Jean-François Lamour : « Le comportement de M. Aulas m'a choqué »

Le ministre des sports, de la jeunesse, et de la vie associative vilipende les stratégies et les raisonnements qui menacent « l'unité et l'organisation du sport à la française », garantes de ses « valeurs ». En ligne de mire, le président de l'Olympique Lyonnais, Jean-Michel Aulas.

Les vœux de la logique libérale (remise en cause de la répartition des droits TV, de l'obligation de former, réduction de l'influence de l'Etat...) constituent-ils une menace pour les valeurs d'équité, de solidarité, de probité du football ?

 

 

Jean-François Lamour. En Europe, le sport - et notamment le football - s'est bâti sur les principes de mutualisations des moyens, de redistribution, de solidarité, bref sur le concept de « l'unité ». Les fédérations ont pour vocation de maintenir cette unité. C'est le cas du football - avec de grandes difficultés - mais aussi de tous les autres sports, du rugby au tennis. Regardez Roland - Garros : cet évènement génère d'importants flux financiers, qui, grâce à la fédération, profitent à l'ensemble des acteurs de ce sport, jusqu'aux plus petits clubs. Nous devons conserver intact les trois piliers qui « organisent » le sport : le socle associatif, les collectivités locales, et l'Etat au travers du ministère des Sports, de la jeunesse et de la Vie associative. L'état est là pour à la fois impulser, réguler, et veiller au respect de cette organisation.

 


C'est le domaine d'intervention de ce même Etat que les présidents de clubs, parmi lesquels  Jean-Michel Aulas, souhaitent reconsidérer...

 

 

Je n'ai pas très bien compris ce que veut le président de l'Olympique Lyonnais... On a l'impression que cette organisation ne l'atteint pas, ne le sensibilise pas. Je ne l'ai jamais entendu l'évoquer. Or, elle est en réalité, gravée dans la loi. Une réalité qu'on voit quotidiennement sur tous les terrains de France et que je veux d'autant plus préserver en France qu'avant la fin de l'année le sport sera probablement inscrit dans la constitution européenne. L'union européenne pourra alors définir  un cadre général dans le respect duquel chaque pays membre pourra développer son propre modèle d'organisation. Des dossiers aussi sensibles que la lutte contre le dopage pourront être traités de manière plus cohérente. Ce cadre général aidera à déterminer les « valeurs » - sociales, éducatives - que le sport doit porter et qui sont l'essence de la pratique sportive, qu'elle soit amateur ou professionnelle. L'unité du sport, qui refuse la séparation des pratiques amateur et professionnelle, est à ce prix. Maintenir ce cadre constitue l'enjeu des prochaines années. Je ne pense pas qu'il soit la priorité du président de l'OL... Et je vois bien cette tendance, qui appelle à un net isolement entre les mondes amateur et professionnel. Or, outre les dangers qu'elle fait peser sur l'organisation française du sport, cette tendance nie une évidence : les clubs « pro » se nourrissent essentiellement de  la vivacité et de la qualité du terreau associatif amateur...

 


La logique libérale exhorte à «  réduire l'incertitude » et donc le risque sportif. La mécanique boursière renforce ce syndrome. Est-ce une mise en danger immédiate des valeurs sportives ?

 

 

Si je comprends bien cette logique, elle consiste à dire : faisons appel à l'épargne publique, supprimons la notion de « mutualisation des droits », et vous allez voir ça ira beaucoup mieux... C'est le discours non du sport français, mais plutôt celui d'un dirigeant français...

 


Lequel ?

 

 

Celui que vous évoquiez tout à l'heure. Je souhaite plus de moyens, de lisibilité, de transparence, pour nos clubs. Ce débat n'est pas celui de la bourse. Regardez  l'Italie, qui autorise les clubs à entrer en bourse. Le pays en est à essayer de sauver le Calcio et doit recourir à eux décrets ; le premier prône le lissage de la dépréciation salariale non plus sur trois ans mais sur dix, afin d'essayer de sauver le bilan des clubs. Le second consiste à apurer la dette fiscale du club. Tout cela en deux ans, pour tenter de sauver un système d'organisation du football professionnel qui fait office de modèle à celui que l'on voudrait nous imposer en France ? Vous me voyez dans deux ans intervenir devant l'Assemblée Nationale ou le Sénat pour réclamer le même type de mesure que chez nos voisins transalpins ?

 


Cette logique est donc une négation des valeurs fondatrices du sport ?

 

 

Je reprendrai les propos de Guy Roux - entraîneur de l'AJ Auxerre - : «  Au bord du terrain j'ai déjà fort à faire pour maintenir la cohésion entre mes onze gars. Si en plus je dois m'occuper de connaître la valeur de l'action du club et faire courir mes joueurs plus vite au cas où le cours du titre décline...Je ne conçois pas la bourse comme un facteur de progrès pour le sport et en particulier le football ». A l'instar de Michel Platini, je partage très largement cette appréciation. Et les exemples italiens, voire espagnols et anglais me confortent dans ma position, quand bien même je n'ai pas d'opposition idéologique au principe du recours à l'épargne publique.

 


Jean-Michel Aulas a intenté un recours à Bruxelles contre votre refus de l'introduction en bourse. Jusqu'où êtes- vous prêt à agir pour défendre votre position ?

 

 

Quelques-uns, mais ils sont peu nombreux, essaient de balayer d'un revers de main, tout ce qui a été réalisé depuis mai 2002. Rappelez-vous ; à mon arrivée au ministère, la situation du football français était totalement bloquée. Les mondes amateur et professionnel ne se parlaient plus, ne voulaient même plus signer leur convention pluriannuelle ou leur protocole financier. Je me suis totalement investi dans ce chantier et nous avons résolu le problème. Un courrier daté d'octobre 2002 définissait l'évolution souhaitable des structures et des relations entre ces deux mondes au sein de la Fédération Française de Football, et encourageait, par la suite, la mise en place d'une réflexion. O n a fait voter une loi en août 2003 qui permet aux clubs d'être  « copropriétaires » des droits télé, d'être propriétaires de la marque, de disposer de davantage de souplesse au niveau du numéro d'affiliation. J'ai tenu tous mes engagements. Cet « agrément » qui lie le ministère aux monde amateur et professionnel a été remis en cause par quelques présidents de clubs professionnels. J'en ai été très choqué.

 


Le « foot business » oblige à une fréquence de matchs effrénée, à des horaires de jeu inadaptés, à des tournées harassantes mais lucratives... tout cela n'encourage t-il pas le dopage ?

 

 

Non. Le football est l'un des rares sports qui, grâce à son instance dirigeante, le FIFA, a su organiser un calendrier international assez bon. Il maintient des plages de repos entre les championnats nationaux, continentaux, et mondiaux. Ce n'est bien sûr pas parfait, mais par exemple les joueurs qui n'évoluent pas en équipe de France bénéficient d'une longue période de récupération avant de reprendre le championnat national.

 


Tout de même 70 matchs par an pour les joueurs de l'équipe de France, c'est considérable...

 

 

Tony Parker aux Etats-Unis joue bien 80 matchs, et parfois trois par semaine...

 

 

Justement, le sport américain légalise les produits dopants dont certains sont même promus par des stars du base-ball ou du football...

 

 

Donc vous soupçonner Tony Parker de se doper ?

 

 

Il ne s'agit pas de personnaliser l'interrogation...

 

 

Donc vous voyez... On peut considérer qu'au vu de la cadence tout le monde est dopé et qu'il appartient alors au mouvement sportif de dénicher les tricheurs : c'est impossible à gérer. Je ne pense pas que le rythme important des compétitions amène obligatoirement à des pratiques dopantes. Je préfère partir du principe qu'un sportif bien dans sa tête, bien entouré, est capable   d'organiser sa carrière professionnelle de façon équilibrée et n'a aucune raison de se doper ; Ce type de sportif saura résister. S'il est soumis à une pression, par exemple lorsqu'il est fragilisé par une blessure, c'est à nous de lui fournir le soutien humain, psychologique, logistique, qui lui, permettra de résister à la tentation de tricher. Le suivi longitudinal y contribue concrètement.

 


Estimez-vous moral qu'un joueur de football soit « valorisé » des dizaines de millions d'euros, soit le chiffre d'affaires d'une belle PME ou le montant des crédits réclamés pendant plusieurs mois au gouvernement par l'ensemble des chercheurs français ?

 

 

Je peux comprendre que cette situation choque un certain nombre de français, même des passionnés de football. Mais dès lors qu'il existe des flux financiers et des partenaires économiques, il est normal que les sportifs et les clubs professionnels qui ont investi dans la formation et les transferts bénéficient de cette manne.

 


Ligue fermée, contestation de la suprématie des équipes nationales... Les positions du « G14 » vous préoccupent-elles ?

 

 

On risque de venir à la ligue fermée. Même si elles ont avorté, les tentatives de Médiapartners dans le football ou de Telefonica dans le basket-ball confirment la tendance et le franchissement des premiers paliers. Cette volonté, cette priorité même transparaissent dans les propos tenus par le « G14 ». Si l'UEFA se manifeste peu, en revanche la FIFA martèle sa totale opposition. Il sera intéressant de voir comment le « G14 » va évoluer avec l'ouverture de l'Union européenne aux pays de l'est. Ces derniers vont vouloir rattraper leur retard au plus vite, ce qui nécessitera d'autant plus d'attention et de régulation au niveau des instances européennes et au sein même de l'Union. Le problème est que nous ne disposons pas encore d'un conseil des ministres des sports européen. Quant à la remise en cause de mise à disposition des sportifs en équipe de France, c'est une question essentielle que les responsables politiques auront à régler : de l'équipe de France et des clubs professionnels qui mettent à sa disposition leurs joueurs, qui est prioritaire ?
Je peux comprendre la préoccupation des clubs. Mais à mes yeux, il n'existe pas d'autre priorité que l'équipe de France. Même si je concède qu'il faut établir des « conditions » à ces mises à disposition. Elles feront d'ailleurs l'objet de négociations entre les partenaires sociaux dans un cadre conventionnel. Si la fédération et la Ligue trouvent un accord, tant mieux. Mais on doit préserver l'intérêt supérieur de l'équipe nationale. On ne peut pas renouveler l'erreur de 2002, qui vit les joueurs être mis à disposition de l'équipe de France quinze jours avant le Mondial. Tout cela parce que les relations entre la Ligue et la Fédération n'étaient pas au mieux.

 


Jean-Michel Aulas stigmatise régulièrement l'iniquité fiscale dont l'AS Monaco profite. Quelle est votre position ?

 

 

C'est un mauvais procès intenté aux joueurs et à l'excellent entraîneur Didier Deschamps. Il s'agit d'un épiphénomène, qui fait partie des crispations conjoncturelles de certains présidents de club. Il confirme toutefois la grande utilité qu'aurait une DNCG européenne. Nous l'attendons avec impatience, car elle serait à même de définir les règles d'équité, de mettre en cohérence les comptes de tous les clubs européens, et d'assurer que les flux financiers ne sont pas artificiels.

 


Par quelles actions comptez-vous faire régresser la violence dans les stades ?

 

 

Nous travaillons avec les services déconcentrés du ministère. Nous insistons sur les valeurs éducatives et sociales du sport, c'est-à-dire le respect, de l'éducateur à l'arbitre. 
On a créé des sections de jeunes arbitres, considérés comme de vrais athlètes de haut niveau qui en  partagent d'ailleurs les avantages, les entraînements. Pour autant, nous n'éviteront pas des actes de violence, lesquels, il faut le souligner, n'ont pas pour origine forcément l'argent mais correspondent à un problème de société.

 


Mais est-il encore bien possible d'encourager l'esprit sportif, la notion de l'effort gratuit, le respect de l'adversaire dès le plus jeune âge dans le football ?

 

 

Je vais prendre un exemple, lyonnais, de tout le travail que nous entreprenons, encourageons ou coordonnons dans ce sens. Le club des Minguettes était à l'abandon, les vestiaires avaient même brûlés. Secondé par une psychologue, un dirigeant s'est retroussé les manches, a mobilisé les parents, les éducateurs, a reconstruit un projet pédagogique, et in fine a remonté le club. La tâche était si ardue, l'investissement concernait un tel nombre de personnes qu'une telle initiative aura quelques difficultés à essaimer partout sur le territoire. Mais j'ai demandé à la FFF de formaliser l'expérience. Le football, ce n'est pas l'apprentissage du seul geste technique, c'est aussi celui du geste éthique. C'est le respect des règles et de l'autorité. Et un club doit être ce lieu où l'on apprend ces règles et crée du lien social.

 


Croyez-vous l'ASSE capable de capitaliser sur ses valeurs historiques ?

 

 

Absolument. En dépit des aléas sportifs, de gestion, et de quelques dérives, l'Olympique de Marseille et l'ASSE occupent l'imaginaire collectif et sont deux des plus grands clubs qui ont marqué l'histoire du football français. Pour cette raison, je suis très heureux que Saint-Etienne remonte en Ligue 1. Dans ce stade Geoffroy-Guichard, il règne une ambiance fantastique. J'ai assisté à un match de l'équipe de France féminine. Le stade était plein. Dans cette ville, on aime le football.

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaire 0

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

Il n'y a actuellement aucun commentaire concernant cet article.
Soyez le premier à donner votre avis !

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.