La Comareg a-t-elle été sacrifiée ?

La société éditrice de Paru Vendu, a employé jusqu’à 3 000 personnes dont plus de 500 en Rhône-Alpes où elle est née et détenait son siège social. Pourtant, en à peine trois ans, la très profitable filiale du Groupe Hersant Média (GHM) s’est enfoncée dans une crise dont elle ne se relèvera pas. Retour sur un naufrage qui aurait peut-être pu être évité. C’était l’un des fleurons de la presse gratuite en France. Née à Grenoble à la fin des années 1970, la Comareg – éditeur de Paru Vendu – a été liquidée en novembre 2011 à Lyon, entrainant le plus important plan social français de l’année. L’ancienne vache à lait du Groupe Hersant Média (GHM) a laissé, au terme de trois années d’une descente aux enfers, plus de 3 000 salariés sur le carreau. Et engendré une dette qui dépasserait largement les 80 M€. Si le manque de vision stratégique de la direction explique vraisemblablement ce fiasco, une question reste en suspens : la mort de la Comareg était-elle inéluctable ? N’était-il pas possible de sauver au moins une partie de l’activité ? Pour de nombreux salariés du groupe, la liquidation du groupe laisse un goût amer. « Comareg a été sacrifiée au profit de GHM qui voulait à tout prix sauver son groupe de presse quotidienne », affirme un ancien délégué syndical. Car tout laisse à penser qu’il existait bien une solution permettant à la Comareg de ne pas sombrer définitivement. Même au plus fort de la crise, de nombreux titres du groupe restaient encore profitables. Notamment ceux situés en Rhône-Alpes et à l’est d’une ligne allant de Belfort à Montpellier. « La solution consistant à recentrer l’entreprise sur Rhône-Alpes où les marges étaient encore bonnes a été évoquée à plusieurs reprises en comité de direction », confirme une source proche de la direction. Pourtant, GHM n’en fera rien. Embourbé dans de graves difficultés financières, Philippe Hersant, qui contrôle notamment les journaux Paris Normandie, l’Union de Reims, Nice Matin ou la Provence, a vraisemblablement cherché à se débarrasser de son pôle de presse gratuite. C’est pourtant ce dernier qui lui avait permis de financer en 2007 le rachat du pôle Sud de Lagardère (La Provence, Nice Matin…). Fin novembre 2011 alors que la liquidation de la Comareg vient d’être prononcée, GHM trouve un accord inespéré avec ses dix-sept banques créancières. Celles-ci consentent à abandonner la moitié de ses créances sur ses 215 M€ de perte. Mais cet accord est directement lié à son alliance avec le groupe belge Rossel (La Voix du Nord, Le Soir…) qui envisage la création d'une holding commune afin de constituer le troisième groupe français de presse quotidienne régionale. Or Rossel pose ses conditions à ce rapprochement stratégique : il impose une restructuration drastique à GHM. « Rossel a demandé très tôt à GHM de lâcher la Comareg qui perdait beaucoup d’argent », déplore une source syndicale. Depuis quand Hersant savait-il qu’il ne proposerait aucun plan de continuation pour la Comareg ? Difficile à dire. Mais d’après plusieurs articles de presse, il semblerait que les deux groupes de presse négociaient leur rapprochement depuis plusieurs mois, voire plusieurs années déjà. Incompréhension et conflit d’intérêt Pourtant, au sein de la Comareg, personne ne semble avoir été mis au courant de ces tractations. Le groupe racheté en 2003 à Vivendi, subissait de plein fouet l’effondrement du marché de la publicité sur le papier depuis 2008. Son erreur : ne pas avoir anticipé sa mutation sur Internet. Entre 2009 et 2010, la Comareg perd ainsi plus de 40 M€ avec un CA qui ne cesse de baisser : 348 M€ en 2008 puis 259 M€ en 2009 et 230 M€ en 2010. C’est alors que plusieurs décisions stratégiques peu compréhensibles vont être prises. La première concerne le plan social engagé au milieu de l’année 2009. Devant l’effondrement de son CA, la direction décide de supprimer 60 collaborateurs seulement sur les 2 500 salariés que compte le groupe. « C’était un coup d’épée dans l’eau ! », s’emporte un ancien délégué syndical. « Tout le monde savait que pour avoir des chances de sauver l’entreprise, il fallait supprimer dix fois plus de personnes. » Plongé dans l’incompréhension, le comité d’entreprise commande même une expertise auprès d’un cabinet spécialisé. Celui-ci confirme qu’un plan social de cette envergure ne sert à rien. Du côté de la direction pourtant, c’est « no comment ». Finalement, un second plan social aura lieu fin 2009. 250 personnes seront concernées. « Là encore, tout le monde s’attendait à beaucoup plus », se souvient le délégué syndical. C’est à la suite de ces deux plans sociaux successifs que Philippe Hersant décide d’évincer son directeur général. Philippe Bost est remplacé en septembre 2010 par Luis Courtot, un Parisien qui avait fait ses preuves au sein de Trader Classified Media, le groupe qui gérait le journal de petites annonces automobiles La Centrale. Sa mission officielle : redresser l’entreprise en sauvant ce qu’il peut. Mais pour l’épauler, il nomme à la très stratégique direction commerciale un illustre inconnu : Bruno Goffin dont les compétences seront sérieusement mises en cause. En interne, ce jeu de chaises musicales fait l’effet d’une bombe. Des clans se forment entre les partisans de la nouvelle et de l’ancienne équipe. « L’ambiance était épouvantable », se souvient un cadre. A tel point que la nouvelle direction doit faire appel à un cabinet d’audit extérieur pour gérer la crise sociale interne. Fin 2010, la Comareg décide de se placer sous la protection du tribunal de commerce qui prononce sa mise en redressement judiciaire. Deux administrateurs judiciaires sont alors nommés afin de défendre les intérêts de la société face à ses créanciers : Bruno Sapin et Laurence Lessertois. Or, il se trouve que cette dernière est désignée dans la foulée comme mandataire ad hoc du groupe GHM afin de permettre à Philippe Hersant d’entrer en conciliation avec ses créanciers. « Comment ne pas penser qu’il y avait un conflit d’intérêt entre les deux fonctions qu’occupait maître Lessertois », s’interroge une déléguée syndicale. En clair, le redressement de Comareg allait à l’encontre des intérêts de GHM qui devait se séparer de sa filiale pour assurer son rapprochement avec Rossel… Début 2011, un troisième plan social est annoncé. Ce sera le dernier avant la liquidation en novembre. 758 licenciements supplémentaires sont prononcés, soit 40% des effectifs de la Comareg et d’Hebdoprint (imprimeries du groupe). Rendez-vous annulés Contre toute attente, les dirigeants du groupe lancent alors une nouvelle formule de ParuVendu et ambitionnent encore de tripler le CA sur le web. Le tribunal de commerce de Lyon décide de prolonger une nouvelle fois la période d’observation de la Comareg. Mais ce sera la dernière. Le 3 novembre, soit vingt jours avant la date prévue initialement, il prononce la liquidation de Comareg et de sa filiale d’impression Hebdoprint, laissant encore 1 650 salariés sur le carreau dont 350 en Rhône-Alpes. « Laurence Lessertois a annulé d’un coup tous les rendez-vous qui avaient été fixés les semaines d’avant, sans donner de raison », se souvient un salarié. De même, les deux administrateurs judiciaires n’autoriseront qu’une période de quinze jours après la liquidation pour tenter de trouver des repreneurs partiels. Ironie de l’histoire, le rapprochement tant espéré avec le groupe Rossel ne se fera finalement pas, ce dernier ayant jeté l’éponge en juin dernier, accusant la CGT d’avoir fait capoter le projet. Quant à Philippe Hersant, il est installé depuis 2003 en Suisse, sur les bords du lac Léman où il a bâti un autre groupe de presse baptisé Editions Suisse Holding. Géré par son fidèle lieutenant Jacques Richard, il génère une soixantaine de millions d'euros de chiffre d'affaires. Et affiche une rentabilité bien supérieure à celle de la presse française… Camille Nagyos

C'était l'un des fleurons de la presse gratuite en France. Née à Grenoble à la fin des années 1970, la Comareg - éditeur de Paru Vendu - a été liquidée en novembre 2011 à Lyon, entrainant le plus important plan social français de l'année. L'ancienne vache à lait du Groupe Hersant Média (GHM) a laissé, au terme de trois années d'une descente aux enfers, plus de 3 000 salariés sur le carreau. Et engendré une dette qui dépasserait largement les 80 M€.

Si le manque de vision stratégique de la direction explique vraisemblablement ce fiasco, une question reste en suspens : la mort de la Comareg était-elle inéluctable ? N'était-il pas possible de sauver au moins une partie de l'activité ? Pour de nombreux salariés du groupe, la liquidation du groupe laisse un goût amer. « Comareg a été sacrifiée au profit de GHM qui voulait à tout prix sauver son groupe de presse quotidienne », affirme un ancien délégué syndical.

Car tout laisse à penser qu'il existait bien une solution permettant à la Comareg de ne pas sombrer définitivement. Même au plus fort de la crise, de nombreux titres du groupe restaient encore profitables. Notamment ceux situés en Rhône-Alpes et à l'est d'une ligne allant de Belfort à Montpellier. « La solution consistant à recentrer l'entreprise sur Rhône-Alpes où les marges étaient encore bonnes a été évoquée à plusieurs reprises en comité de direction », confirme une source proche de la direction. Pourtant, GHM n'en fera rien. Embourbé dans de graves difficultés financières, Philippe Hersant, qui contrôle notamment les journaux Paris Normandie, l'Union de Reims, Nice Matin ou la Provence, a vraisemblablement cherché à se débarrasser de son pôle de presse gratuite. C'est pourtant ce dernier qui lui avait permis de financer en 2007 le rachat du pôle Sud de Lagardère (La Provence, Nice Matin…). 

Fin novembre 2011 alors que la liquidation de la Comareg vient d'être prononcée, GHM trouve un accord inespéré avec ses dix-sept banques créancières. Celles-ci consentent à abandonner la moitié de ses créances sur ses 215?M€ de perte. Mais cet accord est directement lié à son alliance avec le groupe belge Rossel (La Voix du Nord, Le Soir…) qui envisage la création d'une holding commune afin de constituer le troisième groupe français de presse quotidienne régionale. Or Rossel pose ses conditions à ce rapprochement stratégique : il impose une restructuration drastique à GHM. « Rossel a demandé très tôt à GHM de lâcher la Comareg qui perdait beaucoup d'argent », déplore une source syndicale. Depuis quand Hersant savait-il qu'il ne proposerait aucun plan de continuation pour la Comareg ? Difficile à dire. Mais d'après plusieurs articles de presse, il semblerait que les deux groupes de presse négociaient leur rapprochement depuis plusieurs mois, voire plusieurs années déjà.

 

Incompréhension et conflit d'intérêt

Pourtant, au sein de la Comareg, personne ne semble avoir été mis au courant de ces tractations. Le groupe racheté en 2003 à Vivendi, subissait de plein fouet l'effondrement du marché de la publicité sur le papier depuis 2008. Son erreur : ne pas avoir anticipé sa mutation sur Internet. Entre 2009 et 2010, la Comareg perd ainsi plus de 40 M€ avec un CA qui ne cesse de baisser : 348 M€ en 2008 puis 259 M€ en 2009 et 230 M€ en 2010. C'est alors que plusieurs décisions stratégiques peu compréhensibles vont être prises.

La première concerne le plan social engagé au milieu de l'année 2009. Devant l'effondrement de son CA, la direction décide de supprimer 60 collaborateurs seulement sur les 2 500 salariés que compte le groupe. « C'était un coup d'épée dans l'eau ! », s'emporte un ancien délégué syndical. « Tout le monde savait que pour avoir des chances de sauver l'entreprise, il fallait supprimer dix fois plus de personnes. » Plongé dans l'incompréhension, le comité d'entreprise commande même une expertise auprès d'un cabinet spécialisé. Celui-ci confirme qu'un plan social de cette envergure ne sert à rien. Du côté de la direction pourtant, c'est « no comment ». Finalement, un second plan social aura lieu fin 2009. 250 personnes seront concernées. « Là encore, tout le monde s'attendait à beaucoup plus », se souvient le délégué syndical.

C'est à la suite de ces deux plans sociaux successifs que Philippe Hersant décide d'évincer son directeur général. Philippe Bost est remplacé en septembre 2010 par Luis Courtot, un Parisien qui avait fait ses preuves au sein de Trader Classified Media, le groupe qui gérait le journal de petites annonces automobiles La Centrale. Sa mission officielle : redresser l'entreprise en sauvant ce qu'il peut. Mais pour l'épauler, il nomme à la très stratégique direction commerciale un illustre inconnu : Bruno Goffin dont les compétences seront sérieusement mises en cause. En interne, ce jeu de chaises musicales fait l'effet d'une bombe. Des clans se forment entre les partisans de la nouvelle et de l'ancienne équipe. « L'ambiance était épouvantable », se souvient un cadre. A tel point que la nouvelle direction doit faire appel à un cabinet d'audit extérieur pour gérer la crise sociale interne.

Fin 2010, la Comareg décide de se placer sous la protection du tribunal de commerce qui prononce sa mise en redressement judiciaire. Deux administrateurs judiciaires sont alors nommés afin de défendre les intérêts de la société face à ses créanciers : Bruno Sapin et Laurence Lessertois. Or, il se trouve que cette dernière est désignée dans la foulée comme mandataire ad hoc du groupe GHM afin de permettre à Philippe Hersant d'entrer en conciliation avec ses créanciers. « Comment ne pas penser qu'il y avait un conflit d'intérêt entre les deux fonctions qu'occupait maître Lessertois », s'interroge une déléguée syndicale. En clair, le redressement de Comareg allait à l'encontre des intérêts de GHM qui devait se séparer de sa filiale pour assurer son rapprochement avec Rossel… Début 2011, un troisième plan social est annoncé. Ce sera le dernier avant la liquidation en novembre. 758 licenciements supplémentaires sont prononcés, soit 40% des effectifs de la Comareg et d'Hebdoprint (imprimeries du groupe).

 

Rendez-vous annulés

Contre toute attente, les dirigeants du groupe lancent alors une nouvelle formule de ParuVendu et ambitionnent encore de tripler le CA sur le web. Le tribunal de commerce de Lyon décide de prolonger une nouvelle fois la période d'observation de la Comareg. Mais ce sera la dernière. Le 3 novembre, soit vingt jours avant la date prévue initialement, il prononce la liquidation de Comareg et de sa filiale d'impression Hebdoprint, laissant encore 1 650 salariés sur le carreau dont 350 en Rhône-Alpes. « Laurence Lessertois a annulé d'un coup tous les rendez-vous qui avaient été fixés les semaines d'avant, sans donner de raison », se souvient un salarié. De même, les deux administrateurs judiciaires n'autoriseront qu'une période de quinze jours après la liquidation pour tenter de trouver des repreneurs partiels.

Ironie de l'histoire, le rapprochement tant espéré avec le groupe Rossel ne se fera finalement pas, ce dernier ayant jeté l'éponge en juin dernier, accusant la CGT d'avoir fait capoter le projet. Quant à Philippe Hersant, il est installé depuis 2003 en Suisse, sur les bords du lac Léman où il a bâti un autre groupe de presse baptisé Editions Suisse Holding. Géré par son fidèle lieutenant Jacques Richard, il génère une soixantaine de millions d'euros de chiffre d'affaires. Et affiche une rentabilité bien supérieure à celle de la presse française…

 

 

Par Camille Nagyos.

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Commentaire 1
à écrit le 15/08/2020 à 19:07
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