Incendies : dans les Alpes, les pompiers tirent les premiers enseignements d'un été sous haute tension

Alors que le feu déferlait sur la végétation et les forêts de pins de Gironde, les incendies n'auront pas épargné les massifs des Alpes, et notamment le bassin grenoblois ainsi que le secteur du Diois, où les pompiers de l'Isère et de la Drôme ont eu affaire à des feux jugés également majeurs et particulièrement complexes pour ces secteurs. Tout juste considérés comme éteints, des pistes de réflexions commencent à émerger face à ce qui pose comme les premières conséquences visibles du réchauffement climatique, et qui font déjà craindre de possibles répétitions au cours des années à venir.
L'incendie de Voreppe a mis en lumière une zone qui n'était jusqu'à présent pas touchée par le feu, et qui a nécessité de revoir nos techniques d'intervention ainsi que les actions préventives à mettre en place, qui prennent notamment en compte des accès difficiles en montagne, illustre Mathieu Malfait, au SDIS de l'Isère.
"L'incendie de Voreppe a mis en lumière une zone qui n'était jusqu'à présent pas touchée par le feu, et qui a nécessité de revoir nos techniques d'intervention ainsi que les actions préventives à mettre en place, qui prennent notamment en compte des accès difficiles en montagne", illustre Mathieu Malfait, au SDIS de l'Isère. (Crédits : DR/SDIS Isère)

"Des épisodes de danger extrême comme celui-ci, nous n'en avions jamais connu jusqu'ici". Pour le lieutenant-colonel Alain Pradon, du SDIS (Service Départemental d'Incendie et de Secours) de la Drôme, l'heure est encore à la vigilance sur le secteur de Die (Drôme), sur les contreforts du massif du Vercors, où un feu de forêt qui s'est déclaré le 5 août dernier a déjà brulé 383 hectares. A peine considéré comme fixé, l'attention est encore forte sur ce secteur, où demeurent encore en surveillance une vingtaine de sapeurs-pompiers et une poignée de véhicules.

Car au plus fort de cet incendie, déclenché par un impact de foudre et qui aura duré au total neuf jours, ce sont 250 pompiers, associés à des moyens terrestres mais aussi aériens (hélicoptères bombardiers d'eau, Canadairs et Dash) et des équipes extra-départementales qui sont venues en renfort des effectifs sur place pour lutter contre cet incendie hors-norme, allant même jusqu'à nécessiter des captages en eau au lac voisin du Monteynard (Isère).

Un départ de feu particulièrement complexe à maîtriser, puisqu'il s'est déclenché sur une barre rocheuse difficile d'accès, avec des pentes à fort dénivelé (allant jusqu'à 30%), et souvent exemptes de chemins d'accès. "Compte-tenu des difficultés d'accès, ce feu a également connu une propagation atypique, puisqu'il a pris une forme conique plutôt que de suivre un axe établi, ce qui nous a forcé à adapter notre stratégie et à trouver des moyens d'acheminer de l'eau parfois longs. La sécheresse nous a aussi conduit à devoir diversifier nos approvisionnement en eau", reconnaît Alain Pradon.

Celui-ci estime que "la nouveauté sur ce foyer n'a pas été tant le risque, mais l'état de sécheresse des sols et la durée qu'a pu prendre ce feu".

Aucun dégât matériel ni évacuation n'auront été nécessaires, bien que plusieurs soldats du feu (près d'une vingtaine) auront cependant été blessés durant leur exercice, rendu délicat par la progression des flammes. "La chance que nous avons eue, c'est que malgré le déclenchement début août d'un niveau de danger exceptionnel et jugé "extrême", compte-tenu de la sécheresse et du stress hydrique des végétaux, ainsi que du vent qui se levait, aucun autre départ de feu majeur ne s'est déclenché en même temps sur un autre front du département", assure pour sa part Alain Pradon.

Incendie Diois SDIS de la drôme

En Chartreuse aussi, le massif a brûlé

Pourtant, non loin de là, de l'autre côté du Vercors, le département de l'Isère aura lui aussi connu un autre feu majeur, alimenté également par un impact de foudre survenu durant la même épisode orageux qui a touché la région, vendredi 5 août dernier.

Cette fois, ce sont aussi 130 hectares de forêt qui sont partis en fumée à proximité de l'agglomération grenobloise, là aussi sur une barre rocheuse difficile d'accès située sur le massif voisin de la Chartreuse, menaçant directement les communes de Voreppe et de la Buisse. Bien qu'aucune entreprise ni habitation n'ait été directement touchée et qu'aucun blessé au sein de la population ne soit à déplorer, les sapeurs-pompiers (dans les rangs desquels on a dénombré trois blessés légers) ont tout de même dû procéder à 140 évacuations préventives de domicile.

Deux entreprises, situées à proximité du feu, étaient particulièrement scrutées : un site du fabricant de piscines Desjoyaux, dont l'activité était stoppée durant la période de congés estivale, ainsi que le site du fabricant de plancher en béton Rector, qui a dû faire appel à des mesures de chômage technique. A noter que des axes routiers ont également dû être coupés, la RD520A, qui relie Voreppe à Saint-Laurent-du-Pont, ainsi que la D1075, connectant Voreppe à La Buisse.

Au plus fort de l'intervention, ce sont près de 380 pompiers, deux hélicoptères et quatre avions bombardiers d'eau qui sont venus en renfort sur le terrain, ainsi qu'une vingtaine d'engins terrestres, associés des effectifs issus des départements voisins.

"Ce n'est habituellement pas quelque chose que l'on voit en Isère", reconnaît le lieutenant colonel Mathieu Malfait, qui rappelle que les services de secours ont également dû continuer d'assurer leurs activités de secours aux personnes en parallèle à cet épisode, qui aura duré du 5 au 15 août dernier, lorsqu'il a finalement été considéré comme "éteint".

Plusieurs autres départs de feu surveillés de près

"Aujourd'hui, nos équipes ne sont plus stationnées sur le terrain mais surveillent encore les reprises de fumerolles, car le feu peut encore continuer à se consumer par le sol".

Les sapeurs-pompiers de l'Isère demeurent cependant sur le pied de guerre, d'autant plus que dans le même temps, plusieurs autres feux de forêt, de moindre envergure mais situés à proximité des habitations, sont survenus dans le courant du mois d'août : sur la commune de Saint-Egrève d'abord, où un départ de feu menaçait des habitations et a nécessité l'évacuation préventive d'une dizaine de personnes le 10 août, suivi, le lendemain, d'un autre départ sur la commune de Vif.

Les flammes, qui auront finalement parcouru 20 hectares de végétation, avaient débuté au pied d'un viaduc traversé par l'A51, et conduit à la coupure temporaire d'une ligne à haute tension, ainsi qu'à l'évacuation préventive de quelques habitations.

Le montant de la facture des deux principaux feux n'est pas encore connu, mais on sait déjà qu'ils pèseront lourd dans les comptes de l'année 2022 de chacune des unités départementales du SDIS, et qu'ils pourraient nécessiter des abonnements de la part des collectivités locales, "sous peine de ne pas parvenir à boucler le budget de l'unité", précise-t-on déjà dans la Drôme.

Revoir les techniques d'intervention et actions préventives

Ces épisodes auront également réveillé, du côté de la population, les stigmates d'une autre catastrophe, survenue en Isère durant la canicule de 2003 : l'incendie du Néron, qui avait progressé durant une trentaine de jours sur la barre rocheuse de la Chartreuse, avant d'être finalement éteint, après avoir détruit jusqu'à 380 hectares de végétation.

Ils auront aussi contribué à réinterroger les pratiques des soldats du feu : "l'incendie de Voreppe a mis en lumière une zone qui n'était jusqu'à présent pas touchée par les incendies, et qui a nécessité de revoir nos techniques d'intervention ainsi que les actions préventives à mettre en place, qui prennent notamment en compte des accès difficiles en montagne", illustre Mathieu Malfait.

Des réflexions sont actuellement en cours entre les sapeurs-pompiers et l'ONF, ainsi que les élus locaux et la préfecture de l'Isère, afin d'étudier de nouvelles mesures préventives qui pourraient permettre de limiter la propagation de ce type de feu.

"Cela revient à réfléchir aux accès propres aux espaces forestiers et à en vérifier l'accessibilité, notamment à proximité des villes, avec un travail possible sur une évolution de la réglementation qui pourrait prendre en compte la question de l'accès au forêt privés (dans les Alpes, 80% du tissu régional forestier étant détenu par des acteurs privés, souvent par des acteurs de petite taille, ndlr), en donnant plus de pouvoir aux communes ou aux services de l'Etat par exemple", ajoute Mathieu Malfait, qui rappelle également que les Plans de prévention des risques incendie de forêt n'étaient par exemple pas présents jusqu'ici au sein de l'ensemble des départements français.

Or, en Isère comme dans la Drôme, se pose la question désormais de pouvoir accéder le plus rapidement possible à des secteurs qui n'étaient, jusqu'ici, pas propices à générer des départs de feu, mais qui le sont devenus en raison du contexte climatique alliant forte sécheresse, vents violents, voire impacts de foudre.

"On sait déjà qu'il existe trois facteurs de prévention qu'il est possible d'allier : la création de zones de coupe-feu et de débroussaillement, mais aussi de pistes pour ne laisser aucun espace de 150 hectares sans moyen d'accès, ainsi que l'installation de ressources en eau en local, à proximité des zones à risques. Mais la question reste de voir qui va payer la facture, car les petites communes n'ont pas nécessairement le budget pour réaliser ce type d'aménagement qui seront longs à réaliser, mais aussi coûteux à installer en haut du Vercors", atteste Alain Pradon.

Reste une certitude : il y aura très certainement un "avant et un après" ce feu du Diois, tout comme celui de Voreppe, qui a également marqué les esprits et remis les risques au coeur de l'échiquier. "On ne sait pas si l'été prochain se déroulera de la même façon, mais tous les travaux scientifiques tendent à penser que ce type d'épisode va se reproduire plus souvent. Nous allons être obligés de nous adapter", abonde Mathieu Malfait.

En attendant, la vigilance sera encore de mise ce week-end sur les sites touchés, puisque les orages attendus pourraient à leur tour alimenter des phénomènes de chutes de pierre, voire de ruissellements d'eau de pluie à certains endroits.

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaire 0

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

Il n'y a actuellement aucun commentaire concernant cet article.
Soyez le premier à donner votre avis !

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.