Il est à nouveau arrivé en tête, malgré une très forte abstention. Le maire EELV Eric Piolle avait affiché un score de 46,67 % au lendemain du premier tour des municipales qui se sont tenues en mars dernier, loin devant son adversaire, le divers droite et ancien maire, Alain Carignon (19,80 %). Avec, juste derrière, la députée LREM Émilie Chalas (13,75 %) ainsi que le socialiste, Olivier Noblecourt (13,31 %). Après avoir proposé une coalition avec la France Insoumise en 2014, le candidat à sa propre réélection s'est allié cette année à plusieurs partis écologistes, Génération.s, le PCF ainsi que des organisations grenobloises. Pour autant, le maire écologiste de Grenoble dispose-t-il d'un boulevard pour sa réélection ?
Alors que près de 57,75 % des Grenoblois ont choisi de ne pas aller voter lors d'un premier tour marqué par la crise du Covid-19, Grenoble se prépare déjà à un nouveau mandat pour son maire sortant. Celui-ci semblerait en position de force face à ses trois autres concurrents, qui n'ont, dans l'entre-deux tour, conclu aucune alliance susceptible de le renverser.
Pour autant, le maire écologiste pourra-t-il s'appuyer sur son bilan pour convaincre ? Et peut-il plus largement se porter comme un modèle à l'échelle de l'Hexagone, en vue de "d'accompagner les transitions à venir", comme le propose son programme ?
Il y a quelques jours, Eric Piolle, qui déclinait encore les interviews sous prétexte qu'il n'était "pas encore entré en campagne", a tout de même réalisé un saut de puce à Marseille, en vue de soutenir la candidate Michèle Rubirola et le printemps marseillais.
Un épisode où il avait même eu l'occasion d'évoquer lui-même son propre bilan :
"La droite marseillaise panique, nous avons eu ce même phénomène à Grenoble avant notre première élection et, six ans après, nous avons connu un véritable plébiscite", rapportait, sur place, un journal local.
Pour autant, le second tour n'est pas encore bouclé.
Une délinquance grimpante
Bien que certaines annonces, comme la désignation de Grenoble comme candidate au titre de Capitale verte européenne en 2022, laissent présager d'une belle reconnaissance du territoire grenoblois à une échelle plus large, le maire écologiste fait encore face à des enjeux de taille sur le terrain. A commencer par l'image de la ville, souvent associée à des problèmes d'attractivité en raison de sa pollution mais aussi de son insécurité.
Si le ministère de l'Intérieur refuse de communiquer les chiffres de la délinquance sur ce territoire depuis 2014, le Procureur de la République de l'Isère, Jean-Yves Coquillat, avait livré en 2018 une poignée de données confirmant une augmentation du nombre d'atteintes aux personnes ainsi que des actes de vols. Avec, cependant, des chiffres de délinquance qui semblaient demeurer assez "stables", toutes catégories confondues.
Depuis, aucune donnée n'a été communiquée à ce sujet, même si certaines images, comme celle "d'un Chicago français", sont apparues au sein des médias, nourries par des déclarations du syndicat de police Alliance.
"Lorsque l'on parle de Grenoble, la sécurité fait partie des incontournables", concède Véronique Monvoisin, enseignant-chercheur en économie à Grenoble école de Management.
Une raison qu'elle attribue avant tout à l'histoire de la ville, marquée par la présence "de réseaux mafieux qui achètent la paix sociale", et d'une situation géographique qui place Grenoble au cœur d'une zone d'échanges, aux portes des stations de sports d'hiver des Alpes, de l'Italie et de la Suisse.
Quant à déterminer si la question serait renforcée par les mesures prises au cours du mandat actuel, comme certains des opposants du maire le dénoncent, "il s'agit avant tout d'une question de lecture politique", glisse Véronique Monvoisin.
La pollution comme alliée ?
Sur le terrain de la pollution également, la capitale des Alpes, entourée par ses quatre massifs (Chartreuse, Belledonne, Vercors et Oisans), se bat depuis plusieurs années pour réduire ses taux de pollution. Avec des mesures fortes prônant la baisse de la place des véhicules thermiques et le développement de modes de transports doux (pistes cyclables, transports en communs, etc).
Mais sur le plan des résultats, les données sont plus nuancées : classée comme la 5e ville la plus embouteillée de France, Grenoble avait en même temps été érigée au rang de seconde agglomération française (derrière Paris) pour sa lutte contre la pollution de l'air, émise par le trafic routier.
Et selon les derniers chiffres de l'Observatoire Atmo Auvergne-Rhône-Alpes, publiés en juin, on observerait même "une diminution sur plusieurs années, davantage marquée sur l'agglomération grenobloise que sur d'autres territoires. Et ce, malgré une relative stagnation des oxydes d'azote entre 2018 et 2019 sur l'ensemble de la région".
Reste, pour certains, un doute sur la nature du message véhiculé par les élus de la majorité :
"Avoir une démarche écologique peut être une très bonne chose, mais il ne faut pas non plus faire croire que Grenoble soit la ville la plus polluée au monde. Il faudrait plutôt jouer positif et corriger les insuffisances", estime l'une de nos sources.
Une question qui suscite néanmoins le débat, puisqu'un collectif d'unions de quartiers et de commerçants (Grenoble à cœur), opposé au projet Cœur de ville Cœur de métropole, a même appelé la ville et la métropole à "ne pas se tromper d'ennemi", brandissant notamment le rôle du chauffage urbain en matière de pollution.
Un sujet sur lequel surfent déjà les concurrents du maire écologiste, à commencer par la députée LREM Emilie Chalas, dont le programme prévoit, entre autres, l'abandon du programme CVCM qui a réduit la place de la voiture en ville, pour se concentrer sur la celle des particules rejetées par le chauffage au bois.
"La question n'est pas d'être pour ou contre la voiture, mais de penser des dispositifs efficaces comme le renforcement des transports en commun", estime la candidate.
Le monde économique dans l'attente
D'autant plus que certaines mesures (dont le changement du plan de circulation du centre-ville, la piétonnisation croissante, l'essor des zones à 30 km/h et la création d'une grande zone à faibles émissions interdisant l'accès au centre-ville aux véhicules utilitaires les plus polluants), ont encore un goût amer pour le monde économique grenoblois.
Une situation montée en épingle jusqu'à Lyon, où le candidat LR, Étienne Blanc, affirmait début février :
"Quand on regarde la réalité grenobloise, ses positionnements politiques, la fuite des activités économiques, son centre qui dépérit, je n'ai pas envie que Lyon devienne Grenoble".
Et le président de la Fnaim 69, Nicolas Bouscasse, avait même ajouté début avril :
"On peut vraiment devenir un Grenoble bis, et ce sera plus grave pour l'immobilier que le Covid19".
Eric Piolle serait-il devenu un repoussoir aux yeux des patrons isérois ? Lorsqu'on les interroge, tous s'expriment à tâtons.
"Sur la question des gens qui se présentent, nous n'avons pas d'avis. Ce que l'on souhaite au fond, c'est qu'il y ait une plus grande écoute du monde économique pour développer le territoire en collaboration avec les élus", glisse Pierre Streiff, président du Medef 38.
"Il faut installer les choses dans la progressivité : se promener le samedi en ville sans voitures est agréable, mais cela n'est possible que si l'on a permis un stationnement non loin du cœur de ville et à des prix qui ne sont pas exorbitants", rappelle Christian Rouchon, directeur général du Crédit Agricole Sud Rhône-Alpes (CASRA).
Soit autant de références à demi-mots aux mesures prises par l'équipe sortante, au sein de laquelle il n'existe d'ailleurs pas d'adjoint à l'économie.
Christian Hoffmann, président de la Fédération des unions commerciales de Grenoble (Label Ville), estime lui aussi que l'un des dossiers prioritaires demeurera la question du plan de circulation, et appelle à un développement plus large des transports en commun et des parkings-relais.
"Des mesures comme la gratuité des transports le week-end sont attendues et pourraient redonner aux gens le goût de venir en centre-ville. Mais on ne peut pas en même temps fermer tous les accès, il faut laisser une place à la voiture", s'inquiète-t-il.
Une situation à nuancer
Malgré une tendance régulière au "Grenoble bashing", certains tentent de temporiser. "Le territoire grenoblois et métropolitain au sens large parvient néanmoins à progresser, malgré le fait que le temps nous semble parfois long. On constate l'aboutissement d'un certain nombre de grands projets qui sont remarquables", estime Christian Rouchon, qui cite en exemple la livraison de la 5e ligne de tram (en 2014, ndlr), les travaux en perspective de la nouvelle ligne aérienne T1, le projet Giant qui songe désormais à un volet 2, ou encore le renouvellement de l'échangeur du Rondeau et l'élargissement de l'A480.
Au lieu de lancer uniquement des messages négatifs, ce dernier estime qu'il faut mettre davantage en avant les points positifs de la ville, "tels que la qualité de l'enseignement, le caractère innovant d'un écosystème reconnu à l'échelon international, ou encore la présence d'un tissu culturel à promouvoir".
Sans oublier de voir plus large que le périmètre strictement grenoblois : car dans une commune où le maire de la ville-centre ne se trouve pas aux commandes de la métropole, plusieurs compétences, telles que l'économie, le logement ou encore les transports, sont désormais aux mains de Grenoble Alpes Métropole, dont la présidence est actuellement assurée par le socialiste, Christophe Ferrari.
Voir le verre à moitié plein ou à moitié vide... Telle semblerait donc la question que devront se poser les électeurs, qui, à Grenoble comme ailleurs, pourraient bien avoir la tête ailleurs qu'aux élections municipales le 28 juin prochain.
"Qu'importe leur étiquette, ce sont ensuite les hommes qui font la politique. Le plus important étant ce qu'ils ont envie de faire de la ville, sans dogmatisme", résume Pierre Streiff.
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