Urbanisme : Lyon s'inspire de Barcelone pour créer des « super-îlots », limités à la circulation

Fermer des quartiers à la circulation, pour faire naître d'autres usages et améliorer la qualité de vie des habitants : c'est l'essence de la théorie barcelonnaise des « super-îlots » urbains, aussi appelés « superblocks ». Quartiers résidentiels piétonnisés, zones à trafic limité : depuis quelques années, la ville et la métropole de Lyon ont adopté le modèle catalan, non sans risques de gentrification. Exemple dans le nouvel îlot résidentiel Danton, situé à deux pas du quartier d'affaires de la Part-Dieu.
Interdiction des voitures, rues à sens unique, végétalisation, stationnement des vélos : la Ville et la Métropole de Lyon ont pour la première fois expérimenté la théorie des « superblocks » dans la Capitale des Gaules. Et précisément dans l'îlot Danton : le plus résidentiel des quartiers de la Part-Dieu, au sud du 3e arrondissement.
Interdiction des voitures, rues à sens unique, végétalisation, stationnement des vélos : la Ville et la Métropole de Lyon ont pour la première fois expérimenté la théorie des « superblocks » dans la Capitale des Gaules. Et précisément dans l'îlot Danton : le plus résidentiel des quartiers de la Part-Dieu, au sud du 3e arrondissement. (Crédits : ER/La Tribune)

Un ancien rond-point, transformé en place arborée, désormais composée d'une pergola sur laquelle grimpent des végétaux : la place Danton, dans le 3e arrondissement de Lyon, affiche un nouveau visage depuis un peu plus d'un an.

Située au cœur d'un « îlot » résidentiel, elle est devenue l'un des symboles de la mise en application par la ville et la métropole de Lyon de la théorie des « superblocks », initiée par l'architecte et urbaniste catalan Salvador Rueda il y a une dizaine d'années à Barcelone.

Lire aussi Tendance : L'urbanisme temporaire s'ancre dans le temps

Un modèle consistant à créer des « îlots » résidentiels plus ou moins fermés aux véhicules motorisés, à travers un nouvel équilibrage des espaces urbains entre la réduction des voies de circulation d'un côté, et la création de nouveaux types d'aménagements de l'autre : mobiliers urbains, pistes cyclables, plantations, terrasses etc. Vision qui a ensuite essaimé petit à petit dans d'autres villes européennes, dont Lyon.

Quartier Danton Superblocks Lyon

Les deux rues passant devant l'école élémentaire Léon Jouhaux ont été fermées à la circulation automobile : sur l'une d'elles, une piste d'apprentissage du vélo et des blocs de béton ont été installés de manière temporaire.

Une circulation limitée et des enjeux de « méthode » selon le Grand Lyon

Tout a commencé en 2020, lorsque les élus écologistes ont placé dans leur agenda politique la révision du quartier Danton, niché entre les boulevards Vivier-Merle et Garibaldi, à deux pas de l'hôtel de Métropole et de La Part-Dieu, le deuxième quartier d'affaires français après La Défense.

Une zone caractérisée par sa forme « en damier », à l'image de la capitale catalane, mais aussi traversée par de nombreux axes passants à proximité de la gare. Le tout, formant la « poche résidentielle du grand secteur Part-Dieu » explique Pierre Soulard, directeur des infrastructures et de l'exploitation des mobilités du Grand Lyon.

« Travailler dans ce quartier à dominante résidentielle, en bordure d'un quartier d'affaires, paraissait une évidence », défend en effet ce membre du cabinet de l'urbanisme de la métropole.

« Il y avait une vision cible, avec des enjeux d'apaisement du trafic, d'amélioration des chemins piétons, mais aussi d'occupation différente des espaces publics, avec de la végétation, des aires de jeu etc. », retrace le coordinateur du projet.

Pour le mettre en œuvre, les élus écologistes de la Ville et du Grand Lyon ont notamment porté leur regard de l'autre côté des Pyrénées : les deux villes possèdent en effet quelques points communs (des quartiers en « damier » de Cerdà pour l'une, de Morand, dans le quartier des Brotteaux, pour l'autre). Mais surtout, elles s'enrichissent l'une et l'autre de leur retour d'expérience respectif. Notamment en matière de gouvernance des politiques publiques.

Barcelone, berceau des « superilla »

Barcelone a en effet lancé une première application du principe des « superblocks » il y a une dizaine d'années dans l'ancien quartier industriel « @22 », réhabilité dès la fin des années 1990.

Mais « ce fût un échec », retrace Quentin Bardinet, directeur de la valorisation territoriale et des relations internationales de la Métropole de Lyon.

« Ils l'avaient fait uniquement avec un marquage au sol à base de peinture, dans une zone résidentielle, mais pas assez passante. Le projet avait perdu son objectif, tout simplement. Car les superblocks ont surtout du sens des les zones où il y a des conflits d'usage ».

La capitale catalane s'est ainsi tournée vers une nouvelle application dans le quartier Sant Antoni, « plus passant, à la frontière avec le quartier historique, et doté d'un lieu emblématique : son marché alimentaire », ajoute Juliette Cantau, cheffe de projets de coopérations internationales.

Elle a notamment accompagné à Barcelone, fin mars dernier, une délégation lyonnaise emmenée par le président de la Métropole, Bruno Bernard. Deux ans auparavant, Grégory Doucet avait également relancé ces échanges en se déplaçant en Catalogne en novembre 2022. Peu après Fabien Bagnon, vice-président de la Métropole délégué aux mobilités et aux voiries, quelques mois plus tôt.

Consultations, mobiliers éphémères : créer un « modèle lyonnais »

Depuis, Lyon a mis en application ses observations, et aurait même « ajouté et imprimé sa patte », indique également Pierre Soulard. « Lyon peut à son tour inspirer Barcelone sur la trame des quartiers historiques, mais aussi dans la manière dont nous avons mis en œuvre ces projets », ajoute le directeur de l'exploitation des mobilités.

« Là où Barcelone ficelait entièrement le projet, et une fois que tout était défini et concerté, elle l'appliquait. De notre côté, nous construisons plutôt les choses pas à pas, par petites touches, en itération ».

C'est dans ce cadre qu'à partir de 2022, la collectivité lyonnaise a peu à peu restreint la circulation dans le quartier Danton : certaines rues, passant notamment devant l'école élémentaire Léon Jouhaux, ont été piétonisées, tandis que d'autres sont passées à sens unique.

De même, toutes ont été rendues payantes, dans l'idée que « seuls les usages (motorisés ndlr) liés au quartier » puissent rester. Là où, auparavant, des automobilistes se garaient dans les rues pour ensuite se rendre à la gare à pied.

Lire aussi Climat : à Lyon, le plan de végétalisation s'attaque aux îlots de chaleur urbains... jusqu'aux copropriétés

L'ensemble de ces premiers travaux (piétonnisation, aménagements, végétalisation), qui se poursuivent désormais en 2024, représentent à ce jour 2,12 millions d'euros financés par la Métropole et par la Ville.

Pour l'instant, aucune étude statistique n'a été réalisée sur les effets de ces nouvelles installations sur la circulation automobile dans ce quartier d'environ 4 à 5.000 habitants, ni sur les autres types d'usages : évaluation des mobilités, occupation de la place centrale, effets sur les commerçants et les restaurateurs.

La place Danton, dans le 3e arrondissement de Lyon, en mai 2024

La place Danton, circulaire, et sur laquelle se trouvait jusqu'en 2022 un rond-point, a été réhabilitée avec la création d'espaces végétalisés et d'un îlot central avec du mobilier urbain.

« Il s'agissait de trouver un équilibre entre les contraintes - les temps de trajet sont plus longs - et les bénéfices de ces aménagements », retient Pierre Soulard, indiquant par ailleurs que ce modèle a aussi permis de « répondre aux autres besoins » : créer des places vélo, des espaces végétalisés, installer du mobilier urbain.

Lire aussi ZFE : la Métropole de Lyon veut assouplir le calendrier

Autant de sujet abordés lors des deux réunions publiques auxquelles les habitants étaient conviés en novembre et décembre 2021. S'il n'y a pas eu de pétitions, les expressions étaient assez « critiques », relève le directeur des infrastructures de mobilités.

Car « il a fallu se projeter » : certaines installations sont en effet placées de façon éphémère, afin de les « tester » opérationnellement. Ce qui constitue aussi un moyen pour la Métropole d'expérimenter avant de s'engager financièrement.

Par exemple, des blocs de béton ferment aujourd'hui certaines rues, dans l'attente de travaux définitifs. Des marquages au sol permettent également d'agir « sans contrainte pour les services ». Et ainsi pouvoir rétropédaler si nécessaire.

Gare à la gentrification et aux nouveaux conflits d'usages

Car Barcelone commence à observer les premiers effets du revers de la médaille : «Dans les tendances en demi teinte, il y a le fait que les habitats autour se sont très vite gentrifiés », relève en effet Juliette Cantau.

Prix de l'immobilier élevés (4.063 euros le mètre carré en moyenne au premier trimestre 2023 à Barcelone selon le portail Idealista), croissance des logements AirBnb : ce serait « une tendance de fond », à mettre en relation avec les quelque 26 millions de touristes reçus en 2023 à Barcelone et dans sa région, selon l'Observatoire du Tourisme de Barcelone.

Malgré ce risque de gentrification, le Grand Lyon n'a, pour l'heure, pas relevé les indicateurs de prix au sein du quartier Danton. D'autant plus que le contexte immobilier actuel, à l'arrêt, brouille les interprétations.

Tandis qu'en parallèle, une autre difficulté pointe à Barcelone : « Ce que nous avons entendu et lu, c'est qu'aujourd'hui, il y a un nouveau conflit d'usage, entre les vélos et les piétons. La voiture a été mise de côté, sauf pour les résidents. Mais les vélos y auraient vu un lieu de liberté et de vitesse, et la cohabitation serait parfois un peu difficile avec les piétons », ajoute Quentin Bardinet.

Des expériences bien notées par la Métropole de Lyon, qui initie également plusieurs autres transformations : le quartier du cours Charlemagne, près de Confluence (2e arrondissement), mais aussi celui de La Plaine (5e), ou encore la rue des Capucins (1er). Tandis qu'une autre mesure mesure se dessine : la mise en place d'une Zone à trafic limité (ZTL) sur la Presqu'île à partir de janvier 2025.

Mobilités : Lyon veut mettre en place une « Zone à trafic limité » sur la presqu'île

Le projet est peaufiné depuis déjà plusieurs années, et sa concrétisation est annoncée par la Ville de Lyon et la Métropole en janvier 2025 : la Presqu'île, allant de la place des Terreaux à la place Bellecour, par ailleurs inscrite au patrimoine mondiale de l'UNESCO, sera qualifiée en « Zone à trafic limité ».

Concrètement, cela signifie que les véhicules motorisés ne seront plus autorisés pour traverser la presqu'île. Les voies de circulation seront requalifiées en voies piétonnes ou réservées aux riverains, aux commerçants, aux artisans, aux véhicules des secours etc. En parallèle, les voies réservées aux transports en commun seront elles-aussi excentrées : les bus circuleront désormais sur les quais du Rhône et de la Saône, sur l'axe nord/sud. En revanche, « les accès aux parkings publics seront maintenus pour tous », indique le Grand Lyon.

« Dans un centre-ville comme la Presqu'île de Lyon où se croisent chaque jour 545 000 personnes, il est essentiel de pouvoir se déplacer de manière efficace, en sécurité et tranquillité », ajoute la Métropole dans son support de communication distribué aux habitants.

Précisant qu'en 2015, une enquête menée par le Systral relevait déjà « qu'environ 90% des déplacements dans la Presqu'île se font à pied et que 80% des trajets pour rejoindre la Presqu'île se font en transport en commun ou à pied ».

Un projet « compliqué », qui ne fait pas l'unanimité

Une annonce qui n'est pas au goût de tous les habitants. Le « Collectif des défenseurs de Lyon », réunissant sous une même bannière des collectifs de riverains, de commerçants, d'entreprises et des associations, demandent à « stopper la fermeture de Lyon », dénonçant un projet « utopique, excessif et inadapté ».

« Si nous voulons TOUS une ville apaisée, nous refusons cette fermeture totale de l'accès aux voitures et véhicules professionnels. Cela aura pour conséquence progressive d'entraîner la désertification du centre ville, la fermeture des commerces indépendants, de vider le centre de ses habitants, de ceux qui y travaillent, et de tout ce qui fait le charme et la singularité de Lyon », estime le collectif.

De son côté, le Chambre de commerce et d'industrie (CCI) Lyon Saint-Etienne Roanne émet des réserves sur le sujet. Fin mai, son président, Philippe Valentin, indiquait ainsi que « le sujet est particulièrement compliqué ».

« Il y a une volonté politique indiscutable, qui est démocratique et que l'on se doit de respecter. Après, il y a l'écosystème économique. Il faut trouver le meilleur rapport entre l'ambition politique et économique. Donc, déjà, essayer de comprendre ce que cela pourra advenir », complète le président de la CCI, en ajoutant que des études sont en ce moment réalisées auprès des entreprises et des commerçants du secteur.

Déjà, en 2022, la Ville et la Métropole avaient présenté ce projet lors d'une concertation publique à laquelle 6.000 personnes avaient participé. Le Grand Lyon a tiré les enseignements suivants : « 62% des répondants se sont prononcés en faveur de la piétonnisation », et « pour 50 à 60% des répondants, le manque d'espace verts et la pollution sont les principaux problèmes du secteur ».

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaire 0

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

Il n'y a actuellement aucun commentaire concernant cet article.
Soyez le premier à donner votre avis !

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.