Gulplug, ce grenoblois qui crée la recharge 100% automatique des véhicules électriques

Enquête (2/5). Deuxième volet de notre série de cinq enquêtes sur le business complexe des bornes de recharge électrique, qui sont publiées chaque jour depuis hier jusqu'à vendredi. La Tribune a sélectionné plusieurs pépites françaises qui dynamisent le marché des bornes. C'est notamment le cas la jeune pousse grenobloise Gulplug. Lauréat de plusieurs concours d’innovation depuis sa création en 2014, la startup n’a pas choisi la voie traditionnelle pour nourrir les besoins de la mobilité électrique. Cette spin-off de Schneider Electric, qui développe des technologies magnétiques innovantes pour ses solutions de recharge, vient de compléter un quatrième tour de table de 1 million d’euros. Objectif: pré-industrialiser son nouveau mode de branchement automatique en collaboration avec des constructeurs automobiles majeurs comme le fabricant de navettes autonomes Navya.
« Avec notre technologie, finie l'appréhension de la panne sèche et la corvée de devoir faire la recharge », affirme le CEO de Gulplug, Henri Trintignac.
« Avec notre technologie, finie l'appréhension de la panne sèche et la corvée de devoir faire la recharge », affirme le CEO de Gulplug, Henri Trintignac. (Crédits : DR)

Proposer un module de recharge pour les véhicules électriques, mais "sans les mains",  automatique donc, et en utilisant une technologie magnétique : tel est le pari de Gulplug. La spin-off du spécialiste des automatismes électriques Schneider Electric n'a pas choisi, en effet, la voie des bornes et chargeurs électriques classiques pour adresser le marché des mobilités propres. Car les deux cofondateurs historiques, Éric Marsan et Xavier Pain, se sont inspirés de technologies magnétiques déjà utilisées par de grands noms de l'électronique, comme Apple et sa prise d'alimentation du MacBook Air, pour réaliser leur projet qui est de faciliter les usages de la vie quotidienne - en pensant notamment, à l'origine, à la recharge des fauteuils roulants pour les personnes à mobilité réduite.

« Il s'agissait d'une idée intéressante pour maintenir à domicile les personnes âgées et leur faciliter la vie, mais nous nous sommes rendus compte que cette innovation était un peu trop chère pour ce marché », explique le nouveau directeur général Henri Trintignac, arrivé aux commandes en 2021 en remplacement d'Éric Marsan.

Il ajoute:

« En parallèle, des besoins se sont fait sentir pour le domaine de l'automobile, et notamment des constructeurs qui réfléchissaient à la manière de proposer des solutions de recharge entrant dans les habitudes des consommateurs. »

Un marché gigantesque

Et là, il s'agit d'un gigantesque marché, celui de la mobilité électrique, avec ses 2 millions de batteries immatriculées dans le monde en 2021, et les 20 à 35 millions de batteries à venir à horizon 2030, selon les dernières projections.

Les cofondateurs de Gulplug ont compris que l'enjeu ne se situera pas uniquement dans la production de ces batteries, mais également dans les systèmes de recharge de ces batteries, une fonction jusqu'ici remplie principalement par des bornes classiques, comprenant câble et pistolet de branchement qu'il faut manipuler à chaque opération de recharge.

C'est pourquoi la jeune pousse a imaginé un branchement magnétique par conduction et automatisé, solution qui a d'ailleurs déjà été validée sur différents véhicules, dont la navette Autonom Shuttle de Navya.

Une base au sol et une technologie embarquée

Son invention, la Selfplug, est composée de deux éléments principaux. D'une part, une base au sol universelle (appelée « ground unit »), qui s'adapte à n'importe quel véhicule et se raccorde au tableau électrique du bâtiment. Et d'autre part, une "unité véhicule" qui équipera l'auto et qui nécessitera des adaptations pour chaque type de véhicule.

Pour autant, ce dispositif ne fonctionne pas par induction, comme on pourrait le supposer, mais toujours avec une connexion par conduction, afin d'assurer le meilleur rendement. Et cela, grâce à un système automatisé et rétractable comprenant un enrouleur automatique qui permet à la prise de s'enclencher avec le module compris dans le véhicule.

"Vieille tradition ferromagnétique grenobloise"

Le cœur de cette technologie, le PAM (Plug-in is Automatic with Magnets!), a d'ailleurs été imaginé en Auvergne Rhône-Alpes par des ingénieurs de Schneider Electric en collaboration avec le CNRS et le G2Elab (le laboratoire grenoblois en énergie électrique, matériaux, procédés et systèmes innovants, modélisation et conception de l'Université Grenoble Alpes). Elle est protégée désormais par six brevets.

« Celle-ci est un héritage d'une vieille tradition ferromagnétique grenobloise, née avec Louis Néel à Grenoble, ce qui explique pourquoi des chercheurs grenoblois ont ensuite travaillé sur ces questions, justifiant ensuite que la startup s'installe ici et non pas dans la Silicon Valley », affirme le DG.

En misant sur la capacité de la prise à se déployer et de brancher au véhicule de manière automatique, Gulplug préfigure ainsi le futur de la recharge qui ne nécessiterait ni action manuelle de la part du conducteur, ni infrastructures « lourdes » contrairement aux actuelles bornes de recharge. Car son ground unit serait au contraire composé uniquement d'un dôme de 50 cm de diamètre et de 6 cm de haut, servant à héberger la prise principale, et pouvant se fixer sur le lieu de stationnement habituel du véhicule.

Cette nouvelle expérience « utilisateur » a également un autre avantage :

« Avec notre technologie, finie l'appréhension de la panne sèche et la corvée de devoir faire la recharge », estime Henri Trintignac, qui estime qu'une charge régulière permettrait également d'augmenter la durabilité d'une batterie.

Gulplug 2

Un marché prêt à s'ouvrir ?

À l'échelle mondiale, Gulplug sait déjà qu'il existe des technologies à induction qui pourraient s'avérer concurrentes, tout en estimant que sa propre solution se veut à la fois « 2 à 3 fois moins chère, tout en proposant un plus haut rendement ». Soit deux critères clés pour une industrialisation massive sur le marché de l'automobile, et qui a également l'avantage de ne pas émettre de radiofréquences (contrairement aux systèmes à induction).

Pour l'heure, le Selfplug offre un niveau de charge rapide et accéléré, sans se positionner encore sur le segment de la charge ultra-rapide. « Notre prise est compatible avec des scénarios de 16 et 32 ampères monophasés et triphasés, allant de 3 à 22 KW/heure ». Bien que son tarif ne soit pas encore officiellement fixé, il se rapprocherait plutôt de 500 à 1.000 euros à l'installation, soit un coût bien inférieur à celui de l'installation des bornes dites classiques.

Sans compter que sa technologie se veut également bidirectionnelle, et permettrait donc, sans modification de conception, de réinjecter également l'énergie produite par la batterie vers le réseau si nécessaire.

« Bien que le marché du branchement automatique sera probablement déclenché en premier lieu par la technologie de l'induction, nous pensons que notre technologie s'avérera complémentaire car elle est particulièrement bien adaptée à un marché de masse. »

Maintenant que la "preuve de concept" de sa solution magnétique par conduction a été validée sur différents véhicules, dont la navette Autonom Shuttle de Navya, Gulplug et ses 10 salariés se préparent à passer à la phase supérieure :

« Le nouveau tour de table de 1 million d'euros que nous venons de mener a pour objectif d'amener la Selfplug à sa version pré-industrielle et de concrétiser un accord avec un constructeur automobile de rang mondial, avec lequel les discussions sont très avancées », glisse Henri Trintignac.

Il rappelle que le montant total levé par la jeune pousse est à présent de 6 millions d'euros, notamment par le biais de la plateforme de financement participatif (crowdfunding) WiSEED. Avec à la clé, une cible d'investisseurs composés des fonds de capital-risque ainsi que des fonds d'investissements d'entreprise, en particulier du secteur automobile, ainsi que d'une portion de financement participatif (500.000 euros). Pour l'heure, les constructeurs automobiles ne sont pas encore investisseurs à ce stade, même si le fonds CVC se pose déjà comme la conjugaison des mondes de l'automobile et de l'énergie.

Une phase d'industrialisation en deux temps

L'objectif de la spin-off de Schneider Electric sera de viser en premier lieu les marchés des voitures autonomes et des drones de livraison dès 2023. « Nous avons déjà commencé à rééquiper une flotte de véhicules de notre technologie, avec l'énergéticien Enedis à Grenoble », glisse Henri Trintignac.

Et ce, avant que son déploiement ne croise la route des constructeurs automobiles, qui lui permettront de s'envoler avec des « centaines de milliers de véhicules à équiper » et nécessiteront un changement d'échelle dès 2024/2025.

« Nous visons un modèle où les constructeurs automobiles pourraient ainsi proposer directement notre technologie comme une option ou un équipement de série à leurs clients, lors de l'achat d'un véhicule électrique, avec un forfait d'installation est un abonnement électrique associé », esquissent les deux dirigeants.

Une enquête consommateurs, menée à l'automne 2020 en partenariat avec l'institut d'études BVA, semble d'ailleurs appuyer leurs ambitions puisqu'elle estime que 52% des utilisateurs actuels (et jusqu'à 71% des futurs acquéreurs) seraient prêts à équiper leur véhicule d'une Selfplug, selon la jeune pousse.

« Notre objectif est de produire 150.000 systèmes automobiles d'ici à cinq ans, et près de 2 millions de systèmes sur la prochaine décennie, en déléguant la fabrication de la partie embarquée dans le véhicule à des équipementiers automobiles dont c'est le métier, afin de nous concentrer sur la partie « ground unit » au sol, qui demeurera une technologie générique », fait valoir le CEO.

De quoi alimenter des projections de chiffre d'affaires à 100 millions d'euros d'ici à 5 ans, avec un chiffre drivé, pour 80%, par des dispositifs intégrés en première monte automobile et qui se veulent universels quel que soit le pays visé (Chine, Japon, Corée, Europe et États-Unis).

Mais avant cela, Gulplug devra encore renforcer son assise financière en levant encore près de 15 millions d'euros. Un montant qu'elle compte trouver « à la fois auprès d'industriels et sous formes d'aides et d'investisseurs ».

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