Qualité de l’air : « Si l’on ne compte que sur les ZFE, on n'atteindra pas les objectifs sanitaires » (Atmo Auvergne-Rhône-Alpes)

INTERVIEW. A l'heure où l'inaction de l'Etat concernant la qualité de l'air fait l'objet d'une demande de versement additionnel de 20 millions d’euros supplémentaires (pour la période de juillet 2021 à juin 2022), l'Observatoire Atmo Auvergne-Rhône-Alpes est en première ligne pour mesurer la qualité de l'air dans la région l'une des régions les plus concernées par le contentieux européen avec Bruxelles. Bien que la pollution au dioxyde d'azote demeure un enjeu, notamment en région lyonnaise, son directeur territorial Didier Chapuis évoque une qualité de l’air qui, contre toute attente, aurait eu tendance à s’améliorer globalement au cours des dix dernières années.
Si certains efforts comme le renouvellement des chaudières non-performantes ou la réduction des rejets industriels semblent avoir porté leurs fruits en Auvergne Rhône-Alpes, le bilan des premières phases des ZFE reste encore timide du côté de l'amélioration de la qualité de l'air au sein des métropoles alpines.
Si certains efforts comme le renouvellement des chaudières non-performantes ou la réduction des rejets industriels semblent avoir porté leurs fruits en Auvergne Rhône-Alpes, le bilan des premières phases des ZFE reste encore timide du côté de l'amélioration de la qualité de l'air au sein des métropoles alpines. (Crédits : DR)

LA TRIBUNE - Votre observatoire Atmo Auvergne-Rhône-Alpes dispose d'un recul de près de 40 années de mesures de la qualité de l'air, sur le périmètre des différents départements auralpins. Sur quels moyens pouvez-vous compter, à la fois pour surveiller des événements récurrents comme les pics de pollution à l'échelle des agglomérations, mais aussi des feux de forêts, comme on en a vu cet été ?

Didier Chapuis - Nous disposons de plus de 80 stations de mesure fixes, installées en Auvergne Rhône-Alpes et qui remontent en permanence des mesures sur une douzaine de polluants répertoriés par les directives européennes encadrant la qualité de l'air, ainsi qu'une quinzaine de stations complémentaires que nous pouvons installer, en fonction de nos grandes orientations et besoins, afin de cartographier des zones plus précises ou plus éloignées.

Mais malgré ce maillage important, cela ne nous permet pas encore aujourd'hui de donner une information sur la qualité de l'air pour chaque habitant résidant en Auvergne Rhône-Alpes. C'est d'ailleurs l'une des difficultés à laquelle nous avons été confrontés cet été, lorsque le panache des incendies de forêt a pu survoler ponctuellement un secteur ou un hameau sur lequel nous n'avions pas de point de mesure.

Notre observatoire permet au contraire de donner une information sur la qualité de l'air ambiant moyenne respirée par la majorité de la population.

Justement, cette saison d'été s'est caractérisée par un nombre plus important d'incendies, y compris en Auvergne Rhône-Alpes. Les feux de forêts ont-ils joué un rôle sur la qualité de l'air respirée par les habitants ?

Durant cet été, nous n'avons pas eu de station située sous le panache d'un incendie, mais nous avons pu mesurer une petite élévation de niveau moyen, de l'ordre de quelques microgrammes, du niveau de particules fines enregistré à proximité de ces feux, qui n'a cependant pas conduit à proposer la mise en place de dispositifs d'alerte.

En Isère par exemple, nous avons eu trois journées où le niveau de concentration a légèrement augmenté au sud de l'agglomération grenobloise, en lien avec l'incendie de Voreppe, sans entraîner de risques pour la santé de la majorité des habitants.

Mais de manière générale, on sait que les feux de forêts peuvent conduire à des émissions de polluants nocives pour la santé. Le monoxyde de carbone peut impacter, tant que l'incendie est couvant, les habitants qui se trouvent dans la zone de l'incendie ainsi que les services de secours, tandis que les particules fines, inférieures à 2,5 microns, peuvent au contraire se disperser et se retrouver plus longtemps au sein de l'atmosphère en l'absence de précipitations, en pénétrant plus profondément dans l'appareil respiratoire. Sans compter les émissions provenant de la combustion de déchets pouvant être brûlés, comme des isolants ou matières plastiques dégradées.

Les épisodes de canicule répétés comme ceux que nous venons de connaître ont-ils eu un impact sur la qualité de l'air au niveau régional ? Vous aviez vous-même émis une alerte les 13 et 14 juillet en estimant que ces deux journées seraient « particulièrement à risque, en raison des conditions météorologiques toujours favorables à la formation d'ozone ».

Dès lors qu'il existe un épisode caniculaire, avec des conditions de températures élevées et de pression stables, les concentrations d'ozone ont tendance à augmenter. Nous avons en effet rencontré quelques pics d'ozone, mais nous devons tout de même noter que d'années en années, ceux-ci sont au contraire devenus moins nombreux que ce à quoi l'on s'attendait, alors que cet été était perçu comme particulièrement propice à leur hausse.

Tout cela, grâce aux efforts qui ont été demandés à la fois aux particuliers, avec le renouvellement du parc automobile, encouragé par les réglementations européennes favorisant la commercialisation de véhicules moins polluants, mais aussi aux collectivités qui ont développé des modes de déplacements doux, permettant que l'arrivée de nouveaux habitants ne se traduise pas par une augmentation proportionnelle du trafic.

Des efforts ont aussi été demandés aux industriels et ont permis de réduire considérablement les concentrations en composés organiques volatiles (COV), qui constituent l'essentiel des rejets les plus polluants et qui contribuent à la formation de l'ozone.

Il semble que l'ensemble de ces actions aient porté leurs fruits, même si ces efforts sont aujourd'hui contrebalancées par l'augmentation des températures, qui va se poursuivre.

Selon votre bilan annuel, la région a enregistré 25 jours de vigilances pollution à Grenoble et Lyon en 2021, et des niveaux jugés encore "préoccupants" par rapport aux seuils de recommandation de l'OMS (sur les particules fines dans le Rhône et l'Isère pour 1,8 et 1,2 millions d'habitants, ou sur le dioxyde d'azote dans le Rhône, l'Isère et la Haute-Savoie, avec respectivement 1,6 millions, 787.000 et 593.000 habitants exposés, ou encore pour l'ozone, avec 157.000 habitants exposés en Isère ou encore 106.800 dans la Drôme...). Pour autant, une tendance à la baisse du nombre de journées pollution serait en réalité en train de se confirmer ?

Il faut différencier la pollution à l'ozone, qui est favorisée principalement l'été en raison de la hausse des températures, et la pollution aux particules fines, qui va plutôt avoir lieu l'hiver, en raison de l'activité économique, du trafic routier, mais aussi principalement des modes de chauffage au bois non performant, qui émettent encore de fortes concentrations de particules fines.

A ce sujet, un gros travail a été fait et même impulsé à l'échelle locale par les collectivités d'Auvergne Rhône-Alpes, à commencer par les communes de la Vallée de l'Arve, qui ont inventé des programmes d'aides comme le Fonds Air Bois, qui a permis de renouveler plus de 5.000 appareils de chauffage non-performants et a ensuite essaimé à travers la région, en synergie avec les différentes collectivités locales, prodiguant des effets sur la qualité de l'air.

On parle souvent du contentieux européen (relatif à deux avis publié en 2015 et 2019 concernant les dépassements de seuils en oxydes d'azotes et aux particules fines, ndlr), qui concernait 4 zones en Auvergne Rhône-Alpes (soit les agglomérations de Clermont-Ferrand, Grenoble, Lyon, ainsi que la Vallée de l'Arve).

Mais le bilan des mesures réalisé ces deux dernières années montre qu'il n'existe plus qu'une seule zone concernée par des dépassements au dioxyde d'azote. Il s'agit de l'agglomération lyonnaise, où les seuils sont en passe d'être respectés, avec des concentrations qui diminuent.

En Auvergne Rhône-Alpes, plusieurs métropoles comme Lyon, Grenoble ou Saint-Etienne, se sont lancées dans la création de zones à faibles émissions (ZFE), qui concernent à ce stade encore principalement les véhicules professionnels. En constate-on déjà les premiers effets sur la qualité de l'air ? On voit que selon votre observatoire, on évoquait déjà une baisse, sur 10 ans, de -43% sur 10 ans des émissions de dioxyde d'azote (NO)un polluant généré par le trafic routier, ou de - 47 % pour les particules PM10 ?

Sur la quantité de polluants émis, on pourrait théoriquement dessiner un bilan des émissions produites, mais en ce qui concerne la qualité de l'air, ces mesures sont encore trop fines pour affirmer que l'on ait notablement amélioré la qualité de l'air.

Pour autant, les rejets de polluants à l'échelle des agglomérations ont réduit, même si cela n'est pas encore suffisant pour que cette réduction s'observe ensuite au sein de l'air que l'on respire. Il faut poursuivre les efforts.

Ça signifie que les étapes suivantes de ces ZFE, qui prévoient ensuite des interdictions de circulation pour les véhicules les plus polluants détenues par les particuliers, sont incontournables pour observer une réelle amélioration de la qualité de l'air ?

Il est certain que plus on augmentera le parc de véhicules concernés par la réduction des émissions, et plus on agira sur la qualité de l'air.

Cependant, même s'il est bon qu'une action soit menée dans le domaine des transports individuels, il existe d'autres actions à porter sur les activités économiques et les modes de chauffage par exemple, et plus largement sur le développement de modes de transport alternatifs comme le covoiturage, les transports en commun ou le report modal, qui sont des politiques encore en cours de déploiement et qui pourraient également porter leurs fruits.

Car une chose est sûre : si l'on ne compte aujourd'hui que les ZFE, nous ne parviendrons pas à atteindre les objectifs sanitaires fixés par l'OMS.

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