"Le potentiel sociétal de l'IA embarquée est très riche" (Emmanuel Sabonnadière, CEA-Leti)

Le CEA-Leti a fait de l'IA embarquée l'une de ses priorités stratégiques. Son directeur, Emmanuel Sabonnadière, revient sur ses défis et ses enjeux pour l'industrie.
Après une première expérience à CEA Tech comme Directeur des Partenariats Industriels, Emmanuel Sabonnadière a pris en novembre 2017 la direction du Leti, l'un des instituts de CEA Tech en charge de la recherche technologique.
Après une première expérience à CEA Tech comme Directeur des Partenariats Industriels, Emmanuel Sabonnadière a pris en novembre 2017 la direction du Leti, l'un des instituts de CEA Tech en charge de la recherche technologique. (Crédits : DR)

Cette année, vous avez choisi de faire de l'IA embarquée la thématique phare de votre grand-rendez-vous annuel, les Leti days, qui se déroulent à Grenoble jusqu'à ce soir. En quoi cette technologie représente-t-elle un enjeu majeur pour l'industrie ?

Les Leti days, qui font partie des 5 à 6 grands rendez-vous annuels du secteur, aux côtés de MWC à Barcelone, de l'IEDM à San Francisco, ou encore de SOI Consortium à Shangaï en septembre, sont un grand rendez-vous de l'innovation au sein de la microélectronique. Chaque année, avec de grands développeurs et entreprises du secteur, keynotes et de débats permettent d'extirper quelles seront les grandes tendances et les grandes influences de la microélectronique des 12 à 24 prochains mois.

Dans ce contexte, l'IA embarquée est un thème assez nouveau.Très récemment, une étude du président d'Atos, Thierry Breton, a rappelé que l'IA embarquée devrait représenter, au cours des prochaines années, 80% du marché, contre 20% pour l'IA traditionnellement installée sur le cloud.

L'IA embarquée est la jonction entre un Cmos (une technologie de fabrication de composants électroniques, NDRL) pour la puissance de calcul et les mémoires pour l'apprentissage profond. Dans le monde, il existe deux grandes écoles, l'une américaine et l'autre chinoise, qui favorise de tout gérer et stocker dans le cloud.

Mais le fait que des règlements européens aient notamment voté des lois en matière de protection des données personnelles fait que l'autre école européenne va vers l'IA embarquée.

Si l'institut parisien, le CEA-List, développe depuis longtemps la partie software de l'IA, le CEA-Leti propose lui aussi des outils « plus hard » pour investir le champ de l'IA embarquée... De quelle manière l'IA embarquée s'est-elle intégrée sein des travaux du Leti ?

Quatre grands thèmes transversaux ont été choisi par le Leti après trois années de travaux en matière de marketing stratégique en vue de développer plus d'innovations, avec, parmi eux, l'IA embarquée, aux côtés du calcul quantique, des capteurs LiDAR et de la 5G digitale.

Ces grands thèmes peuvent bénéficier d'une plateforme transverse, dont les travaux sont financés en grande partie par le plan Nano2022. Nous avons aussi mis en place des chaires, dans le cadre de l'institut multidisciplinaire MIAI, dont 4 sur 28 portent sur les enjeux de l'IA embarquée.

Quels sont justement les enjeux à relever dans ce domaine ?

La réduction de la consommation des puces utilisées par l'IA embarquée constitue un enjeu, mais il existe également d'autres défis, en matière de construction de ces puces. Alors qu'on travaillait jusqu'ici souvent sur une logique de concentration visant à réduire le nombre de transistors par centimètre carré des plaques, la tendance est aujourd'hui à travailler à empiler ces derniers, sous format 3D.

Nous avons déjà réalisé à ce sujet la première intégration de puce compacte à travers une preuve de concept. Cela constituait un vrai défi car il existait beaucoup de théories depuis une dizaine d'années à ce sujet.

Le second gros enjeu, auquel nous travaillons avec notre institut List, concerne la manière dont la plateforme d'IA pourra respecter et retracer la fiabilité des prises de décisions prises par le système, afin qu'il ne se fasse pas leurrer par un capteur qui fonctionnerait mal par exemple.

L'adoption de l'IA reste-elle un défi pour vous ?

Il demeure un vrai enjeu sociétal d'acceptation car l'IA peut faire peur, même si son but n'est pas de remplacer l'humain dans la prise de décision comme on a pu l'entendre partout, mais plutôt de l'accompagner.

Mais il existe encore une barrière sociale et éthique à passer, et nous y travaillons, notamment en lien avec les travaux réalisés avec l'institut multidisciplinaire grenoblois qui vient d'être monté, MIAI.

Enfin, l'adoption de l'IA passera par des applications locales dans le véhicule autonome, les portables, les assistants personnels, etc... et par un transfert de ce qui a été appris par le cloud vers les systèmes embarqués. Ce sera une réalité d'ici 3 à 5 ans.

Quelles sont les applications possibles de cette IA embarquée ?

Le potentiel sociétal est très riche en matière d'IA embarquée : on pourrait la retrouver dans le domaine de l'automobile, car les voitures auront différents degrés d'autonomie et de moins en moins besoin de l'attention complète du chauffeur. Ce sera l'un des grands enjeux pour notre partenaire ST Micro, dont les composants couvrent dès aujourd'hui près de 80% de l'électronique embarquée à bord des voitures électriques.

Il pourrait aussi y avoir des applications au sein de dispositifs médicaux, afin qu'une radio ou un IRM soit stocké dans le cloud mais interprétable au niveau local avec des systèmes embarqués, pour être analysé et rester vos données personnelles. On pourrait même imaginer des applications dans le domaine de la lutte contre les fake news, pour aller interpréter ou vérifier une information en allant croiser des sources supplémentaires.

L'IA est aujourd'hui évoquée par un grand nombre d'acteurs... Est-elle devenue un passage obligé, voire, dans certains cas, un élément de discours ?

L'IA est en effet devenu un buzz word. Mais au Leti, nous l'appliquons de façon concrète en mettant en œuvre les techniques de l'apprentissage profond, et en confrontant ces apprentissages aux résultats réels.

Il existe aujourd'hui des technologies microélectroniques suffisamment matures, comme le FDSOI, inventé à Grenoble, qui supporte ces développements de l'IA embarquée. C'est pourquoi nous souhaitons aujourd'hui donner de la visibilité à l'IA à Grenoble, et à la région Auvergne-Rhône-Alpes plus largement, où nous possédons des compétences en matière d'apprentissage profond, de puissance de calcul, de capteurs multisources, d'intégration 3D...

Sur près de 1350 employés permanents et 600 doctorants et post-doctorants du Leti, près de 300 personnes travaillent de façon directe sur l'IA, et 500 personnes de façon indirecte.

L'IA embarquée sera l'une des grands axes de recherche du Leti pour les 10 prochaines années dans le cadre de la transition numérique.

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Commentaire 1
à écrit le 01/07/2019 à 11:20
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L'IA, sujet passionnant que le secteur marchand a complètement ringardisé le rendant ennuyant au possible, banal, aliénant. "Le commerce est l'école de la tromperie" Machiavel

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