Recyclage : Suez veut valoriser les déchets jusqu'ici enfouis au bout de la chaîne du papier

La société Suez vient d'inaugurer la première ligne de recyclage des torons papetiers, issus de la fabrication de papier à partir d'anciens cartons, jusqu'alors enfouis. Cette nouvelle opération, effectuée dans la Drôme, répond notamment à des incitations législatives, permettant de valoriser une énergie et des matières jusqu'alors perdues et polluantes.
Les torons papetiers, déchets issus du recyclage des cartons, constituent une masse très dense de matières métalliques et plastiques, jusqu'alors enfouis.
Les torons papetiers, déchets issus du recyclage des cartons, constituent une masse très dense de matières métalliques et plastiques, jusqu'alors enfouis. (Crédits : Emma Rodot - La Tribune AURA)

C'est une nouvelle ligne de production, qui ne tient qu'à une pince, un broyeur et un séparateur de matières : métaux d'un côté, plastiques de l'autre. Suez, spécialiste du traitement de l'eau et du recyclage, vient de lancer pour la première fois en France une ligne de tri des torons papetiers, déchets issus de la création de nouveau papier à partir de cartons recyclés (comme les scotch, les lanières en plastique autour des ballots, des fils de fer) et jusqu'alors enfouis dans des décharges habilitées. L'outil, développé depuis 2017 par la société, et qui n'a jamais été opéré jusqu'alors, entend « fermer » le cycle de vie de ces matières en les valorisant, notamment d'un point de vue énergétique. Suez, déjà compétente en la matière avant son rachat par le groupe Veolia en 2022, a également récupéré ses activités de traitement des déchets dits « dangereux », ainsi que ses anciens actifs de gestion des déchets au Royaume-Uni.

Ainsi, dès 2024, près de 7.500 tonnes de déchets papetiers, issus de toute la France, seront traités par cette nouvelle machine située à Chabeuil, près de Valence (Drôme). Le tout, pour un résultat composé à 28 % de métaux, ensuite revendus à deux clients : Saint-Gobain pour les plus gros volumes, mais aussi la Fonderie Vincent, à Brignais (Rhône), spécialisée dans la restitution du patrimoine historique. Le reste, soit 72 % des déchets, sont des « refus », à savoir des déchets plastiques qui seront brûlés afin d'alimenter en vapeur d'eau le réseau de chauffage des industries de la plateforme chimique de Roussillon (Isère), au sud de Lyon.

Cette nouvelle ligne permet ainsi une « bascule », dépeint Guillaume Le Goff, directeur du territoire Auvergne-Rhône-Alpes et Provence-Alpes-Côte-d'Azur pour Suez :

« Nous ne savions pas valoriser ces déchets hier - c'est un enchevêtrement de ferrailles, de plastiques, de papiers. Et la réglementation réduit aujourd'hui drastiquement l'enfouissement. Nous avons voulu être innovant avec cet outil. Nous passons ainsi d'un produit 100 % enfoui à un produit 100 % recyclé, avec des filières de proximité ».

Produit d'incitations législatives

Cet investissement, de 2 millions d'euros (la moitié pour le développement de l'outil, l'autre moitié pour son aménagement), subventionné à hauteur de 300.000 euros par l'Ademe, s'inscrit notamment dans le Plan régional de prévention et de gestion des déchets (PRPGD) d'Auvergne-Rhône-Alpes, prévoyant une réduction de 50 % des capacités d'enfouissement en 2025 par rapport aux quantités enfouies en 2010.

De même, il répond aussi à la ligne de conduite impulsée par la loi Agec (2021), imposant un retrait progressif de l'enfouissement pour les déchets dits non dangereux et comportant un taux de matières métalliques supérieur ou égal à 30 % (ce qui n'est pas le cas, à deux points près, des torons papetiers). Si leur recyclage n'est ainsi pas obligatoire, une autre incitation est venue s'ajouter : à savoir la hausse de la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP), pour chaque tonne de déchets enfouis, rendant cette nouvelle ligne malgré tout intéressante pour Suez.

Car, comme le notait la Cour des comptes dans un rapport publié en 2022, « cette stratégie d'élimination de la mise en décharge, couplée avec l'application d'une taxe générale sur les activités polluantes (TGAP) fortement désincitative, devrait permettre d'améliorer notoirement les performances du recyclage en France, comme chez nos voisins (Pays-Bas, Autriche, Belgique, Allemagne ) qui ont adopté ce type de mesure depuis les années 1990 ». Les magistrats déplorent cependant que l'enfouissement représentait encore 21% du traitement des déchets en 2022, et encouragent à le remplacer au moins par une valorisation énergétique modernisée et répondant « au meilleures techniques disponibles au niveau européen ».

« Une équation à trois inconnues »

Si la société ne s'emparait pas du sujet jusqu'alors, c'était surtout pour des questions de coordination de l'ensemble des acteurs, dont les régions, gestionnaires des enfouissements. « Nous sommes les seuls à recycler 100 % des torons. Nous n'avons pas de brevet parce qu'il n'y a pas d'invention. Les broyeurs existent, les lignes industrielles et les exutoires aussi. Il fallait simplement faire imbriquer tout cela, mais aussi obtenir des flux en amont et des filières en aval », remarque sur place Jérôme Abbatista, directeur recyclage et valorisation de l'agence Drôme Ardèche Vaucluse.

Ainsi, Suez traite avec des papetiers exerçant non seulement à proximité (pour 3.000 t sur les 7.500 t), mais aussi dans le Nord de la France, en Alsace, dans le Doux et la région Pays de la Loire. Pour Jérôme Abbatista, l'idée est d'abord de capter ces flux, avant d'envisager un élargissement à d'autres fournisseurs.

Du côté de la rentabilité, il y a d'ailleurs débat. Il faut en effet trouver un point d'équilibre entre les métaux vendus à la sortie et les refus, envoyés à l'incinération, qui constituent quant à eux une charge pour Suez. « Nous essayons de trouver des solutions et si elle ne sont pas rentables, nous essayons d'aller chercher plus de subventions, discuter avec les clients qui, certains, sont prêts à payer un peu plus chers parce qu'ils mettent un point d'honneur à ce que tous leurs déchets soient 100 % recyclés », remarque Laurent Carrot.

De même, le prototype constitue « une équation à trois inconnues » selon Guillaume Le Goff : « Nous sommes dans un risque permanent avec un marché à l'entrée et des marchés à la sortie, qui fluctuent et ne sont pas stables. L'acier par exemple est une matière première secondaire dont le prix fluctue mensuellement, en fonction de la demande mondiale. Si les prix chutent, pour x ou y raison, ou s'ils montent, cela change complètement l'équilibre de l'outil ».

Idem du côté des refus, pour lesquels la valorisation n'est pas si évidente, car confrontée à d'autres matières plus calorifiques : « il n'est pas dit non plus que notre produit soit le premier appelé pour alimenter ces chaudières », ajoute le directeur de la région Sud-Est.

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaire 0

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

Il n'y a actuellement aucun commentaire concernant cet article.
Soyez le premier à donner votre avis !

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.