Incendies, canicules : comment la filière bois se prépare aux enjeux climatiques en Auvergne Rhône-Alpes

Première région en matière de volume de bois sur pied, Auvergne Rhône-Alpes occupe également une place de choix au sein de la filière bois, de par la force de son tissu d’entreprises et de salariés, jusqu’ici tournés principalement vers la fourniture du bois de construction et de chauffage. Mais à l’heure où la filière devait déjà composer avec une demande en hausse et une récolte parfois complexe en raison de son caractère montagnard, elle doit aussi se frotter désormais aux enjeux climatiques, comme l’ont démontré la sécheresse et la canicule de cet été, ayant entraîné des feux de forêts inédits au sein de plusieurs massifs.
Des expérimentations sont déjà en cours pour créer des îlots d'avenir en Auvergne Rhône-Alpes, afin de diversifier davantage nos forêts et d'introduire de nouvelles essences. On sait déjà qu'à terme, certaines espèces comme l'épicéa n'ont pas d'avenir à moins de 1.000 mètres d'altitude..., note la Fibois Auvergne Rhône-Alpes.
Des expérimentations sont déjà en cours pour créer des "îlots d'avenir" en Auvergne Rhône-Alpes, afin de diversifier davantage nos forêts et d'introduire de nouvelles essences. "On sait déjà qu'à terme, certaines espèces comme l'épicéa n'ont pas d'avenir à moins de 1.000 mètres d'altitude...", note la Fibois Auvergne Rhône-Alpes. (Crédits : DR/ML)

En Auvergne Rhône-Alpes aussi, le tissu forestier a été confronté cet été à des enjeux de taille : aux alertes orange liées à la canicule et à la sécheresse au sein de plusieurs départements (Isère, Rhône, Drôme, Ardèche, Savoie...) se sont ajoutées d'importants incendies qui ont mené à la destruction de plusieurs centaines d'hectares de forêt.

A l'heure où les acteurs de la filière bois en Nouvelle-Aquitaine sont déjà en train de plancher sur la récolte du bois calciné après les incendies qui ont ravagé plusieurs dizaines de milliers d'hectares, le défi est certes, moindre en Auvergne Rhône-Alpes en matière de volume, mais il pose cependant de nouveaux questionnements à une filière régionale de 2,5 millions d'hectares qui constate déjà les premiers effets du réchauffement climatique.

L'interprofessionnelle qui regroupe l'ensemble des acteurs publics et privés de la filière du bois, la Fibois Auvergne Rhône-Alpes, fait le calcul :

« On voit bien que dans des régions comme le Grand Est, mais aussi la Savoie ou l'Ain, des espèces comme l'épicéa sont atteintes par des insectes (scolites) qui font dépérrir le bois et brunir la forêt, sans oublier la sécheresse dans l'Allier, qui fait souffrir les espèces de chênes. Il s'agit d'une vraie inquiétude à long terme pour le milieu forestier », atteste sa déléguée générale, Marinette Feuillade, jointe par La Tribune.

"Nous avons déjà connu des incendies en Auvergne Rhône-Alpes, mais la nouveauté est qu'on en rencontre de plus en plus et surtout, qu'ils sont associés à une très forte sécheresse non seulement depuis cet été, mais aussi depuis le début du printemps, ce qui crée des facteurs de risques beaucoup plus forts", note Nicolas Traub, directeur-adjoint de l'antenne régionale du Centre National de la propriété forestière (CNPF).

Les effets de ce changement climatique se mesurent déjà de deux façons sur la récolte : "On observe, d'une part, que la production annuelle des espèces comme les sapins peut tomber de moitié lorsque le climat évolue, mais aussi des effets sur les plantations de nouveaux arbres, généralement réalisées au printemps, et où la sécheresse de cette année a conduit par exemple à ce que de jeunes plantations ne survivent pas et doivent donc être replantées dès l'an prochain", atteste Nicolas Traub.

Un phénomène d'ores et déjà suivi de près par le réseau Département santé des forêts, qui organise pour chaque région la surveillance sylvosanitaire. "On sait déjà que des dépérissements de sapins et d'épicéas ont été constatés dès à présent, et donneront lieu à des confirmations plus chiffrées en fin d'année".

Car en plus des conséquences directes amenées par les 61.289 hectares brulés en France depuis le début de l'année, selon le dernier décompte (660.000 en Europe), c'est déjà vers l'avenir que regarde la filière régionale, qui rappelle que les horizons et rotations se situent sur une échelle de 60 ans pour les espèces de résineux, et même sur 120 à 150 ans pour les espèces feuillus...

Tester de nouvelles essences

 « La forêt ne va pas changer du jour au lendemain mais nous sommes obligés d'anticiper et de mettre les forces du privé comme du public en commun pour essayer d'adapter les forêts au changement climatique », met en garde Marinette Feuillade. Il n'existe pas vraiment d'inquiétude sur la récolte à court terme, mais davantage à long terme, car lorsqu'on voit les arbres sécher sur pied, on se demande quelle forêt nous aurons dans 50 ans en France ».

C'est pourquoi plusieurs expérimentations avaient déjà débuté, à l'échelle régionale, en lien avec des organismes comme l'ONF et le CNPF (Centre National de la Propriété forestière) dans certains secteurs comme le Bugey (Ain), en vue de tester de nouvelles essences en provenance de régions situées plus au sud, et réputées plus résistantes à la sécheresse.

« Nous travaillons d'une part sur l'identification des meilleurs cultures adaptatives et des pratiques associées, qui sont de comment éclaircir, planter différemment et rendre la forêt plus forte face aux risques d'incendies et de sécheresse. Mais aussi à identifier les nouvelles essences encore peu présentes en Auvergne Rhône-Alpes, comme le cèdre, le pin laricio de Corse, le pin maritime ainsi que certains sapins méditerranéens et espèces de chênes », cite en exemple Nicolas Traub, au CNPF Auvergne Rhône-Alpes.

Avec, parmi les nouveaux secteurs considérés comme "prioritaires" pour l'adaptation aux changements climatiques puisqu'ils croisent à la fois les phénomènes de sécheresse et de baisse de la production, "le Sud de la Drôme au climat plus méditerranéen, le secteur de l'Allier où les chêneraies souffrent actuellement du manque d'eau, ainsi que les forêts du Livradois-Forez, jusqu'ici très productives et qui souffrent désormais à moyenne altitude".

Des expérimentations sont donc déjà en cours pour créer des "îlots d'avenir" en Auvergne Rhône-Alpes, afin de diversifier davantage nos forêts et d'introduire de nouvelles essences.

« On sait déjà qu'à terme, certaines espèces comme l'épicéa n'ont pas d'avenir à moins de 1.000 mètres d'altitude... Mais cette transition va nécessairement se faire très lentement, car dans le cas d'un Douglas que l'on planterait aujourd'hui par exemple, la récolte ne se fera pas avant 60 à 70 ans », admet Marinette Feuillade.

L'outil de production des scieries ainsi que les débouchés économiques devront également s'adapter : ils se décomposaient jusqu'ici principalement, en Auvergne Rhône-Alpes, de bois industrie (40% de la récolte) permettant de valoriser les branches sous la forme de panneaux, de bois énergie ou de pâte à papier, tandis la majorité de la production régionale (60%) demeurait tournée vers le bois d'œuvre (connexes de scierie, copeaux et sciures) destinés à l'industrie de la construction, de l'assemblage et du bois énergie.

"Il faudra que les scieries s'équipent et s'adaptent pour pouvoir scier de nouvelles essences, mais cela ne se fera pas avant 50 ans, le temps que les nouvelles essences atteignent le stade de récolte", rappelle Nicolas Traub.

... mais aussi des fronts anti-incendie

Les feux de forêt ont également confirmé la nécessité, pour la filière régionale, de se muscler dans le domaine de la protection face aux incendies, à l'image de ses voisins du Sud. « Des actions et sensibilisations en matière de défense-incendie était déjà menées dans le sud de la France, et l'on voit bien que la zone de sensibilités progresse désormais vers le nord avec la sécheresse et le réchauffement climatique, comme en témoigne les récents incendie en Isère ou dans l'Ain que l'on n'avait pas vus depuis 1976 », atteste la déléguée générale de la Fibois AURA.

Plusieurs mesures, comme celles de créer des zones coupes-feu, mais aussi d'encourager une plus grande gestion et entretien des forêts (y compris des parcelles détenues par un grand nombre de petits acteurs privés) font partie des pistes déjà connues et avancées. « Les incendies de cet été dans les Landes ont aussi démontré que les zones qui étaient gérées et entretenues étaient plus faciles à maîtriser, à l'inverse de ce que pouvait penser jusqu'ici le grand public, ce qui a remis en avant le rôle des exploitants forestiers ».

D'ailleurs, l'été ne fera pas tout : la Fibois a d'ailleurs déjà le regard tourné vers l'automne, et notamment le risque de tempêtes, qui pourrait constituer le prochain front à gérer. « La dernière grosse tempête date de 1999 et, indépendamment du réchauffement climatique, les forestiers estiment que des phénomènes de répétition sont à craindre tous les 20 à 25 ans. Il est donc nécessaire de se préparer également, en lien avec les services de l'Etat », estime la déléguée générale de Fibois AURA.

Former les propriétaires à l'adaptation au changement climatique

Un enjeu cependant rendu un peu plus complexe, de part le morcellement des parcelles et des propriétaires privés : "On dénombre près de 700.000 propriétaires de forêts en Auvergne Rhône-Alpes, ce qui fait une moyenne 2,5 hectares par propriétaire sur les 1,7 millions d'hectares de forêts au total", énumère Nicolas Traub, au Centre National de la propriété forestière (CNPF).

En plus de mettre sur pied des formations à destination de l'ensemble des propriétaires de domaines forestiers, où "l'adaptation aux changements climatiques est devenue une partie incontournable", le CNPF concède qu'il va désormais être nécessaire de réfléchir, comme c'est déjà le cas en Méditerranée, à la mise en place d'une politique de défense contre les incendies associant la création de routes forestières, la mise en place de citernes, ainsi que de vigies qui guettent la moindre émanation de fumée.

"Ce sont des dispositifs qui existent déjà dans le Sud de la France et qui seront désormais probablement à développer dans de nouvelles zones comme l'Isère, la Savoie ou encore la Loire", admet-il. Avec, comme en Méditerranée, la création possible d'un fonds géré par un préfet-coordinateur, qui puisse venir en appui des investissements réalisés par les propriétaires. "Car bien souvent, créer une route d'accès de quelques kilomètres nécessite le concours et le financement d'une trentaine à quarantaine de petits propriétaires".

Pour autant, le CNPF estime, par la voix de son directeur adjoint, que ces politiques ne seront utiles que si elles sont associées à plusieurs mesures de prévention à développer auprès des propriétaires eux-mêmes :

"C'est en développant de concert une sylviculture préventive qui utilise des essences à moindre potentiel combustible, mais aussi des éclaircies au sein des forêts ou des coupures entre les massifs, et la mise en place, lorsque cela est possible, de pâturages de troupeaux en sous-bois, que l'on pourra également lutter contre le développement des incendies".

Car l'un des enseignements de cette année caniculaire le confirme déjà : "On constate que plus on est sur une forêt continue, notamment en zone de montagne, où les parcelles ne sont jamais mises à blanc, et plus il est facile ensuite pour les arbres de résister aux variations de climat".

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