Emmanuel Sabonnadière : "Le CEA-Leti prépare les grandes mutations de demain"

Fin novembre, Emmanuel Sabonnadière, 52 ans, a pris les commandes du CEA-Leti. Cet institut de CEA Tech en charge de la recherche technologique, occupe un rôle stratégique au sein de l’écosystème grenoblois. Avec près de 1 800 salariés et 300 brevets par an, il a été notamment le berceau d’entreprises comme Soitec, STMicroelectronics, ISKN ou Avalun. Le successeur de Marie-Noëlle Semeria entend désormais renforcer le rayonnement international du Leti, ainsi qu'investir de nouveaux axes de recherche comme l’internet of things (OIT) ou le domaine de la santé.
(Crédits : DR)

ACTEURS DE L'ECONOMIE - LA TRIBUNE. Vous êtes arrivé au CEA en septembre dernier, après une carrière de 25 ans passée au sein de l'industrie (Philips Lighting, General Cable Europe , NKM Noell , Alstom T&D, Schneider Electric). Votre expérience industrielle était-elle un point fort pour diriger un institut comme le Leti ?

EMMANUEL SABONNADIERE - Le Leti est un cœur d'innovation. Par mon expérience industrielle, j'ai eu l'occasion de constater que l'innovation est probablement l'un des enjeux majeurs de l'industrie. Si les entreprises ont déjà bien souvent leurs propres équipes de recherche en interne, le rôle du Leti est de préparer les grandes mutations de demain. Si nous arrivons à bien comprendre ce que veulent les industriels ainsi que leurs ambitions à long terme, nous pouvons regarder quels sont les éléments technologiques pour y répondre.

Que ce soit à travers le Leti, en les orientant vers des laboratoires ou des experts, ou en utilisant des financements de ressourcement comme les subventions Carnot pour orienter la recherche amont vers des projets à plus long terme.

Le rôle des partenariats est déterminant dans le financement du Leti ?

Aujourd'hui, près 40 % du budget du Leti (315 millions d'euros) est financé par des projets industriels, et 40 % par des grands programmes de recherche comme ceux que l'Europe. Les 15 à 20 % restants sont assurés par des subventions, entre autres. L'une de nos forces est d'avoir un grand réservoir de technologies immédiatement applicables par les industriels, qui sont le fruit des recherches menées au cours des 20 dernières années.

Nous ne nous arrêtons jamais, nous recherchons toujours une plus grande performance que ce soit dans le "more moore" (les calculateurs haute-performance, les nanofils, ...) ou dans le "more than moore" (radiofréquences, mémoires, les architectures 3D...).

Les ambitions du Leti dans le domaine de l'électronique sont connues, mais l'institut développe désormais des visées dans le secteur de la santé et de l'internet of things...

L'IOT est le prolongement naturel de la nano et microélectronique. Aujourd'hui, nous avons un savoir-faire pour intégrer des composants et des circuits et nous recevons beaucoup de demandes des industriels qui viennent pour tester leur matériel et éviter les attaques dans le domaine de la cyber sécurité. Le domaine de la santé est aussi très important, car nous sommes dans une région qui bénéficie déjà d'un fort écosystème dans le domaine biomédical.

On sent qu'il existe une convergence scientifique entre les deux domaines car la taille des cellules se rapproche désormais de l'ordre du nanomètre, une échelle que nous avons l'habitude de traiter en microélectronique. Nous travaillons par exemple sur des projets en partenariat visant à permettre aux paraplégiques de marcher en liant la pensée avec l'action, ou le développement d'un pancréas artificiel dans le domaine du diabète.

Vous avez placé le développement à l'international parmi vos objectifs...

Le Leti bénéficie déjà d'une réputation sur la scène internationale, grâce à notre présence active dans les grands événements des semi-conducteurs, et par des apports scientifiques significatifs puisque nous publions en moyenne 700 articles par an. Nous avons de plus des partenariats importants avec de grands académiques comme Stanford, MIT, CalTech et sommes actifs dans les grands évènements internationaux comme IEDM, Photonics West, ISSCC, DAC, SID Display Week, Semicon West, ou encore le CES à Las Vegas. Nous souhaitons élargir les partenariats avec de grands industriels de la micro et nanoélectronique et accroître notre présence sur le terrain. Cela prend des contacts de Ceo à Ceo, et ce sera mon rôle de poursuivre le travail engagé par Marie-Noëlle Semeria.

Le CEA-Leti possède également un engagement fort en vue d'assurer la souveraineté nationale du pays. Pourriez-vous refuser de vous associer avec certains acteurs étrangers pour cette raison ?

De par nos activités, il ne faut pas oublier que notre mission première est liée à la souveraineté nationale et économique du pays. Nous devons donc regarder avec discernement ce qui doit rayonner sur la scène internationale et ce que nous devons garder ici pour assurer cet objectif. L'idée est surtout de faire attention avec qui l'on travaille sur la scène internationale, notamment concernant la notion de propriété intellectuelle, qui demeure très importante pour nous. La notion de confiance devient primordiale dans une époque où l'on échange des milliards de données. Il faut donc être vigilant concernant les gens avec qui l'on travaille et les manières de protéger notre propriété intellectuelle.

Ces objectifs vont-ils se traduire par des réorganisations en interne ?

Nous allons renforcer notre salle blanche 300 mm en vue des développements à venir car l'une de nos spécificités est de prototyper et fabriquer nous-mêmes ou en partie les innovations que nous développons. Nous allons mieux équilibrer le 200 mm et le 300 mm, ce qui correspond aux attentes actuelles de l'industrie. Cela pourrait également se traduire par des recrutements et un réajustement de la salle blanche actuelle et des machines en place. L'ensemble de ce projet se matérialisera en 2018 à la fois sur les montants à investir ainsi que le plan emploi associé.

A ce stade, seul l'investissement dans un scanner lithographique a été engagé fin 2017 pour plusieurs dizaines de millions d'euros.

Ces développements pourraient-ils mener à plus de synergies entre vos différents départements ?

Le développement de l'internet of things fait que nous nous dirigeons aussi de plus en plus vers des projets intégrés entre les trois instituts de CEA-Tech, à savoir le Leti, le Liten (énergie), le Lift (soft). L'un des enjeux sera de bien articuler le travail entre ces trois en vue de développer des équipes et laboratoires conjoints. A ce titre, l'un de nos objectifs pourrait être les JO de 2024 organisés par la France, car c'est le type de rassemblement de rang mondial au sein duquel nous pourrions montrer nos technologies et nos innovations issues de la collaboration entre le soft, le hard et l'énergie au monde entier.

Vous arrivez également dans un contexte qui semble favorable à l'industrie, et où les deux partenaires stratégiques du Leti, STMicrolectronics et Soitec, sont en plein boom avec l'essor de la technologie FD-SOI, née elle-même au sein du Leti... Or, cette industrie est cyclique : existe-il encore des craintes pour l'avenir ?

Ces deux acteurs se portent en effet bien et je crois que plus largement, le gouvernement français et l'Europe ont compris que la microélectronique demeure le fondement de l'industrie, en lien avec l'essor de l'internet of things et des données. Nous avons eu la chance d'avoir des pouvoirs publics qui ont toujours soutenu les différents cycles, positifs ou négatifs de l'industrie, en reconnaissant qu'il s'agit d'une question de souveraineté pour le pays.

Nous sommes aujourd'hui dans un cycle positif, et Grenoble fait partie des trois centres mondiaux de référence dans le domaine (avec la Belgique et l'Allemagne). L'enjeu reste de mieux asseoir notre industrie tout en conservant la présence de grands instituts de recherche car il est vital que l'Europe conserve une dynamique d'innovation face à de gros joueurs qui se situent en Asie et aux Etats-Unis.

Après Nano 2017, plusieurs industriels et acteurs du secteur avaient lancé un appel au gouvernement à l'automne en faveur d'un nouveau plan d'investissement qui permette de soutenir la filière microélectronique... Un tel plan est-il à l'ordre du jour ?

Ce nouveau plan Nano 2022 est dans les tuyaux... Il s'agit d'un enjeu vital pour l'industrie, car la filière a besoin de plans structurants pour permettre d'accompagner et de tenir le rythme des innovations. Car si la loi de Moore prédisait qu'il y aurait une fin, les terrains d'innovation dans l'industrie des semi-conducteurs restent vastes. Le quantique sera sans nul doute une étape majeure pour laquelle le Leti sera un acteur visible.

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaire 0

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

Il n'y a actuellement aucun commentaire concernant cet article.
Soyez le premier à donner votre avis !

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.