qui permettent à une entreprise de mieux connaître son écosystème. « A ce sujet, les algorithmes de connaissance-client ne font que progresser et on peut arriver, tout en respectant effectivement les règlements sur les données personnelles à mieux mieux cerner et donc à en faire un levier sur le chiffre d'affaires », estime le nouveau directeur du pôle IA et datas de Docaposte.

Le second axe de travail de cette nouvelle équipe sera celui de l'amélioration de la performance opérationnelle, « afin d'aider les entreprises à s'appuyer sur l'IA pour améliorer par exemple leurs systèmes de détection des fraudes et des anomalies, qui pourront être applicables dans les industries automobiles ou maritimes. Entre d'autres mots, comment on peut prédire une panne d'une panne, d'une pièce, d'un moteur ? ».

En interne également, l'IA a commencé à « colorer » les opérations du groupe postal : « Nous avons eu la chance de travailler sur un grand nombre de projets stratégiques à l'échelle du groupe, à travers un projet visant par exemple à améliorer la reconnaissance des adresses postales, afin de faciliter le tri du courrier. Depuis, celui-ci a été implanté dans tous les centres de tri du groupe », confirme Kamel Mekhnacha à Probayes. Et selon lui, ce serait même le cas « d'environ un projet sur deux que nous menons dans ce domaine, ce qui est énorme. Il existe une vraie volonté de transformation ».

Et le groupe devrait en profiter pour améliorer encore certains points clés de son offre, en utilisant l'IA pour renforcer notamment la satisfaction-client entourant ses livraisons, une question qui demeure un point noir pour la plupart des transporteurs à l'heure du e-commerce :

« On pourrait concrètement améliorer la vie des gens en livrant des colis avec de meilleures plages horaires, mais aussi en proposant plus de services, en allant aussi chercher plus de colis à travers une organisation différente, ou encore en prédisant mieux les pics d'affluence au sein des bureaux de poste ». Selon Guillaume Leboucher, toutes ces promesses pourraient même se traduire en actes grâce à l'IA « dans les années qui viennent ».

Le défi de l'IA "éthique"

Le tout, en souhaitant capitaliser sur un axe qui s'affiche encore comme loin d'être simple et même souvent controversé, car encore très peu normé : celui de l'IA éthique. Car même si des travaux demeurent en cours à l'échelle européenne à ce sujet, les contours d'une telle notion reste floue.

Docaposte affirme travailler actuellement au développement d'une formation associant des professeurs en éthique, en vue de former ses propres développeurs en interne à évaluer les impacts de leurs choix et de leurs décisions lorsqu'ils bâtissent des algorithmes d'IA.

« Cela suppose de connaître à la fois l'intention de départ, c'est-à-dire ce que l'on veut faire avec un algorithme, mais aussi la capacité que l'on a à expliquer tous les processus à l'oeuvre au niveau des algorithmes », précise Guillaume Leboucher.

« Bien que le public n'ait pas toujours conscience qu'il a affaire avec de l'IA, c'est le cas lorsqu'ils sont sur Youtube, Twitter, et que des cookies leur suggèrent des contenus, c'est en réalité le début du machine learning et du traitement de données, et c'est aussi le début de l'éthique.»

Docaposte nourrit même l'ambition de pouvoir lancer, d'ici le mois de septembre, un comité d'éthique à l'échelle de son nouveau pôle datas et IA, qui pourrait aboutir à des réflexions concernant la création de process et de labels. Objectif : « agir, comme une sorte de norme ISO, pour nommer et définir des critères en matière d'IA éthique. Cela va dans le sens de l'histoire et c'est probablement ce que vont nous promettre les futurs textes réglementaires à ce sujet », estime Guillaume Leboucher.

Docaposte voit également la création de ce nouveau pôle comme une manière d'attirer de nouveaux talents, sur un terrain où la bataille fait déjà rage sur la scène du recrutement : « Nous envisageons de passer de 400 à 800 ressources d'ici 3 à 5 ans, il nous faudra donc recruter massivement. Et bien que l'implantation en Auvergne Rhône-Alpes soit déjà un élément d'attractivité, ce nouveau pôle d'expertise sera lui aussi un atout important pour le faire, puisqu'il nous permet d'offrir aux jeunes talents un équilibre entre des projets de R&D à mener et des projets plus industriels », appuie Kamel Mekhnacha à Probayes.

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