![Ils étaient plusieurs milliers d'opposants la semaine dernière à manifester contre le projet de construction de deux importantes retenues d'eau destinées à l'irrigation agricole dans le Puy-de-Dôme. Ils demandent un moratoire, au niveau local et national.](https://static.latribune.fr/full_width/2373554/ils-etaient-plusieurs-milliers-d-opposants-la-semaine-derniere-a-manifester-contre-le-projet-de-constructions-de-deux-importantes-retenues-d-eau-destinees-a-l-irrigation-agricole-dans-le-puy-de-dome.jpg)
C'est une bataille qui ne fait que commencer sur la plaine de la Limagne, plus précisément sur les communes de Bouzel et Saint-Georges-sur-Allier, à une vingtaine de kilomètres de Clermont-Ferrand (Puy-De-Dôme).
Samedi dernier, entre 4.000 (selon la préfecture) et 6.500 personnes (selon l'organisation) se sont rassemblées, au milieu des champs, pour protester contre un projet qui prévoit la construction, d'ici deux ans, de deux retenues d'eau. 36 agriculteurs, répartis sur 15 communes, en sont à l'origine. Ils souhaitent pomper de l'eau dans la rivière, Allier, l'hiver et la stocker afin d'irriguer 800 hectares de cultures l'été, que ce soit du maïs, du tournesol ou encore de l'ail.
Contrairement à Sainte-Soline, il y a un peu plus d'un an, aucun affrontement n'a eu lieu. Mais les arguments des opposants au « méga-bassines » sont les mêmes. Ils dénoncent un accaparement de la ressource par un petit nombre et une mauvaise répartition, même s'ils reconnaissent que le projet est très différent de celui des Deux-Sèvres. La taille des exploitations agricoles concernées est, en effet, plus petite et il n'est pas prévu de pompage dans les nappes phréatiques.
En fait, si le projet cristallise autant les tensions, c'est qu'il est prévu que ces deux retenues soient implantées sur 14 hectares pour l'une et 18 hectares pour l'autre, ce qui en ferait les plus grandes bassines de France à destination de l'irrigation agricole.
Inquiétudes autour de la loi d'orientation agricole
Pour le moment, aucune autorisation officielle n'a encore été demandée et les études sont encore en cours, mais les détracteurs du projet souhaitaient prendre les devants.
« On le voit, le ministre de l'Agriculture veut accélérer les constructions de ces retenues avec 100 bassines en 2024. Il y a aussi un décret qui vient de réduire le délai pour faire un recours contre les projets de réserve d'eau pour l'irrigation. Sans oublier la loi d'orientation agricole, toutes ces mesures nous poussent à nous mobiliser », détaille Ludovic Landais, porte-parole de la Confédération paysanne 63, un des organisateurs de la manifestation.
Et ce représentant se félicite : « Nous étions nombreux, riverains, élus mais aussi agriculteurs, pour montrer que nous ne sommes pas d'accord, alors même que le projet n'est pas sorti de terre. Plus on intervient en amont, plus il est raisonnable d'arrêter le projet. » Ces détracteurs s'inquiètent notamment du projet de loi d'orientation agricole, arrivé mardi à l'Assemblée nationale, qui consacre « la protection, la valorisation et le développement de l'agriculture et de la pêche » au rang d'« intérêt général majeur ». Le texte est bâti autour de la notion de « souveraineté alimentaire » et l'une des mesures visent à faciliter le parcours des projets de structures de retenues d'eau.
Plus grandes retenues de France
C'est justement cet enjeu de souveraineté alimentaire que brandissent les agriculteurs regroupés au sein de l'Association syndicale libre des Turlurons. Ils défendent également un projet vital pour leurs exploitations, pénalisées par le dérèglement climatique et les pluies de plus en plus irrégulières.
« Il n'y a pas d'agriculture sans eau. Derrière ce projet, il faut comprendre qu'il a un enjeu de pérennité de notre modèle et le maintien de la structure familiale de nos exploitations. 80% des productions du département sont destinées à l'alimentation humaine en filière courte. Notre objectif c'est aussi que l'ensemble du territoire profite de ces retenues », explique Vincent Delarbre, agriculteur engagé dans le projet estimé entre 20 et 25 millions d'euros.
Philippe Planche, céréalier et éleveur bovin à Billom, également membre de l'Association syndicale libre des Turlurons ajoute : « Nous sommes bien conscients que ces réservoirs ne sont pas la seule solution. En parallèle, nous faisons évoluer nos méthodes, nous stockons des matières organiques, nous travaillons moins la terre... nous savons que nous devons aussi nous remettre en question ».
Dans ce bras de fer et cette bataille de l'opinion, les agriculteurs sont soutenus par le puissant syndicat de la FNSEA. Sabine Tholoniat, sa présidente dans le département du Puy-de-Dôme, entend clarifier certains points. « On ne fait pas n'importe quoi dans n'importe quelles conditions. Des études sont en cours. Par exemple, l'une des retenues va être décalée car l'étude géologique montre que ce n'était pas faisable sur le site de Saint-Georges, la terre ne permettant pas de faire les digues. Vous voyez tout est très encadré ». Et cette agricultrice précise également que le projet prévoit de pomper à peu près 0,12% du volume annuel d'eau de l'Allier, ce qui permet selon elle de relativiser.
« Et le principe même de l'irrigation, c'est que l'eau revienne à la terre. Elle est donc destinée à retourner dans son milieu et non pas à traiter du plastique par exemple. Le principe est vertueux », argumente cette représentante syndicale.
Limagrain pointé du doigts par les opposants
Ce discours, les opposants ne l'entendent pas, car, selon eux, derrière ce projet se cache le groupe Limagrain, quatrième semencier mondial installé dans le Puy-de-Dôme, et dont le président fait partie des 36 agriculteurs. Ils dénoncent un projet de « l'agro-industrie ».
« Il faut bien préciser que 7% seulement des surfaces utiles agricoles en France sont irriguées, principalement pour le maïs. Cela concerne les cultures intensives et destinées à l'exportation. La raison de ces bassines sur la plaine de Limagne, c'est le maïs semence que Limagrain vend partout dans le monde. Même si dans leur propagande les agriculteurs parlent de plantes aromatiques ou de céréales », souligne Ludovic Landais de la Confédération paysanne 63.
Interrogé par La Tribune, Limagrain précise, de son côté, n'être ni à l'origine ni à l'initiative de ces retenues, sans vouloir faire plus de commentaires. Les agriculteurs des Turlurons répondent, eux, que ces réserves vont servir, au contraire, à diversifier leurs cultures. « Moi je compte produire plus d'alimentation pour mes vaches par exemple, notamment des protéines. Cela devrait me permettre d'éviter justement les importations de tourteaux qui viennent en grande partie d'Amérique du Sud. Mon objectif est d'être autonome », indique Philippe Planche.
« Nous n'allons pas faire une ZAD en Auvergne »
Les membres du collectif Bassines Non Merci 63, tout comme la Confédération paysanne, continuent de revendiquer une « agriculture paysanne », territoriale, faite à une « échelle raisonnable ». La suite du mouvement ? Les anti-bassines la voient maintenant au niveau politique et syndical.
« Nous n'allons pas faire une ZAD en Auvergne. Nous avons prouvé, la semaine dernière, que nous ne sommes pas des violents. Nous voulons désormais échanger dans le cadre d'« un printemps de l'eau », comme souhaite l'organiser le préfet du Puy-de-Dôme. Nous avons des propositions pour restaurer les zones humides dans la plaine de Limagne, les zones de retenues naturelles d'eau. On peut aussi replanter des arbres... bref, il y a des solutions alternatives plus sobres, plus simples et surtout moins coûteuses car ces retenues vont demander beaucoup d'argent public », rappelle Ludovic Landais.
Au niveau politique, les opposants demandent un moratoire, au niveau local et national, sur ces retenues. Et ils le répètent. Leur objectif : « que ces méga-bassines ne voient jamais le jour en Auvergne ».
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