Les 110 almatiens s’attaquent au marché mondial de la FAO

Une SCOP iséroise trace sa route en France et à l’international et tente de s’imposer face aux fonds de pension américains. Son ambition : devenir un acteur de poids sur le marché mondial des sociétés informatiques. Et faire profiter de la croissance à tous ses salariés.

« Ici, on considère que pour que une entreprise fonctionne bien, on ne doit pas imposer un responsable à une équipe qui n'en veut pas ». Bienvenue dans l'univers des SCOP, ces sociétés coopératives et participatives, héritières des coopératives ouvrières. C'est dans la banlieue de Grenoble, à Saint-Martin-d'Hères, que s'est installée l'une d'entre elles : Alma, société leader sur le marché de la conception et fabrication assistée par ordinateur. Ici, les salariés déjeunent sur des tables de pique-nique mises bout à bout façon banquet républicain, décident de la stratégie de leur entreprise, et en deviennent actionnaires dès leur première année d'ancienneté. Un OVNI dans un univers où les concurrents sont surtout des sociétés de capital-risque américaines, à l'image de Battery Venture, qui rachète les PME les unes après les autres et se montre surtout préoccupé par des objectifs de réduction de coûts.

Si ses ambitions ne s'arrêtent pas là, Alma n'est pas insensible au succès économique. La société emploie 110 salariés en France et à l'étranger, affiche un chiffre d'affaires de 10 millions d'euros et une rentabilité nette de 15 à 16% par an. Avec 11 millions d'euros de fonds propres, la société est cotée F/3++ à la Banque de France, le maximum de la cotation évaluant la capacité de l'entreprise à honorer ses engagements financiers. En mars, elle est entrée au capital de Missler Software, deuxième éditeur français de logiciels CFAO (conception et fabrication assistée par ordinateur). Objectif : s'associer, pour gagner en effet de taille et peser à l'international. Cette stratégie de croissance externe est l'une des leçons de la crise de 2008-2009 : l'édition de logiciel de CFAO, qui consiste à conduire des machines qui font de la découpe ou de la robotique, est particulièrement liée à l'investissement industriel. Or 2009, l'activité d'Alma en France a subi de plein fouet la conjoncture. Si son carnet de commande n'a chuté que de 10%, c'est que la société est tirée par d'autres marchés en croissance, comme le Brésil ou les Etats-Unis. Par ailleurs, Alma est contraint de maintenir un volume élevé d'investissement en R&D, la compétitivité de la société reposant sur sa valeur ajoutée. Pour amortir ce coût fixe, il s'agit de développer la société à l'international.

Les « almatiens » ont donc conclu une participation à hauteur de 15% au capital de Missler, mais qui tient lieu de bague de fiançailles : si tout se passe bien, le mariage est prévu à un horizon de deux ans. Dans la corbeille de la mariée : un réseau de 150 distributeurs à l'international et 22 millions d'euros de chiffre d'affaires. « Missler détient une force de frappe importante à l'international, analyse Laurence Ruffin qui, à 34 ans, tient les rênes d'Alma. Cette fusion nous fera gagner du temps, et sera bénéfique tant du point de vue marketing que de la mutualisation de réseaux. Chacune des deux sociétés profitera de la notoriété de l'autre ».

 

Mariage entre une SCOP et une non-SCOP

Cette fusion n'est cependant pas sans risque pour Alma. La société iséroise s'allie à une entreprise deux fois plus importante (Missler compte environ 200 salariés) ne fonctionnant pas, elle, sous le régime d'une SCOP. Le rapprochement est donc non seulement commercial, mais surtout organisationnel et culturel. D'après Jean-Philippe Canovas, la première question qui se posera sera celle des salaires : « Puisque nous nous partageons ce que nous gagnons, ce sera l'un des enjeux majeurs du rapprochement », observe le responsable de l'une des quatre « scopettes » (business unit dans le jargon de la SCOP). Chez Alma, l'écart entre les salaires respecte une échelle de 1 à 3. 50% du résultat est redistribué sous forme de participation aux salariés (soit 850 000 euros en 2011), 40% sont affectées à un fond de réserve impartageable, et 10% sont reversés aux associés en dividende, en fonction du capital détenu. Ces principes seront-ils applicables à une structure à la hiérarchie plus classique ? Jusqu'ici, la possibilité d'acquérir des parts de Missler était réservée aux cadres les plus méritants, à rebrousse-poil de la logique almatienne, qui considère l'actionnariat salarié comme le point de départ du processus d'implication. « Ce qui était une valorisation ultime de la personne devient chez nous quelque chose de standard ».

A quoi ressemblera Alma-Missler Groupe ? Conservera-t-il le statut de SCOP ? Face à ces interrogations, Laurence Ruffin se montre à la fois confiante et prudente : « Avec Missler, nous partageons une vision de la société proche, qui ne se fonde pas sur des objectifs financiers à court-terme. Ce ne sont pas les statuts qui font qu'une organisation fonctionne ou non. Certaines entreprises classiques ont des modes de management très proches des SCOP. Ce qui compte, c'est de prendre le temps de construire la décision : informer, discuter, décider ».

De fait, Alma est déjà un groupe au statut juridique hybride : ses filiales à l'étranger ne sont pas des SCOP mais des structures commerciales classiques. « A l'étranger, nous sommes une entreprise comme les autres », confirme Philippe Rouzeau, en charge de l'animation du réseau de distribution. 5 filiales ont été ouvertes depuis 1990 : Italie, Allemagne, Chine, Brésil et Etats-Unis.  Un commercial export vient d'être recruté pour développer le réseau des distributeurs, notamment en Turquie et en Inde. Philippe Rouzeau croit fortement au développement d'Alma : « Il reste de la place en Europe pour notre gamme de produits 3D, la plus innovante. Il y a aussi de la place pour nous sur les marchés émergents. Là, les volumes nous permettent de vendre plus de licences qu'en Europe et constituent ainsi un relais de croissance important ».

Le mode d'organisation des SCOP, fondé sur le management participatif et la prise de décision collégiale, ne constitue-t-il pas un frein à la réactivité par rapport aux concurrents ? « Les gens s'attendent à ce que nous soyons lents, reconnaît Jean-Philippe Canovas. Mais dans la pratique, le processus de décision est bien organisé. Nous sommes souvent beaucoup plus réactifs que nos clients ou partenaires ». Moins de guerre des chefs, plus d'énergie investie dans la pédagogie, l'explication de la stratégie, et la compréhension des enjeux économiques. Chez Alma, tout le monde sait lire un compte de résultat. La stratégie n'est pas décidée collectivement, précise Laurence Ruffin : « On ne peut pas demander à chaque salarié de se préoccuper de la stratégie du groupe. Mais la construction de la décision permet aux collaborateurs d'adhérer et de faire remonter des idées ».

En attendant la fusion avec Missler, Alma diversifie ses activités en interne, toujours dans l'objectif de prendre le relais du marché industriel en Europe de l'Ouest. Son choix s'est arrêté sur le secteur de la santé. Depuis 2010, Alma installe dans les hôpitaux Cristal Net, le logiciel édité par le CHU de Grenoble. Six personnes ont été recrutées en deux ans sur cette nouvelle activité, qui assure en retour près d'un quart du chiffre d'affaires de la « scopette » Solutions collaboratives, qualité, santé. Un chiffre qui devrait grimper à 40% d'ici 2014.  Un chiffre record dans l'histoire de la SCOP.

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