"Je crois davantage à une localisation de la production" (Medef AuRA)

LA RENTREE DE ... Jean-Luc Raunicher, président du Medef Auvergne-Rhône-Alpes et dirigeant du fabricant savoyard de mobilier pour l'industrie Promedif, revient sur une année de crise inédite. Moral des chefs d'entreprises, plan de relance, transformation digitale des organisations ou encore campagne de vaccination... S’il souhaite déjà penser à "l’après-crise", il met en garde l’exécutif sur les conséquences sociales d’une gestion uniquement "prudentielle" de cet épisode.
Parmi les tendances de l'après-crise, Jean-Luc Raunicher note une accélération de la digitalisation au sein des entreprises auralpines, qui se traduit par 10.000 postes à pouvoir aujourd'hui dans le domaine du numérique.

LA TRIBUNE AUVERGNE RHONE- ALPES - Courant janvier, il est encore l'heure du bilan de cette année inédite que nous venons de traverser. Après les craintes nourries au cours des derniers mois pour l'avenir des entreprises régionales, quel est finalement, à l'aube de cette nouvelle année, le premier bilan que vous dressez de la situation économique ? La région Auvergne Rhône-Alpes fait-elle finalement partie des plus touchées, de par son tissu industriel ?

JEAN LUC RAUNICHER - "Nous sommes la seconde économie régionale, et aussi la première région industrielle de France. À ce titre, beaucoup de nos entreprises ont été frappées par la crise, comme celles de l'aéronautique, tandis que d'autres secteurs d'activité comme la chimie ou la pharmacie, ou encore l'agroalimentaire ou l'énergie s'en sont mieux sortis. Il ne faut pas oublier que nous sommes aussi la première région énergéticienne de France, voire même d'Europe.

L'environnement que nous connaissons est encore très contrasté. Au final, nous connaissons une perte d'activité qui devrait être le reflet de la baisse du PIB national, de l'ordre de -8 à -10 % en moyenne. C'est malheureusement bien pire pour les entreprises qui subissent de plein fouet les fermetures administratives ou bien la mise en place du couvre-feu, comme l'hôtellerie, la restauration, l'événementiel et les domaines skiables..."

Les aides ont-elles finalement été à la hauteur des attentes des chefs d'entreprise ?

"On peut dire que les pouvoirs publics et les banques ont mis en place des dispositifs extrêmement massifs afin de soutenir les entreprises durant cette crise. Ils continuent d'ailleurs à le faire, à l'instar du PGE, dont les modalités de remboursement sont assouplies. Tout le monde a été au rendez-vous. Le MEDEF Auvergne-Rhône Alpes est mobilisé depuis le 1er jour afin d'accompagner les entreprises de notre région."

On a beaucoup parlé de la perspective d'un mur de dettes faisant face aux entreprises : celui-ci s'éloigne-t-il progressivement ?

"Beaucoup d'entreprises, environ 650.000 à l'échelon national, ont eu recours au PGE, pour près de 130 milliards d'euros. Avec plusieurs cas de figure là encore puisque certaines en avaient un réel besoin, tandis que d'autres l'ont fait par prudence car il s'agissait alors d'un saut dans l'inconnu.

Le problème se pose pour les entreprises les plus fragiles, qui ont déjà consommé leur PGE et s'apprêtent à faire face aux prochaines modalités de remboursement de leur emprunt. Pour elles, c'est l'avenir qui est hypothéqué, du fait d'une incapacité d'investir, de se digitaliser, ou encore de moderniser leur outil de production ... D'où le décalage d'un an supplémentaire d'amortissement du capital pour les PGE.

Nous avions nous-mêmes plaidé pour une durée de remboursement plus longue, de l'ordre de 8 à 10 ans, afin de mieux répartir l'effort et que cela soit le plus indolore possible."

Pensez-vous qu'un nouvel aménagement soit possible ?

"Il est difficile de se prononcer car ce que le gouvernement a décidé ces derniers jours paraissait impossible il y a seulement quelques semaines. Chacun a conscience qu'il faut absolument éviter un décrochage de notre économie."

Certains entrepreneurs affirment que les banques n'auraient pas prêté suffisamment, voire même durci leurs conditions, face à la situation délicate de certains secteurs. Avez-vous des remontées en ce sens ?

"On ne peut pas dire cela car les banques ont joué leur rôle et accordé en moyenne 97,5 % des PGE demandés. Les entreprises peuvent d'ailleurs recourir à ce dispositif encore jusqu'en juin 2021. Il est également possible de demander un complément au titre du deuxième confinement. Il peut évidemment exister des cas extrêmes, mais le médiateur du crédit est là pour être saisi."

Nous avions vu, au cours des dernières semaines des cris de détresse au sein de certains secteurs les plus touchés, comme le commerce, l'hôtellerie-restauration, puis l'événementiel ou encore la montagne : est-ce toujours le cas ?

"On peut en effet comprendre que la situation soit particulièrement difficile pour les chefs d'entreprise de ces secteurs particulièrement touchés. On leur a dit d'arrêter de travailler du jour au lendemain durant une période indéterminée, ce qui est bien entendu extrêmement difficile pour n'importe lequel d'entre eux.

Nous sommes face à une pandémie mondiale inédite. Chacun essaie de gérer cette situation de la meilleure manière possible et de bonne foi, même si parfois, il y a peut-être aussi des erreurs. L'objectif est néanmoins d'être dans une logique de sortie de crise et de rebond, plutôt que de pointer du doigt les erreurs de chacun.

Il ne faut pas oublier que les revendications des chefs d'entreprise les plus affectés sont aussi des appels au secours, auxquels les pouvoirs publics essaient de répondre tant bien que mal".

Certains élus ont parfois dénoncé un manque de visibilité et de coordination avec le gouvernement. Êtes-vous de ceux-là ?

"Les pouvoirs publics gèrent deux choses en même temps, à savoir une crise économique et une pandémie, qui produit, au final, une angoisse généralisée. Notre mission est de rester confiant malgré les difficultés, et de voir plus loin, car il y aura un "après-crise".

Même si tout le monde ne sortira pas indemne, tout est fait pour éviter le décrochage de notre économie. À ce titre, nous sommes en lien permanent avec les services de l'Etat et de la Région. Tout est fait pour s'en sortir par le haut, en dépit des difficultés, tous ensemble, y compris avec les organisations syndicales. Nous devons tous nous battre dans le même sens aujourd'hui".

Pensez-vous qu'il puisse y avoir une forme « d'effet d'aubaine » au cours des prochains mois sur le terrain des PSE, comme certains ont pu le prédire ?

"Je ne le crois pas. Certaines entreprises n'auront malheureusement pas d'autre choix que de se séparer de salariés, et l'on peut donc s'attendre à une augmentation significative du chômage, avec des variations en fonction des secteurs d'activités. Mais il y aura aussi un rebond par la suite.

Je n'aime pas le terme « d'effet d'aubaine », car tout chef d'entreprise normalement constitué souhaite avant tout voir son entreprise croître et se développer. Ce dont vous parlez ne peut donc qu'être à la marge."

On a beaucoup évoqué également au cours des dernières semaines de la transformation numérique des entreprises, constatez-vous ce vent de changement au sein des entreprises régionales ?

"Bon nombre d'entreprises sont engagées dans un processus de digitalisation et une crise comme celle-ci va nécessairement renforcer encore ce phénomène. Nous étions d'ailleurs déjà en quête d'emplois dans ce domaine, car il existe au sein de notre région près de 10.000 postes à pourvoir dans le numérique. Les entreprises sont toujours à la recherche de ces compétences, ce qui est un paradoxe face à un taux de chômage qui grimpe.

Le MEDEF Auvergne-Rhône-Alpes s'emploie d'ailleurs à apporter sa pierre à l'édifice puisque nous avons créé l'école The Nuum Factory il y a deux ans, qui se positionne comme la première école de la transformation digitale.

Nous avons une cinquantaine d'apprenants formés cette année et plus de cent l'année prochaine avec plusieurs formations dans le digital : un Bachelor 3 de Marketing digital et e-business, un Mastère Expert en projet digital spécialisé en data ou cybersécurité ainsi qu'un Msc Executive digital manager. Nous misons à fond sur l'alternance car il n'y a rien de mieux que de former en ayant un pied dans l'entreprise."

Face au plan de relance de 100 milliards d'euros annoncé par l'État, qu'attendez-vous de cette enveloppe à l'échelle du territoire ?

"Ce plan de relance comprend plusieurs volets, avec près de 20 milliards d'euros qui vont être fléchés directement vers une réduction des impôts de production, qui pèsent lourdement sur les entreprises. On a bien vu les résultats d'une trentaine d'années de politiques qui nous ont conduit jusqu'à cette situation.

Réindustrialiser et relocaliser restent cependant des termes un peu marketing, car avant de parvenir à faire revenir des entreprises qui produisaient jusqu'ici à bas coûts à l'étranger, je crois davantage à la localisation et à la territorialisation de la production.

Pour cela, il faut que nous gardions des métropoles fortes, tout en irriguant tous nos territoires. Car on voit trop souvent des territoires tomber en déshérence industrielle et économique. Le plan de relance doit répondre à cette problématique. Enfin, selon moi, le premier point doit rester la compétitivité des entreprises, car c'est lorsqu'une entreprise est rentable qu'elle peut ensuite investir, notamment sur l'environnement, l'écologie, et la transition énergétique."

Observez-vous cependant des "trous dans la raquette" dans ce plan France Relance ?

"La difficulté majeure, qui est souvent remontée par nos adhérents, demeure l'accès à ces dispositifs pour les petites entreprises. Car il faut remplir des dossiers qui ne sont pas nécessairement compliqués, mais qui leur demandent du temps et parfois de l'expertise. L'avantage d'une mesure comme la baisse des impôts de production, c'est qu'elle concerne tout le monde, sans avoir à remplir de dossier."

Quel message souhaitez-vous adresser aux secteurs de la montagne notamment, particulièrement frappé par la fermeture des remontées mécaniques et qui peuvent se trouver au sein de vos adhérents ?

"Nous sommes bien entendu solidaires de tous les acteurs de la montagne, et notamment Alexandre Maulin, le président des Domaines skiables de France. Face à une pandémie, tout doit naturellement être mis en place pour essayer d'éviter le plus possible les conséquences sanitaires.

Mais comme nous le rappelons régulièrement aux représentants de l'Etat, les conséquences économiques et sociales peuvent s'avérer aussi graves que les conséquences sanitaires, avec la disparition d'entreprises, l'augmentation massive du chômage... et des personnes qui peuvent se retrouver marginalisées du jour au lendemain.

Nous sommes sur une ligne de crête. Nous plaidons, de notre côté, pour que toutes les activités qui puissent rouvrir en respectant les règles sanitaires soient autorisées à le faire."

Sur le terrain de la vaccination enfin, plusieurs voix se sont élevées au cours des derniers jours pour proposer leur aide. Avec parfois, des chefs d'entreprise qui aimeraient aussi pouvoir vacciner dans leur établissement. Quelle est votre position à ce sujet ?

"C'est un peu comme dans le monde du football : on a parfois l'impression d'avoir 67 millions de sélectionneurs... Plus sérieusement, je ne suis pas infectiologue ni médecin, et je pense que nous devons faire confiance aux personnes qui ont cette compétence et qui connaissent bien le sujet.

Ce n'est pas à moi de dire s'il faut vacciner au sein des entreprises. Nous avions participé, à la demande la Région, au dispositif de testing organisé avant les fêtes de Noël par exemple. Mais ce n'est pas à nous de prendre l'initiative. Chacun doit rester dans son rôle."

Que pensez-vous des dernières annonces et renforcement des dispositifs d'aides aux entreprises, lors de la mise en place du couvre-feu il y a une semaine ?

"Toutes les mesures engagées sont essentielles. La difficulté, c'est que l'ensemble des dispositifs ont dû être adaptés au fur et à mesure car il y a toujours des effets de seuil qui font que certaines entreprises ne peuvent pas en bénéficier alors qu'elles en auraient besoin.

C'était par exemple le cas des fournisseurs de l'hôtellerie restauration, qui ont pu être oubliés lors des premières dispositions. Je crois qu'avec ces dernières mesures, l'Etat a corrigé le tir. Il est bon que le seuil d'indemnisation ait lui aussi été remonté à 200.000 euros, car même s'il est essentiel d'aider les petites entreprises, les entreprises de taille plus importante ont également besoin d'être accompagnés afin de pouvoir redémarrer dès que possible."

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