Les salariés de Renault Trucks adhèrent-ils au sponsoring de l'OL ? A prouver.

Les effets « en interne » de l'investissement sponsoring de Renault Trucks dans l'OL épousent-ils les - supposées - bonnes retombées en terme d'image ? Salariés et direction divergent radicalement.

Ils se prénomment Georges, Stéphane, Bernard, André, René ou Gérard. Certains sont abonnés à l'OL et ne manquent pas un seul match. Réunis au comité d'établissement de Renault Trucks à Vénissieux, ils désapprouvent la politique de sponsoring de leur employeur. « Comment la direction peut-elle justifier de trouver 10 M€ alors que nos demandes d'augmentation de salaire ou d'amélioration des conditions de travail sont lettre morte ? ». Ils déplorent que cette manne « nourrisse » des joueurs multi- millionnaires et irrigue la « machine OL quand des collègues ouvriers crèvent la dalle et partent en retraite avec cent fois moins. J'aimerais bien que les joueurs viennent passer quelques heures sur nos chaînes, qu'ils se rendent compte du fossé entre eux et nous, et qu'ils prennent conscience que l'argent de notre entreprise nous est retiré en leur faveur... ». Une « distance » entre le club et l'entreprise qui n'échappe pas à un membre de la direction : « On peut regretter qu'il n'y ait pas plus grande implication des joueurs dans la vie de l'entreprise ». Et que l'OL TV, programme de télévision à la gloire du club qui émet six heures par semaine, n'ait jamais consacré le « moindre reportage » à son mécène.

 

Ils écartent toute « fierté » de lire le nom de leur employeur sur les maillots - « au contraire, je ne l'achète plus depuis trois ans » précise Stéphane Lecouvey - et assimilent à des raisons plus prosaïques la forte mobilisation des salariés lors des tirages au sort d'attribution des places au stade : « Qui refuserait un billet gratuit quand 20 euros représentent beaucoup pour certains d'entre nous ? On veut simplement nous faire avaler la pilule ». Ils dénoncent les « affiches placardées dans l'usine vantant notre soi-disant cohésion » ou les déclamations claironnées « dans le même sens » par le speaker du stade. « C'est de la propagande ». Alors qu'André Rambaud juge le maillot de l'OL « inapproprié » à l'identité historique de l'entreprise - industrielle, ouvrière - mais « malheureusement » conforme à son nouveau positionnement « purement commercial ».

 

Incompréhension

 

L'indécence innervée par l'économie du football, et le rejet - prononcé par la dizaine de salariés entendus - du soutien de Renault Trucks sont amplifiés par les refus que les sportifs de l'entreprise auraient essuyés lors de sollicitations pour parrainer le tournoi  interne de football ou pour financer le flocage des maillots. « Nous n'avons rien obtenu ». La direction devrait savoir que le sport, ce n'est pas seulement les grands clubs professionnels, c'est aussi les salariés qui évoluent en corpo, les enfants, les amateurs... Est-il donc impossible de nous affecter une infime partie des 10 M€ de subvention à l'OL ? ». Ce  « trésor » aiguise l'amertume. « Vous ne croyez pas que ces millions seraient plus utiles pour financer les loisirs, les sorties, les vacances des salariés, ou pour nos gones ? ».
Reste LA question : l'action de sponsoring est-elle fédératrice parmi les 7000 salariés présents en région ? En l'absence, étonnante, d'étude sur l'impact en interne du sponsoring footballistique - la direction en annonce le lancement, confié à Ipsos, pour l'automne - , difficile d'arbitrer les positions extrêmes de la direction et des salariés réunis. Bernard Grand, délégué syndical CGT, énonce une anecdote « Un jour, les rédacteurs de la revue interne de l'entreprise m'ont questionné en vue d'un article sur le sujet. Quand je leur ai dit mes critiques sur le soutien à l'OL, ils ont été très clairs : « on ne pourra pas retenir votre avis »... ». Les salariés interrogés - la non représentativité du panel oblige à interpréter les réponses avec prudence - estiment de leur côté à « moins de 10% » le nombre de partisans de cette politique de sponsoring « sans pour autant que les 90% restants soient opposés ». Autre unanimité dans l'assistance, l'incarnation « très fric » du club tricotée par les discours de son président « accentue » l'éloignement, au point que les vœux d'identification seraient de plus en plus incertains. 
« Toutefois, nous parvenons à faire abstraction de l'image Aulas et de notre désaccord de la politique de sponsoring pour continuer de supporter le club » reconnaissent ces ouvriers dont la résignation a une double origine : la suprématie de la magie du sport, qui étouffe bien des résistances, et la certitude que « de toute façons, s'ils étaient retirés à l'OL, ces 10 M€ ne nous seraient pas redistribués... ». Ce fatalisme se réveillerait-il si les résultats du club vacillaient ? « Difficile à dire. En tout cas, les gens ne sont pas dupes ». Pas dupes des « motivations réelles de la direction : marteler l'ancrage lyonnais et l'indépendance au moment où des centres de décision et d'investissement quittent peu à peu la région. Ce sponsoring est une façade ».

 

« L'emploi est gagnant »

 

Du côté de la direction, le discours est radicalement différent. On rappelle les objectifs du partenariat - « développer la notoriété en France, démarrer celle en Europe, motiver en interne » -on avance la correspondance entre le club et l'entreprise de leurs valeurs - « esprit d'équipe, sérieux, endurance, rigueur et de gestion » - de leurs histoires - « liées à la ville de Lyon, faites de haut et de bas, bâties progressivement » -, et de leurs stratégies - « être forts à partir de Lyon pour partir conquérir plus loin, en Europe » - , qui permettent d'espérer « développer le sentiment d'appartenance des salariés ». On évoque les « 200 enfants » des employés de Renault Trucks qui ont gagné le droit d'aller s'entraîner avec joueurs de l'OL, les dédicaces de quelques stars réservées aux salariés, le don d'affiches, ou les 100 places du match OL/Bastia distribuées au personnel de gardiennage, de nettoyage, ou de cantine.
On retient que à chaque passage dans la presse du maillot floqué « Renault Trucks » constitue un gain d'image dont les répercussions économiques profitent directement aux salarié : « Chaque point conquis en image se concrétise par des baisses de coûts de production, l'augmentation des marges et des prix de vente, et donc par une consolidation financière et des investissements dont l'emploi est gagnant ». Reste qu'avec honnêteté, ce même interlocuteur reconnaît « qu'il n'est pas possible de connaître la part exacte que le sponsoring de l'OL occupe dans l'évaluation de notre image générale ». A noter que le contenu des articles, notamment dans le quotidien l'Equipe qui ne manque pas une occasion d'épingler qui ne manque pas une occasion d'épingler les raisonnements de Jean-Michel Aulas et donc de présenter une réputation mitigée du club, n'a « aucun impact : ce qui est important pour nous, c'est la lisibilité du maillot. L'image du club ou de son président relatée par les rédactions n'importe pas ».

 

Légitimité partielle ?

 

Quand au sentiment de « fierté » des salariés, la direction reconnaît qu'il est « difficile » de l'évaluer. Elle estime que les « 2 000 » employés qui concourent régulièrement pour gagner les lots de 200 et 50 places réservées à chaque match respectivement de championnat de France et de Coupe d'Europe, « témoignent » de l'adhésion collective. Et que l'utilité de sponsoriser le club semble « de mieux en mieux perçue. Pour preuve, lors du renouvellement du contrat de partenariat, nous n'avons vu aucun tract syndical ». Pas un mot, en revanche, sur le sentiment de « rejet » que les 3500 salariés français « non lyonnais » de Renault Trucks - sur un total en France de 9000 et en Europe de 15000 - pourraient éprouver au soutien de leur employeur à un club qui ne transcende pas au-delà de la ville. « L'image de Jean-Michel Aulas est distincte de celle du club. Or, si l'OL n'est pas très populaire, personne en revanche ne le déteste ».
Pour Frédéric Bolotny, économiste au Centre du droit et de l'économie du sport de l'université de Limoges, l'entreprise sponsor doit « impérativement » être légitime, « autant » auprès des clients que des salariés. En l'occurrence, si l'image externe de Renault Trucks semble avoir pleinement profité, l'agrégation du personnel, elle, n'apparaît pas gagnée.

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