L'avenir économique sera spirituel ou ne sera pas

Peut-on envisager l'avenir, notamment économique, sans spiritualité ? Le 24 novembre à l'IAE Lyon, réunis par La Tribune et Acteurs de l'économie dans le cadre du cycle Tout un programme, Mgr Philippe Barbarin, Nicolas Baverez et Bertrand Collomb en débattront. Des convictions appelées à éclairer les spectateurs interrogés dans leur conscience d'Homme, de citoyen et de décideur sur le sens, l'utilité, l'éthique de leurs actes. Et des convictions qu'interpelleront celles des dix-sept philosophes, sociologues, anthropologues, patrons, scientifiques, historiens réunis dans le livre Tous debout !, ce soir-là présenté en avant-première.

Dans quelques jours, Acteurs de l'économie - La Tribune publie le livre Tous debout !, 5e tome de sa collection Grands entretiens. En avant-première, les spectateurs pourront le découvrir lors de la conférence du 24 novembre à 18h à l'IAE Lyon, et les 450 premiers inscrits s'en verront même offrir un exemplaire.

Le sens de la vie

Dans cet ouvrage, dix-sept personnalités débattent de problématiques qui interrogent le sens de la vie, le sens que chacun veut inoculer dans ses existences professionnelle et personnelle. Y cohabitent des personnalités et des thèmes qui composent une formidable bigarrure : Alain Finkielkraut et Françoise Héritier, Christian Streiff et Alain Touraine, Boris Cyrulnik et Gilles Kepel, Jean-Christophe Rufin ou Henri Loyrette, Denis Payre ou François Dubet pour ne citer qu'eux, et des problématiques qui explorent le travail, la résilience, l'éducation, le bonheur, la biodiversité, la création, la richesse, la pauvreté, l'identité ou encore l'esprit d'entreprendre...

Dans chacun de ces entretiens, un vocable revient explicitement ou de manière sousjacente, spontanément ou malgré lui, il tisse un lien entre toutes les personnalités, il forme un socle commun à leurs convictions, leurs combats, leurs exhortations. Ce mot a pour racine latine spir - le souffle - et un suffixe - itas - grâce auquel l'ensemble désigne la vie de l'âme, la qualité de ce qui est esprit et dégagé de toute matérialité. Ce mot, bien sûr, c'est spiritualité.

Chercher les moins mauvais compromis

Il y a deux ans, Bertrand Collomb rédigeait la préface du tome précédent de cette collection, titré Il est l'heure. Qu'écrivait-il ? Que la quinzaine de philosophes, patrons, sociologues, économistes, scientifiques alors rassemblés « tombaient le masque, fendaient l'armure, pour s'exprimer sur le sens profond de leur action, et sur leur contribution à l'aventure humaine ». Il relevait qu'en dépit de l'immense pouvoir créateur de l'initiative entrepreneuriale, en dépit d'une mutation technologique synonyme essentiellement de progrès, en dépit d'un savoir moderne de plus en plus universellement répandu, conjuguer progrès économique et progrès social, qui devraient pourtant aller de pair, « était loin d'être accompli ». Et d'ajouter que « chacun d'entre nous, dans son rôle d'acteur, d'observateur ou de penseur, dans sa vie personnelle autant que dans ses responsabilités professionnelles, est confronté aux contradictions. Les reconnaître et leur associer les moins mauvais compromis, c'est notre condition humaine ». C'est aussi explorer les voies qui irriguent « le sens de la vie ».

L'aveu d'Alain Touraine

Dans Tous debout !, la préoccupation spirituelle est au cœur de toutes les consciences, y compris bien sûr de celles des penseurs agnostiques, athées ou anticléricaux. « Avec le temps, j'ai pris conscience que la religion n'est pas que transcendance : elle possède une capacité de création éthique et comporte une part de spiritualité. J'ai su quitter les excès de l'antireligion lorsque j'ai constaté que ce qui est associé à la religion pouvait servir les plus grands combats humanistes. La sève spirituelle est précieuse aux causes politiques », concède par exemple Alain Touraine. Son élève Michel Wievorka constate de son côté que l'érosion du fait et du crédit politiques résulte en premier lieu de l'incapacité des décideurs politiques à comprendre, à matérialiser et à interpréter ce qui interpelle l'individu « au plus loin dans son intimité, son intériorité, ses convictions éthiques ou spirituelles ».

Sans spiritualité, pas de désir d'avenir

Robert Misrahi circonscrit au désir ce qui motive notre raison d'être. Un désir dont le plus précieux des contenus est la relation à autrui, qui sécrète « l'essentiel » : la justification de vivre, puisque selon ce disciple de Spinoza, « c'est l'autre qui donne raison de vivre ». « La satisfaction riche, concrète, intelligente et, osons le mot : spirituelle, est inscrite au cœur de tous nos désirs », conclut le philosophe. Jean Viard prévient : une société frappée de désert spirituel ne sait plus mettre en valeur l'espérance, elle ne sait plus susciter le désir d'avenir. Alors elle se replie sur elle-même, sur son seul intérêt, sur le rejet de l'autre et du changement, elle se recroqueville sur ses peurs, s'enferme dans une perspective mortifère, et invite le consumérisme, l'égocentrisme, le plaisir immédiat et égoïste à s'engouffrer dans ses brèches pour donner l'illusion de les colmater. « On ne peut corriger aucun de ses errements si la finitude de l'humanité devient certitude », tranche le sociologue.

« S'approcher au plus près de soi »

Et l'écrivain Jean-Christophe Rufin arpentant le Chemin de Compostelle, par quoi se laisse-t-il innerver ? Par une présence, une dimension spirituelles qui l'ont « transformé à [m]son insu ». Quatre mois de marche sur des sentiers qu'a sédimenté depuis plusieurs siècles l'âme des millions de croyants de toutes obédiences mais aussi d'agnostiques et d'athées, lui ont fait prendre conscience que l'inféodation aux biens matériels est « une manifestation de faiblesse », que le dépouillement et l'humilité produisent le sentiment, « vertigineux », que l'essentiel n'est pas là où on le croit, et donc que se délester des pesanteurs faussement utiles permet de « s'approcher au plus près de soi ». « La perception spirituelle grandit proportionnellement à la vulnérabilité vers laquelle la progression de la marche entraîne, et cette perception devient unique lorsqu'on se trouve en symbiose avec l'ensemble des éléments vivants humains, animaux, végétaux ».

Et si les décideurs s'engageaient sur le Chemin ?

Humain, animal, végétal, voilà les trois familles du vivant qui composent la biodiversité et pour la sanctuarisation desquelles l'océanographe Gilles Bœuf mène un combat. Et comme principal remède aux maux qui gangrènent l'humanité des individus et celle de la planète, à quoi appelle-t-il ? A un « réveil », résultant d'un « grandissement intérieur personnel simultanément partagé par l'ensemble des communautés ». Ce grandissement, cette appréhension d'une responsabilité inédite, cette capacité à s'autonomiser des pressions délétères de « groupe » et des dictatures mercantiles, utilitaristes, consuméristes, court-termistes, celui qui préside également le Muséum d'histoire naturelle de Paris les conditionne à « une dimension spiritualiste proportionnée ». Ce que révèlent ces quelques exemples piochés parmi bien d'autres, une phrase de Jean-Christophe Rufin l'illustre : « Les finalités de l'économie seraient davantage « humaines » si les décideurs s'engageaient sur le Chemin ». Le Chemin de Compostelle bien sûr, mais surtout le chemin de la spiritualité. Oui, la nécessité de spiritualité est incontestable. Elle est même vitale. Son déclin s'il y a déclin est dramatique pour l'humanité, son essor s'il y a essor participe à déterminer l'avenir de l'humanité.

Absolument tout est économie

Or à quel autre avenir qu'économique celui de l'humanité est-il conditionné en premier lieu ? Les Journées de l'économie, auxquelles Acteurs de l'économie - La Tribune était associé, se sont déroulées mi-novembre. Il en est ressorti ce que chacun perçoit dans ses quotidiens autant personnel que professionnel : tout est économie, l'économie quadrille, balise, détermine, drape chaque fait, chaque arbitrage, chaque décision, chaque acte. Et c'est pourquoi tapisser de préoccupation spirituelle l'examen des mécanismes de l'économie, du fonctionnement des entreprises, des politiques de ressources humaines, ou des enjeux de gouvernance, est capital. Capital car la spiritualité, quels que soient les chemins transcendants ou immanents qu'elle emprunte, questionne le sens, l'utilité, la justice, le dessein, la responsabilité, l'éthique, c'est-à-dire l'humanité de ce que chacun bâtit, arbitre, initie. Et en filigrane sont alors interrogées la vocation et même la « raison d'être » de chaque déclinaison : le travail, l'emploi, le management, la performance, l'efficacité, les relations sociales, le projet partagé... la liste est sans fin.

Prise de risque

Qu'on ne se méprenne pas : être acteur de l'économie et, au-delà, de la société, en faisant le choix de l'exigence spirituelle, est une prise de risque et produit bien davantage de tourments que d'accomplissements. Car ce choix expose aux contradictions parfois insolubles, aux renoncements parfois irréparables, aux arbitrages parfois douloureux, aux décisions parfois honteuses. C'est le propre du système libéral, terreau des réalisations les plus ambivalentes, des progrès les plus antithétiques, et des comportements les plus paradoxaux. Mais faire ce choix porte en lui sans doute la plus belle des dynamiques de vie : espérer, au moment du bilan ultime, s'être senti utile, c'est-à-dire avoir initié, construit, développé équitablement en faveur de soi et des autres, selon le principe de réciprocité fondateur de toute société idéalement bienveillante, altruiste et soucieuse de ceux qui lui succèdent. Nul doute qu'avec Mgr Philippe Barbarin, l'économiste et essayiste Nicolas Baverez, et l'homme d'entreprise mais aussi académicien Bertrand Collomb, la nécessité de spiritualité - et surtout les conditions et les moyens de la mettre en œuvre - s'imposera un peu plus pour éclairer l'avenir économique.

Avenir économique : peut-on le bâtir sans spiritualité ? Conférence le 24 novembre à 18h à l'IAE de Lyon

>>S'inscrire

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaires 6
à écrit le 24/11/2014 à 21:56
Signaler
D'accord pour la nécessité de la spiritualité ; pas d'accord pour la présence d'un psychiatre dans ce domaine : Boris Cyrulnik croit-il en la capacité de l'homme à s'en sortir lui-même par le biais de sa spiritualité ?

à écrit le 24/11/2014 à 8:58
Signaler
LA RELIGION EST LA MELLEUR DES PHILOSOPHIES. SI ELLE N EXISTEZ PAS IL FAUDRAIS L INVENTE? ELLE EST LE SOUTIEN DES PAUVRES; ET L IDOLOGIES DES SAGES? LES PLUS GRAND SAVANT ONT DIT QU IL EXISTE QUELQUE CHOSSE DE MYSTERIEUX ?DANS LA CREATION DE LA TERR...

à écrit le 23/11/2014 à 12:53
Signaler
Encore un truc à la mode pour les bobos !! L'homme est un prédateur et chacun a ses propres intérêts. Tout le reste est de la foutaise politique, car bien évidemment tous souhaitent devenir les chefs d'une tribu quelconque d'illuminés :-)

à écrit le 22/11/2014 à 14:19
Signaler
Bonjour J’enseigne en école de commerce (KEDGE BS) où je propose un cours intitulé: « Leadership, virtues and mediation ». Les étudiants sont de plus en plus sensible à ce genre de thématiques, car même avant d’entrer dans le monde professionnel,...

à écrit le 22/11/2014 à 12:11
Signaler
La vie de l'entreprise ne doit pas nous faire oublier l'entreprise de la vie. La taoisme et le principe d'harmonie a toute sa place dans le monde des affaires. Je tente de donner qcq clés dans mon dernier livre : "La tao-entreprise : performance glob...

à écrit le 21/11/2014 à 18:13
Signaler
Je pense personnellement quand tout êtres humains et et même les agnostiques, qu'il y a trop de hasard et de rentiers hasard pour dire que Dieu n'existe pas. En effet, aussi loin que l'on remonte dans l'espace-temps on se heurte au mur de Planck et i...

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.