C'était l'épisode de trop. Le 19 janvier, 700 voyageurs de la ligne Paris-Clermont-Ferrand sont restés bloqués toute la nuit dans leur train, par un froid glacial et sans électricité. La SNCF a même fait appel à La Croix-Rouge. L'Intercité est finalement arrivé en Auvergne avec plus de 7 heures de retard.
En cause : une panne de locomotive. Face à la colère des usagers et des élus du territoire, le ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires, Christophe Béchu, a convoqué vendredi dernier le PDG de la SNCF, Jean-Pierre Farandou, exigeant un « plan d'actions complémentaires à très court terme » pour améliorer le trafic sur la ligne. Il devrait être présenté dans les prochains jours, probablement lors d'un déplacement du ministre dans la région.
Cet incident est loin d'être le premier déboire sur cette ligne. D'autres trajets ont déjà affiché des retards monstres, comme en juin 2023 où relier Paris à Clermont-Ferrand aura nécessité 19 heures, au lieu des 3h30 habituels. Au quotidien aussi, les pannes et les défaillances sont devenues récurrentes et de nombreux trajets se sont vus annulés, comme le montre le suivi hebdomadaire du collectif des usagers du train Clermont-Paris, excédé par la situation.
« Pour la semaine du 22 au 28 janvier, sur les 106 allers-retours entre Paris et Clermont-Ferrand, il y a eu 14 voyages annulés tandis que 23 sont arrivés en retard, avec près de 630 minutes cumulées, soit 10h30 de retard au total. Un tiers des trajets ont donc été perturbés. Et c'est somme toute une semaine assez « classique ». Depuis le mois de novembre, un aller-retour est supprimé chaque jour parce qu'il manque des locomotives en état de marche », détaille Stéphanie Picard, porte-parole du collectif qui compte près de 2.000 membres.
Rames en fin de vie
Le problème est connu. Le matériel roulant est en fin de vie. Les rames ont été mises en circulation entre 1975 et 1982 et les locomotives, peu après. Les infrastructures aussi sont vieillissantes, résultat d'un manque criant d'investissement ces dernières décennies.
« Pendant trente ans, on nous a fait miroiter des perspectives de TGV, cela a justifié pour l'Etat d'abandonner cette ligne et de ne pas investir. C'est en tout cas comme cela que nous le percevons ici. Aujourd'hui, les locomotives sont mortes et on fait du bricolage », souligne Frédéric Aguilera, vice-président en charge des Transports de la Région Auvergne-Rhône-Alpes.
En résulte une absence de fiabilité, tant sur le temps de parcours que sur la qualité de service.
« Nous ne savons jamais si nous aurons du wifi, du chauffage, des toilettes opérationnelles ou un service de restauration. Nous ne prions plus Saint-Christophe, le saint patron des voyageurs, désormais nous implorons Sainte-Rita, l'avocate des causes désespérées », lance à son tour Stéphanie Picard.
Matériel de réserve supplémentaire
Alors les usagers seront-ils entendus cette fois ? Avec les élus, ils attendent des réponses de court terme. Car, certes, l'Etat en tant qu'autorité organisatrice des trains d'équilibre du territoire, a bien lancé un plan massif d'investissement d'un milliard d'euros, mais les effets ne seront pas immédiats. Le plan, qui vise à remettre en état et moderniser les voies, va s'échelonner sur plusieurs années. L'Etat a aussi commandé douze rames baptisées Oxygène.
« Mais il faudra attendre deux ans à trois ans, car, avec les temps de fabrication, la livraison est prévue entre mi-2025 et fin 2026. Il faut donc trouver des solutions pour les trois ans à venir », précise la porte-parole du collectif des usagers du train Clermont-Paris.
Tous les acteurs du terrain redoutent que les problèmes se multiplient, avec des locomotives en réparation ou en maintenance. Ils demandent notamment du matériel roulant de réserve supplémentaire, pour le positionner à mi-parcours afin d'éviter les attentes trop longues lorsqu'un train tombe en panne. Cela leur avait été déjà promis en décembre, lors d'un comité de pilotage qui réunit élus, usagers, filiales de la SNCF et Etat, mais rien n'a encore été fait.
« Il faut que la SNCF mette enfin un plan d'appui et de secours permanent le long du parcours, cela va lui coûter cher, mais c'est le prix qu'elle doit payer pour nous avoir oublié pendant des années. On ne doit plus faire attendre les voyageurs durant des heures », s'indigne Frédéric Aguilera. « Nous ne voulons pas être baladés, il faut qu'à Paris, ils comprennent que c'est un frein au développement de notre territoire. »
Louer des locomotives ?
Positionner des locomotives de secours le long du parcours semble pertinent pour les experts. « Il a plusieurs solutions pour la SNCF, elle peut mobiliser des locomotives de son activité fret et peut-être qu'il en reste aussi du côté des TER régionaux. Sinon, il existe un marché de la location de locomotives sur le secteur du fret, déjà libéralisé. Il n'existe donc pas de blocages techniques, mais c'est à l'Etat de payer la facture », analyse Arnaud Aymé, expert transport au sein du cabinet Sia Partners.
Autre demande : une réorganisation et un renforcement des équipes d'astreinte de la SNCF. Car le 19 janvier, les agents seraient intervenus plus de trois heures après la panne de la locomotive, selon le collectif des usagers.
Trajet de 2h30 réclamé
Mais voyageurs et élus du territoire le savent. Ce plan d'urgence ne répondra pas à toutes leurs attentes. C'est pour cela qu'ils ne comptent pas relâcher la pression. Dans leur ligne de mire, au-delà d'une meilleure fiabilité, ils souhaitent que le temps de parcours entre Clermont et la capitale soit raccourci.
« Nous devons nous rapprocher des 2h30 de trajet (au lieu de 3h30 aujourd'hui, ndlr), ce qui serait décent pour notre territoire. Avec les investissements déjà actés, on ne gagne rien, à peine quelques minutes. Il faut lancer des études dès à présent pour déterminer quels seront les investissements nécessaires à partir de 2027. Nous devons anticiper », exhorte le vice-président chargé des Transports de la Région Auvergne-Rhône-Alpes.
Même son de cloche du côté des voyageurs. « Nous avons lancé une pétition qui a déjà recueilli 12.000 signatures », rapporte Stéphanie Picard. « Derrière cette demande, il y a un enjeu environnemental, mais aussi social et économique. On se bat pour conserver un territoire dynamique ». Contactée, la SNCF n'avait pas répondu à nos sollicitations au moment d'écrire ces lignes.
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