« Casino, c'est Saint-Etienne et Saint-Etienne, c'est Casino », la grande inquiétude des salariés stéphanois sur l’avenir du groupe

Plus de 1.000 manifestants ont exprimé leur inquiétude et leur colère ce mardi dans les rues de Saint-Etienne (Loire). La vente potentielle de l’ensemble des hypermarchés et supermarchés du groupe Casino suscite de vives inquiétudes sur le maintien du siège social à Saint-Etienne. Celui-ci emploie environ 1.500 collaborateurs. Sa disparition aurait un impact extrêmement fort sur une ville qui avait su se relever après les grandes crises industrielles, détruisant des milliers d’emplois. Reportage.
Environ 1.500 salariés travailleraient actuellement au siège de Casino.
Environ 1.500 salariés travailleraient actuellement au siège de Casino. (Crédits : Stéphanie Gallo Triouleyre)

Il est 14 heures ce mardi, devant le siège social du groupe Casino à Saint-Etienne (Loire). Comme de nombreux salariés, Louis Billone rejoint d'un pas pressé son poste de travail, au service informatique, après être allé manifester le matin-même son inquiétude dans les rues du centre-ville, aux côtés d'un millier de manifestants rassemblés derrière les cinq organisations syndicales de Casino. Son inquiétude porte sur l'avenir du groupe en général, et sur celui du siège social stéphanois plus particulièrement. Ce dernier emploie environ 1.500 collaborateurs (chiffre approximatif tant les données communiquées par le groupe à ce sujet sont floues et fluctuantes). A 49 ans, cela fait 22 ans que Louis Billone travaille pour Casino. Pour lui, la situation est un crève-cœur. Résigné, il est persuadé que son emploi va disparaître, il n'a pas encore épluché les offres d'emplois mais il envisage de chercher une voie de rebond dans une autre entreprise ou, pourquoi pas, de revenir à ses premières amours, l'Education Nationale.

« Nous avons un outil de travail qui fonctionne et qui a un potentiel. La preuve, c'est que des repreneurs viennent frapper à la porte. Notre problème c'est la gestion. Je suis écœuré, je ne comprends pas comment les banques ont pu suivre aussi longtemps alors que nous, pour un simple prêt immobilier, on nous interdit d'aller au-delà de 30% de nos revenus... ».

« Gardez les supermarchés et les hypers, et nous serons tous derrière vous »

Même sentiment du côté de Damien et Yohan. Le premier affiche 8 ans au service de Casino, le second 24 ans. Eux disent ne même pas être allés manifester, « les décisions étant déjà prises de toute façon ». Mais ils sont en colère : « jusqu'à début 2023, on nous disait que tout allait bien. Que c'était le Covid, puis l'Ukraine etc. Et maintenant, on apprend chaque nouvelle étape, toujours plus mauvaise pour nous, dans la presse. On nous a caché beaucoup trop de choses ». Et de souffler, visiblement fatigué de cette situation : « Vous vous rendez compte qu'on fête cette année les 125 années de Casino et qu'on en est là ? Casino, c'est Saint-Etienne. Et Saint-Etienne, c'est Casino ». Dans le froid, et visiblement affectés, les deux hommes préfèrent ne pas commenter plus avant, précisant juste qu'ils n'accepteront probablement pas de proposition de reclassement ailleurs qu'à Saint-Etienne, toute leur vie s'étant construite ici dans cette ville où le stade de foot porte le nom du fondateur de leur entreprise.

Dans leurs pas, ces deux autres hommes eux aussi salariés de très longue date du groupe (30 ans « de boite » pour le premier, 38 pour le second). Eux préfèrent ne pas donner leur identité mais œuvrent au service proximité et immobilier. Ils évoquent un immense gâchis, le sentiment d'avoir été trompés par l'actionnaire Jean-Charles Naouri qu'ils disent ne plus avoir vu au siège social depuis plus de 20 ans mais « qui a récupéré tout l'argent qu'il pouvait ». Et adressent un message aux repreneurs :

« Nous avons un bon outil de travail, nous savons trouver les bons produits, nous savons gérer des magasins. Gardez les supermarchés et les hypermarchés, gardez les entrepôts logistique, investissez dans leur rénovation, baissez les prix et nous serons tous derrière vous pour remonter la pente ».

Tous attendent de voir ce que va devenir la promesse faite par les repreneurs de conserver, et renforcer le siège social stéphanois. Promesse faite en réponse à une exigence de Bruno Le Maire. Car les dernières évolutions leur laissent présager un sort plus qu'incertain à cet immense paquebot implanté en face de la gare de Châteaucreux, au cœur du nouveau quartier d'affaires que Saint-Etienne a bâti autour de lui.

Ecrasé par les dettes, Casino fait en effet l'objet d'une offre de reprise par le milliardaire tchèque Daniel Kretinsky, le Français Marc Ladreit de Lacharrière et le fonds britannique Attestor. Une offre de reprise qui s'accompagnera d'une restructuration majeure avec la cession déjà actée il y a quelques mois de 119 supermarchés et hypermarchés à Intermarché, à laquelle pourrait finalement s'ajouter, - a-t-on appris ces derniers jours -, la cession totale des hypermarchés et supermarchés restants au duo Auchan/Intermarché.

Lire aussiGrande distribution: Casino se prépare à céder ses derniers supermarchés au plus offrant

Dans ces conditions, le maintien du siège social à Saint-Etienne pourrait être remis en cause.

« Nous ne voulons pas d'une coquille vide »

« L'offre de reprise prévoit effectivement de maintenir ce siège à Saint-Etienne et même de le renforcer de 400 personnes avec notamment un pôle métiers, un pôle innovations, la fermeture d'un siège parisien avec rapatriement à Saint-Etienne. Pour l'instant, selon les informations qu'on m'a transmises, cette ambition n'est pas remise en cause mais effectivement si tous les hypermarchés et supermarchés sont vendus, il y a forcément de nombreuses fonctions support qui vont être réduites considérablement. Est-ce que ces 400 postes supplémentaires promis compenseraient ces suppressions ? J'en doute... Et je ne veux pas d'un siège social qui ne soit qu'une boîte aux lettres permettant de respecter l'exigence du ministre, je ne veux pas d'une coquille vide », s'inquiète Quentin Bataillon, député Renaissance de la première circonscription de la Loire, très investi sur ce sujet, et en contact d'une part avec les représentants des repreneurs du groupe et d'autre part avec le cabinet de Bruno Le Maire. Tout en rappelant la fin du bail locatif de Casino, sur son siège social, qui doit arriver à échéance en 2028.

Le maire (ex LR) de Saint-Etienne, Gaël Perdriau, explique de son côté que « Saint-Etienne, les Stéphanois et le groupe Casino ont une histoire commune et indissociable de 125 ans, tant économique que social et sociétal qui dépassent très largement les aspects financiers et les seules logiques comptables, même si celles-ci sont une réalité. Il faut que les repreneurs et le gouvernement en soient pleinement conscients. Le manque de transparence des repreneurs crée de légitimes inquiétudes en termes d'emplois au siège social ».

Discours d'alerte aussi du côté de Pierrick Courbon, leader socialiste de l'opposition municipale. « Nous dénonçons depuis des mois le fait que les salariés et leurs représentants soient tenus à l'écart des grandes manœuvres boursières et financières qui déterminent aujourd'hui l'avenir de Casino et de ses emplois. Les salariés comme les élus locaux doivent se contenter de lire la presse pour être à jour des orientations prises par les dirigeants. Cette situation inacceptable ne peut plus durer ».

Fort impact à craindre sur le nouveau quartier d'affaires de Châteaucreux

L'impact d'une potentielle disparition du siège social stéphanois retentirait comme une déflagration pour toute la ville. Et en particulier pour le nouveau quartier d'affaires de Châteaucreux et les nombreux commerces qui y ont fleuri ces dernières années. « C'est difficile de quantifier mais j'ai de très nombreux salariés qui viennent déjeuner chez moi tous les jours », s'alarme Franck Petiot, le patron du restaurant Au Bureau, situé juste à côté du siège social de Casino. A quelques mètres de là, la Taverne de Maître Kanter, institution gastronomique du quartier depuis de nombreuses années, serait elle aussi impactée. « Chaque jour, sur nos 120 couverts du déjeuner, nous avons en moyenne 10% de salariés Casino », confie le directeur de l'établissement, Nicolas Bayle. En poste depuis deux ans pour cet établissement, il avait auparavant travaillé 22 ans pour Casino restauration... et se dit affecté par la situation du groupe. « C'est toute l'image de Saint-Etienne qui en prend un coup ».

Quentin Bataillon, le député Renaissance, pointe lui aussi l'impact très négatif qui pourrait résulter d'une disparition du siège social. Pour l'emploi évidemment, mais plus globalement, sur l'ensemble de la ville et sur le quartier de Châteaucreux. « Il y a des familles entières qui travaillent pour Casino ainsi que de très nombreuses entreprises (sous-traitants et fournisseurs) qui avaient un lien de proximité immédiat avec le groupe. Pour le quartier de Châteaucreux, ce serait une catastrophe. Sans compter, que sans les collaborateurs de Casino qui se déplacent entre Paris et Saint-Etienne, les liaisons quotidiennes directes en TGV pourraient être remises en cause par la SNCF. Avec des conséquences pour toute l'économie locale. Et puis l'image... Nous avons déjà l'ASSE en ligue 2, un maire mis en examen et maintenant Casino... On voyait un nouveau dynamisme économique à Saint-Etienne, tout est remis en question ».

Une réunion à Bercy avec les représentants du personnel et les repreneurs est programmée pour ce jeudi. Les organisations syndicales ont-elles, déposé un préavis de grève jusqu'à la fin du mois de décembre.

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Commentaires 12
à écrit le 06/12/2023 à 19:21
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Un billet spécial pour @Idx, sachant que Bâle II et Bâle III sont de la foutaise. Les accords de Bâle et le mythe du capital bancaire, vu sous l’angle des Bonus et de la dépréciation des “actifs". POURQUOI LA PLUPART DES BANQUES PRÉFÈRENT-ELLES DÉTEN...

à écrit le 06/12/2023 à 15:54
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Casino est le premier groupe de distribution alimentaire ã tomber mais tous les observateurs avisés le prédisaient depuis une décennie.Casino a toujours eu une politique de prix dans ses hypers et supers superieurs ã ses concurrents. Cette politique ...

à écrit le 06/12/2023 à 12:16
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Le quidam s'interroge? ["Je ne comprends pas comment les banques ont pu suivre aussi longtemps alors que nous, pour un simple prêt immobilier, on nous interdit d'aller au-delà de 30% de nos revenus"] Mais c'est très simple à comprendre pourtant, car ...

le 06/12/2023 à 13:43
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Est ce que Bâle II change quelque chose à l'affaire ?

le 07/12/2023 à 9:03
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@Idx. Fondamentalement non, pas plus que Bâle III.

à écrit le 06/12/2023 à 11:42
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Beauseigne...

à écrit le 06/12/2023 à 10:54
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On comprend mal qu'un brillant financier ait osé se lancer dans l'épicerie et y laisser la chemise de ses collaborateurs. Il cumule les divorces: avec ses actionnaires, ses fournisseurs, son personnel; vivement qu'il quitte cette case noire pour en r...

le 06/12/2023 à 12:51
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Ce fameux génie ??? Jean Charles Ponzi serait mieux à la santé !!! Pour s en refaire une !

à écrit le 06/12/2023 à 10:53
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Quand on laisse un financier aux manettes : il a coulé rallye en Bretagne, tout le cash est remonté en haut .. .. en cours de comptabilité on nous apprends que la richesse du secteur de la distribution c est pas ses bénéfices assez mince -5% en moy...

le 06/12/2023 à 14:39
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Dans la grande distribution, les délais de paiement sont plutôt de 120 jours que de 60!

à écrit le 06/12/2023 à 10:39
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c est cuit , ça sent le sapin surtout a noël

à écrit le 06/12/2023 à 10:20
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Oui mais quand on voit les dégâts du dumping social et des ses esclaves salariés, qui sont d'europe de l'est actuellement, et la vassalité de nos syndicats vis à vis du patronna on voit bien qu'ils s'en tapent complètement des salariés. Depuis la dél...

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