Nucléaire  : à Lyon, le Néerlandais Thorizon se rapproche du monde de la chimie pour développer un réacteur à sels fondus

La start-up néerlandaise Thorizon, lauréate de l'appel à projet sur les « réacteurs nucléaires innovants » du programme France 2030 l'année dernière, s'implante actuellement en région lyonnaise pour développer son prototype à sels fondus. Ce réacteur nucléaire de quatrième génération, encore au stade de R&D, entre ainsi dans la course aux petits réacteurs (SMR/AMR) afin de décarboner l'électricité et la chaleur industrielle, mais aussi avancer sur l'accomplissement d'un « rêve » de la filière, à savoir la fermeture du cycle du combustible. Mais encore faut-il livrer des preuves en matière de sûreté, notamment face au risque de corrosion des tuyauteries.
Outre leurs promesses d'être « plus faciles à gérer et potentiellement moins coûteux à mettre en place » que les réacteurs à combustibles solides, ces petits réacteurs dits de « quatrième génération » à sels fondus pourraient vraisemblablement ingérer différents types de combustibles, dont des déchets nucléaires.
Outre leurs promesses d'être « plus faciles à gérer et potentiellement moins coûteux à mettre en place » que les réacteurs à combustibles solides, ces petits réacteurs dits de « quatrième génération » à sels fondus pourraient vraisemblablement ingérer différents types de combustibles, dont des déchets nucléaires. (Crédits : Thorizon Artist-Impression)

Ce serait un réacteur nucléaire de 100 MW, plus « modular » que « small », qui permettrait de répondre en partie aux besoins énergétiques des industriels : le prototype de réacteur à sels fondus de la start-up néerlandaise Thorizon, en cours de développement entre Amsterdam et Lyon, s'ajoute en ce moment à la myriade d'innovations soutenues par le gouvernement dans le secteur nucléaire.

Lauréat en 2023 de l'appel à projets sur les « réacteurs nucléaires innovants » du programme France 2030 dans un consortium avec Orano, pour une subvention de 10 millions d'euros, mais aussi sélectionné pour participer au dernier sommet Choose France, Thorizon inscrit ses recherches dans le champ des « Small Modular Reactor » (SMR) ou des « Advanced Modular Reactor » (AMR) en ce moment développés par plusieurs autres start-up à l'échelle française, européenne et internationale.

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Ces projets ont notamment pour point commun de développer des petits réacteurs dits de « quatrième génération », plus faciles à assembler, un peu moins puissants (Thorizon vise les 100 MW, contre 900 MW pour les plus anciens réacteurs nucléaires en service en France), mais dotés d'un meilleur rendement énergétique.

Cela, afin d'accélérer et de simplifier l'arrivée de ces sources de production d'électricité ou de chaleur notamment auprès des acteurs industriels, en demande d'une énergie décarbonée et peu coûteuse. Tout en franchissant une première étape vers « les réacteurs du futurs » de quatrième génération, espère la filière.

Le réacteur à sels fondus, développé dans les années 1950

Thorizon s'appuie pour cela sur le concept des réacteurs à sels fondus, expérimenté pour la première fois dans les 1950 et 60' aux États-Unis, à Oak Ridge : ce type de réacteur consiste en l'utilisation de sels métalliques en fusion qui servent à la fois de combustible, pour générer l'énergie, mais aussi de fluide caloporteur, pour la transporter.

« C'est un fluide où se passe la réaction de fission, où l'énergie est créée », explique Laure Claquin, nouvelle COO et directrice France de Thorizon depuis janvier dernier après treize années chez Orano, dernièrement en tant que directrice des projets de recyclage des batteries.

« Ce qui est génial avec ces réacteurs à sels fondus (RSF), c'est qu'il y a beaucoup moins de contraintes qu'avec du combustible solide : par exemple, il n'y a pas pression à gérer, contrairement aux réacteurs nucléaires actuels où l'on parle de "fusion", de "cœur" etc. Là, le combustible est déjà fondu, donc il ne peut pas y avoir de fusion », ajoute l'ingénieure, polytechnicienne.

Ce type de réacteur serait donc, sur le papier, « plus facile à gérer et potentiellement moins coûteux à mettre en place », complète Laure Claquin : « Aurait-il besoin d'un dôme de béton par exemple? Globalement, avec les RSF, on pourrait s'éviter ce genre de solutions coûteuses ».

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Ainsi, ces atouts auraient permis aux « sels fondus » d'être retenus, aux côtés de cinq autres technologies (les réacteurs à très haute température, refroidis à l'eau supercritique, au sodium, au plomb et au gaz) par le Forum international Génération IV (GIF) qui s'est déroulé en 2000 à l'initiative du département de l'Énergie des États-Unis.

Cela, dans un contexte de tension sur les matières premières, rappelle également Karine Herviou, directrice générale adjointe en charge du pôle sûreté nucléaire de l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) : « A la fin des années 1990, certaines études prospectives montraient que les ressources en uranium allaient se raréfier. L'idée était d'avoir des surgénérateurs permettant de produire du plutonium afin de compenser la raréfaction des ressources naturelles ».

Encore peu de retour d'expérience

Depuis, la recherche s'est poursuivie, toujours dans le champ théorique. En 2014, l'IRSN a ainsi réalisé une expertise sur les six types de réacteurs retenus par le GIF dans le cadre des recherches sur la quatrième génération.

Pour cela, l'Institut a notamment échangé avec le CNRS, qui avait développé un premier modèle de réacteurs à sels fondus dans le cadre du GIF. « Nous avons par exemple lancé des travaux de R&D, notamment quelques thèses sur le sujet de la neutronique et des risques de criticité », indique Karine Herviou. L'idée étant d'acquérir les connaissances nécessaires à l'expertise de ce type de réacteurs.

« Ceci-dit, tant qu'il n'y avait pas de projets en France, c'était plutôt une veille et un maintien. Aujourd'hui, il faut poursuivre cette montée en compétences pour pouvoir expertiser les réacteurs, comme celui de Thorizon, et se positionner sur leur niveau de sûreté », remarque la directrice générale adjointe de l'IRSN.

Ainsi, l'expertise pointait à l'époque plusieurs contraintes : « Le réacteur à sels fondus possède un potentiel de sûreté intéressant, mais le sel est en revanche très corrosif, explique Karine Herviou. La température de fonctionnement est élevée et nécessite des matériaux différents de ceux qu'on utilise dans les réacteurs actuels ».

« En 2014, il restait encore beaucoup de travaux et de points qui étaient identifiés comme des verrous technologiques ou nécessitant d'acquérir des connaissances. Désormais, il faudrait voir si les différentes start-ups qui promeuvent ces nouveaux réacteurs ont réussi à avancer sur ces questions », ajoute la directrice générale de l'IRSN.

Pointant par ailleurs un « niveau de maturité de ces modèles encore très léger par rapport à d'autres modèles de réacteurs dits de génération IV, par exemple les réacteurs refroidis au sodium ». Une voie notamment examinée en France par le projet de surgénérateur Astrid, abandonné par le CEA en 2019.

Thorizon mise sur des « cartouches » de combustible

Face à ces différents défis, dont celui de la corrosion des tuyauteries, Thorizon travaille depuis 2018 sur une innovation développée par l'ingénieur néerlandais Sander de Groot, depuis brevetée : celle de « cartouches » de sels combustibles, dans lesquelles pourraient se passer la réaction de fission, sans en sortir.

« Un réacteur fonctionne aujourd'hui entre quarante et soixante ans : au lieu de développer des matériaux qui résistent aux sels fondus pendant toute cette période - et aujourd'hui il n'y en a pas - nous développons des cartouches remplaçables tous les cinq ans », dépeint Laure Claquin, directrice des opérations.

Depuis, la start-up, installée à Amsterdam, trace un parcours passant également par la région lyonnaise : après une première levée de fonds en 2022 aux Pays-Bas, puis l'obtention d'une subvention France 2030 de 10 millions d'euros l'année dernière, elle a ouvert début 2024 son deuxième pôle de R&D dans la capitale des Gaules.

Cela, dans l'objectif de poursuivre ses recherches dans un territoire industriel, tout en cherchant un partenaire auralpin dans le domaine de la chimie, auprès duquel elle souhaite développer de premiers prototypes de cartouches non nucléaires dans les prochaines années. Thorizon vise en effet un premier réacteur de série de 100 MW à l'horizon 2032, en France ou aux Pays-Bas.

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Alors que la première boucle de validation (consistant à faire circuler du sel) sera inaugurée dans les tout prochains jours à Amsterdam, la start-up annonce ainsi vouloir aller rapidement « plus loin », en visant « plus grand ».

« Nous voulons désormais faire autre chose que du papier : des tests radioactifs dans certains laboratoires avec le CEA. Mais aussi des prototypes quant à eux non radioactifs. Cela, pour pouvoir qualifier notre concept vis-à-vis des deux autorités de sûreté nucléaire française et néerlandaise : l'ASN et l'ANVS », ajoute la directrice France de Thorizon.

Des discussions ont d'ailleurs été initiées avec chacune d'elles afin de formuler une « joint review » sur le modèle de la start-up Nuward SMR (EDF), indique la jeune entreprise. De même, côté français, de premiers contacts ont eu lieu entre Thorizon et l'IRSN : « mais il nous faut un dossier pour regarder leur projet dans le détail, et faire émerger des points de questionnement », ajoute Karine Herviou pour l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire.

Cela, alors que le contexte réglementaire semble de plus en plus favorable du côté de Bruxelles : une « alliance industrielle pour les petits réacteurs nucléaires modulaires » a ainsi été lancée à la demande de douze Etats en février dernier, afin « d'accélérer », selon la Commission, le déploiement de ces réacteurs dans les années 2030.

En attendant, les innovations fleurissent également à l'international : Canada, Russie, Chine... « Les débouchés intéressent beaucoup d'usages, que ce soit pour des régions qui ne disposent pas d'infrastructures électriques très développées, comme les régions isolées, ou encore pour des besoins de décarbonation directes de l'industrie », ajoute Karine Herviou.

Un pas supplémentaire vers la surgénération ?

Pour l'heure, seule la start-up Jimmy - travaillant quant à elle sur un prototype de réacteur à haute température - a entamé le parcours d'examen de son projet, en déposant sa demande d'autorisation de création (DAC) auprès du ministère de la Transition écologique et de la cohésion des territoires fin avril dernier. Ouvrant ainsi la voie vers l'instruction de son dossier par l'ASN.

De même, une autre strart-up, Naarea, travaille quant à elle sur un autre type de réacteur à sels fondus. Cela, à travers une toute autre approche : à savoir relever le défi de la résistance des matériaux à la corrosion, en développant notamment des infrastructures en carbure de silicium (céramique).

Autant de projets et de recherches qui ouvrent par ailleurs la voie vers la prochaine génération de réacteurs, dont l'un des défis consiste également à « fermer le cycle du combustible ».

Car ces petits réacteurs pourraient vraisemblablement ingérer différents types de combustibles, dont des déchets nucléaires. En France, où la filière de retraitement des combustibles usés, notamment portée par Orano, fait partie intégrante de la stratégie nationale (publique et privée) en matière de nucléaire civil - une dimension réaffirmée par Bruno Le Maire à La Hague (Manche) début mars - de nombreux projets de SMR français flèchent leurs recherches vers cet objectif.

En effet, « certains modèles de réacteurs de génération IV peuvent permettre la transmutation de déchets radioactifs qui vise à réduire l'inventaire des isotopes à vie longue »remarque à nouveau Karine Herviou.

Autrement dit : ces industriels souhaitent tendre vers la conversion de déchets radioactifs en combustibles, produisant in fine d'autres déchets dont la radioactivité aurait une durée de vie plus courte. Une gageure pour certains, une réalité bientôt palpable pour d'autres.

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Commentaires 4
à écrit le 25/05/2024 à 7:51
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Oui à,des nouveaux réacteurs plus 8ntegrer plus,compact et plus durable. Le nucléaire a son avenir devant lui. Et doit se,développer de nouveau. L epr après,un très long de conception et de montage est enfin mis en service. Bravo à edf pour cela.je v...

à écrit le 25/05/2024 à 7:43
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Rien de nouveau supplement pour dire c'est neerlandais nous somme pays technolo.Bla bla petits reacteurs depuis des anées 50s aux sous-maris et portes avions.

à écrit le 24/05/2024 à 21:47
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Oui il faut un dôme de béton ou enceinte car les réactions nucléaires sont en fait acoustiques – il faut une cavité résonante pour les faire fonctionner. Phonon nucleon interaction. Et une enceinte extérieure pour confinement du matériel nucléaire en...

le 25/05/2024 à 20:59
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" les réactions nucléaires sont en fait acoustiques" j'aime bien le son des neutrons qui bombardent les atomes d'uranium (un collègue physicien avait des plaques de paraffine pour freiner les neutrons, du moins certains, il était dans une équipe trav...

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