Tourisme : pourquoi Val-d'Isère a fait le pari de l'intelligence artificielle générative

Et si des modèles de langage, inspirés par ChatGPT, servaient aussi à améliorer l'accueil des touristes en stations de ski ? Tel est le pari de la station de Val d'Isère en Savoie, qui a lancé, aux côtés de la startup marseillaise spécialisée dans l'IA Deeplayer AI, un premier robot-assistant chargé de répondre aux interrogations des touristes, à partir de son site internet. Prochaine étape ? L'outil s'apprête désormais à embarquer des fonctions vocales en vue de « parler » directement à ses utilisateurs.
Depuis début janvier, les visiteurs de la station de Val d'Isère ont la possibilité d'échanger avec un agent d'accueil, mais aussi avec un agent conversationnel issu de l'IA générative pour répondre à des questions durant leur séjour.
Depuis début janvier, les visiteurs de la station de Val d'Isère ont la possibilité d'échanger avec un agent d'accueil, mais aussi avec un agent conversationnel issu de l'IA générative pour répondre à des questions durant leur séjour. (Crédits : DR/Val d'Isère)

C'est l'histoire d'un partenariat tech qui commence... sur le réseau X (ex-Twitter). Christophe Lavaut, directeur de l'Office du Tourisme de Val d'Isère, le résume ainsi :

« Tout a démarré au printemps 2023, alors que je suivais le fondateur de la startup Deeplayer AI, Anis Ayari, qui expliquait qu'il maîtrisait la technologie de l'IA mais manquait de cas d'usage... Je lui ai répondu que pour nous, c'était tout le contraire ! »

Car du côté du fondateur de cette jeune pousse marseillaise, tout juste éclose en 2023, l'ambition était de voir comment la nouvelle génération d'agents conversationnels, basés sur de l'intelligence artificielle, pouvait répondre à des besoins concrets.

« On constate bien qu'à l'avenir, les gens veulent passer de moins en moins de temps à rechercher de l'information. Et cela passe par le fait de développer de nouvelles solutions, basées notamment sur les nouvelles générations d'IA conversationnelles qui se nourrissent des données issues de différentes sources, mais qui ont aussi leur propre personnalité », résume à La Tribune Anis Ayari, qui a ainsi décidé de fonder sa propre startup, en parallèle à ses activités de vulgarisateur informatique sur les plateformes Twitch et YouTube.

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Tandis que de l'autre côté des Alpes, la réponse était toute trouvée : pour le directeur de la station savoyarde aux 26.000 lits touristiques et aux 1,5 million de journées skieurs chaque hiver, l'un des enjeux quotidiens restait d'informer le plus précisément possible ses visiteurs, en particulier ceux qui choisissent de séjourner en autonomie, sans bénéficier d'une offre de séjour pré-packagée par les opérateurs de tourisme.

« Notre questionnement était de savoir comment un client peut trouver une information sans devoir lire les 300 pages de notre site web, ou même une brochure papier de 80 pages : que ce soit pour demander les horaires d'un bus ou la quantité de neige qui est tombée ou annoncée ce matin... », abonde Christophe Lavaut.

Un nouvel agent avec qui converser, à l'écrit ou à l'oral

Depuis fin décembre, ces questions ont une toute nouvelle réponse, à travers l'agent conversationnel « Val-e », basé sur l'intelligence artificielle. Plus précisément, grâce au concours d'une technologie qui euphorise la Toile depuis plusieurs mois : l'IA générative, telle qu'on la connaît déjà avec ChatGPT.

En se basant (entre autres) sur les performances de traitement de ce nouveau modèle d'IA, l'OT a ainsi dévoilé un agent conversationnel hébergé directement intégré à son site internet qui, en se nourrissant de plusieurs bases de données (regroupant des informations sur la station liées à l'offre, aux conditions météorologiques, à l'état des pistes, la couverture neigeuse, etc), permet aux clients d'échanger avec un personnage de fiction (appelé Val-e) répondant à l'ensemble de leurs questions.

Un échange qui peut actuellement se faire soit à distance sur un ordinateur, soit au sein des bornes et écrans installés sur place, au sein de l'Office de Tourisme. Et la prochaine étape vient même d'aller un cran plus loin, en proposant désormais d'apporter aussi une réponse « vocale » à ces demandes en 26 langues...

A la recherche d'un interlocuteur plus pertinent qu'un chatbot

La différence technologique se veut néanmoins majeure aux chatbots qui fleurissent sur la Toile depuis les années 2000 : « Autant, le chatbot fonctionnait bien tant que l'on pouvait saisir toutes les questions qu'un client puisse poser. Or, dans le cas de l'IA, celle-ci se nourrit de l'accès que nous lui donnons à un ensemble de bases de données, pour les interpréter et en extraire l'information qu'elle estime la plus appropriée », reprend Christophe Lavaut.

Le fondateur de Deeplayer AI, Anis Ayari, affirme que son approche est complètement « agnostique » en matière d'IA, c'est-à-dire qu'il utilise, dans le cadre de ce qu'il appelle aujourd'hui « l'IA Layerings », différents modèles de fondations en fonction du besoin des clients, « avec une solution conjuguant une IA mère, qui demeure la porte d'entrée, et une IA fille, qui répond aux besoins de l'utilisateur à un instant T ». Celle-ci est ensuite hébergée sur des serveurs de cloud computing, avec un temps de réponse estimé à 2 secondes.

« Il s'agit d'un délai très rapide durant lequel l'IA doit à la fois comprendre une demande des clients qui peut être vocale, faire le lien avec un contexte, si on lui demande la météo de la journée dès le matin par exemple, puis rechercher l'information, l'envoyer et générer une réponse ».

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Si « Val-e » est en phase de tests depuis quelques semaines, le directeur de l'Office de Tourisme de Val d'Isère en tire un premier bilan qu'il estime encore « à consolider », alors qu'habituellement, son site internet comptabilise autour d'un million de pages vues chaque année :

« Les volumes que l'on a pu tester ne sont pas encore significatifs, mais on a retrouvé parfois des petites fautes de français, avec un outil qui pouvait parler de "profondeur" au lieu de parler de "hauteur" par exemple, dans le domaine de la neige. Ou, pour l'aspect vocal, une voix qui converse en espagnol, mais avec un accent anglais... »

Mais ces petits ajustements font sourire le directeur de l'OT, qui y voit surtout une manière de prendre en charge des demandes récurrentes : « Près de 80% du temps, les salariés d'un office de tourisme répondent aux mêmes questions pratiques : où est-ce que l'on peut manger une bonne raclette, à quelle heure part le bus, est-ce que les remontées sont ouvertes, etc. »

Selon lui, une enquête de terrain réalisée au sein de la station en 2018 démontrait que si les clients demeuraient bien informés en amont de leur séjour, l'une des faiblesses du parcours client se trouvait justement lors de leur arrivée sur place, alors qu'ils n'avaient pas toujours accès à un ordinateur.

Des craintes liées à a disparition des emplois

Pour autant, côté RH, l'implantation d'un tel outil ne s'est pas faite sans inquiétudes :

« Je lis moi aussi dans la presse qu'à l'avenir, jusqu'à 60% des emplois pourraient être menacés par l'IA. C'est certainement vrai. Lorsque j'ai annoncé ce projet à nos équipes, leur première réaction a été la peur », reconnaît le directeur de l'Office du tourisme savoyarde.

Mais pour lui, l'objectif affiché n'est pas de remplacer les équipes, comme il le martèle, mais bien d'ajouter des outils complémentaires, « comme cela a pu être le cas lors de l'arrivée d'internet » : « Quand on sait comment fonctionne l'IA, c'est-à-dire en faisant des prédictions par rapport à des statistiques pour apporter la réponse qui semble la plus logique, l'humain n'a aucun soucis à se faire. Son expertise et expérience restera indispensable : l'IA ne peut pas savoir si un coiffeur effectue telle ou telle coupe, ou bien que le boucher ouvrira spécifiquement une heure plus tard demain... »

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Le directeur de l'office du tourisme mise d'ailleurs sur l'arrivée imminente de la fonction vocale de « Val-e » pour lui permettre de « franchir un cap » en matière d'attractivité et d'accessibilité (pour les personnes âgées notamment), mais aussi de « faire la différence » en lui assurant une nouvelle place dans l'éventail du parcours client.

Le temps de l'apprentissage, et ses coûts

Dans un tel projet, deux défis sont toutefois demeurés bien présents : le timing déjà. Car même si le regroupement de l'ensemble des données nécessaires au fonctionnement de Val-e aura pris 15 jours (seulement), il lui aura ensuite fallu 5 mois pour affiner la manière dont se comporte ce nouvel agent. Avec désormais, un outil qui s'avèrerait transférable à un autre cas d'usage en stations de ski « en seulement 30 minutes », selon le fondateur de la startup Deeplayer AI.

« Il est nécessaire de travailler à la fois la manière dont l'outil répond et se comporte face aux utilisateurs, et au devoir d'exhaustivité attendu, lorsqu'on lui demande où manger une bonne raclette par exemple, etc ». Sans oublier bien entendu les enjeux éthiques, afin de s'assurer que les réponses générées par l'IA ne génèrent pas de propos discriminatoires ou violents.

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« La notion d'apprentissage a fait partie du processus, car on a voulu lui apprendre à parler avec une forme de personnalité qui corresponde à l'identité de la station : afin que si demain, le même outil est déployé sur un autre massif, chaque IA conserve sa propre personnalité », ajoute Anis Ayari.

Des critères qui auront nécessité de multiples allers-retours avec la société Deeplayer IA, mais aussi avec les équipes de l'OT, qui ont été chargée de challenger les réponses en interne.

Concernant l'aspect financier, les deux partenaires n'ont pas souhaité communiquer sur une enveloppe précise, mais Christophe Lavaut évoque tout de même « un investissement comparable au développement d'une petite application mobile. »

Ensuite, les coûts de fonctionnement demeureront liés à l'abonnement public proposé par la solution en ligne, en fonction du nombre d'utilisations souhaitées. « Pour l'heure, nous avons déjà la capacité de poser 350.000 questions par an - avec un abonnement équivalent à quelques milliers d'euros par année -, et nous pouvons aller au-dessus en prenant une abonnement supplémentaire », affiche-t-il.

Vers un effet boule de neige sur l'industrie ?

De quoi rendre le modèle plus intéressant que d'autres développements technologiques en vogue, comme celui du métaverse par exemple ? « Nous nous sommes penchés également sur cette piste, mais en se rendant vite compte que les niveaux de financements demandés étaient colossaux par rapport aux cas d'usage visés ».

Après plusieurs mois passés à travailler « en sous-marin », l'assistant Val-e semble déjà faire boule de neige : « Depuis qu'il est sorti, nous avons déjà été contactés par d'autres acteurs intéressés : il peut s'agir de stations de ski, mais aussi d'autres acteurs liés au tourisme, comme les musées », affirme Christophe Lavaut.

En parallèle, la station et son partenaire planchent déjà sur une prochaine étape : celle d'intégrer l'analyse d'éléments visuels afin de pouvoir agrémenter ses réponses avec des plans, cartes, images... « L'idée serait de pouvoir afficher, puis dans un second temps de pouvoir générer des images pour compléter une réponse. C'est aujourd'hui l'histoire de quelques semaines à quelques mois », estime Anis Ayari.

Afin d'accompagner ces développements et de s'attaquer à de nouveaux clients dans le domaine des stations de ski, puis des stations balnéaires voisines de la Côte d'Azur, la startup marseillaise, se prépare d'ailleurs à lever des fonds. Alors qu'elle s'était jusqu'ici fait discrète, Deeplayer AI compte aller chercher près d'un million d'euros auprès de business angels, pour un premier tour de table prévu courant 2024.

(publié le 15/02/2024 à 10:30, mis à jour à 13:59)

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