LGV Lyon-Turin : la question de l'eau pourrait-elle faire basculer ce chantier titanesque ?

Alors que deux rassemblements de citoyens et d'élus écologistes se sont tenus en l'espace de quinze jours à proximité du chantier du Lyon-Turin, c'est la question de l'eau qui est désormais brandie par les opposants à ce projet titanesque de 28 milliards d'euros d'ici à 2032. Car après un été caniculaire marqué par la sécheresse, la question environnementale pourrait bien être un nouvel obstacle sur la route d'une LGV, déjà difficile à faire sortir de terre. Un projet de création d'une commission d'enquête parlementaire vient d'être déposé par un député LFI de la Nupes, qui n'est autre qu'un proche de Jean-Luc Mélenchon.
Après avoir écrit un courrier à la première ministre Elisabeth Borne, le député Nupes de 6e circonscription du Rhône, Gabriel Amard vient de déposer un projet de résolution demandant la création d'une commission d'enquête parlementaire sur le non‑respect de la législation et des réglementations relatives à l’eau, dans le cadre du projet Lyon - Turin.
Après avoir écrit un courrier à la première ministre Elisabeth Borne, le député Nupes de 6e circonscription du Rhône, Gabriel Amard vient de déposer un projet de résolution demandant la création d'une commission d'enquête parlementaire sur le non‑respect de la législation et des réglementations relatives à l’eau, dans le cadre du projet Lyon - Turin. (Crédits : Jean-PIerre Clatot / AFP)

Ils sont toujours mobilisés, et ont désormais un nouveau cheval de bataille à faire valoir, après l'été caniculaire qu'a connu la France. Après une première mobilisation la semaine précédente, les opposants au Lyon-Turin se sont à nouveau réunis dimanche 4 septembre dernier.

Habitants, élus écologistes mais également collectifs associatifs comme Vivre et Agir en Maurienne ou encore l'unité syndicale solidaires Savoie et Sud Rail Alpes se sont donnés rendez-vous dans la petite commune de Villarodin-Bourget (Maurienne).

Tous dénoncent à nouveau le coût XXL de ce projet, un vieux serpent de mer qui avait accumulé les retards, ainsi que son impact écologique. Il se chiffrerait, selon un rapport de la Cour des Comptes établi en 2012, à 26 milliards d'euros, un montant cependant contesté par des acteurs du dossier comme la Transalpine, qui avancent "un total de 16,5 milliards d'euros maximum", pour une livraison désormais prévue à compter de 2032. Avec aujourd'hui, un focus tout particulier mis par l'opposition sur la ressource en eau, puisque Villarodin-Bourget est l'une des communes qui connaît, depuis le démarrage du projet, un tarissement de sa source en eau potable.

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Depuis 2003, soit un an après le démarrage des travaux (alors que les réflexions avaient commencé en 1991), la commune de Villarodin-Bourget a connu un assèchement de la fontaine du village, qui a nécessité de faire un nouveau captage, plus haut dans la montagne, afin de continuer à approvisionner la commune en eau. Depuis, la question a pris une toute autre ampleur avec l'été caniculaire que la France vient de connaître.

"Nous souhaitons une remise à plat de ce dossier, puisque grâce au travail des associations, on a pu mettre en lumière des atteintes à la ressource en eau potable qui ne sont plus possibles de nos jours", argumente Alexandra Cuset, co-présidente du groupe des élus écologiste à la Région Rhône-Alpes.

"Il s'agit d'un dossier qui a été pensé dans les années 90, alors que l'on pensait encore que le rayonnement international et la mondialisation étaient le maître mot, et que la question du développement était forcément d'aller plus vite. La question environnementale n'a pas été du tout prise en compte, lorsqu'on parlait des impacts sur l'eau ou la biodiversité, nous pouvions être moqués".

"Un véritable problème écologique"

Le collectif Vivre et Agir en Maurienne, qui s'oppose toujours fermement au projet du Lyon-Turin, pointe à nouveau l'impact environnemental des travaux sur la vallée de la Haute-Maurienne :

"Dans un rapport d'expertise (produit en 2006 par des experts indépendants pour le compte de la Commission européenne, ndlr), on nous disait déjà que le creusement du tunnel en entier drainerait entre 60 et 125 millions de m3 d'eau, ce qui aurait pour effet d'assécher à terme la montagne qui ne pourrait pas se recharger naturellement en eau. Or, l'été que nous venons de vivre a représenté pour beaucoup un signal d'alarme, en Maurienne également. Il s'agit d'un véritable problème écologique", souligne Daniel Ibanez, porte-parole de l'association Vivre et Agir en Maurienne et co-fondateur des rencontres annuelles des Lanceurs d'alertes.

L'association a également saisi la Commission nationale de la déontologie et des alertes en matière de santé publique et d'environnement (cnDAspe) concernant le périmètre des creusements prévus lors des travaux, qui toucheraient, selon l'association, 19 zones de captage en eau potable."La cnDAspe nous a donné raison en novembre 2021 et a alerté le ministère de l'Environnement et le préfet à ce sujet. Le préfet a missionné le Bureau de Recherches Géologiques et Minières (BRGM) (qui assure la prévention des risques miniers pour le compte de l'Etat, ndlr) qui a lui même estimé que 75% des séquences de contrôles ne sont pas exploitables concernant le suivi des mesures en eau", avance Daniel Ibanez.

Vers un projet de commission d'enquête parlementaire

Après avoir écrit un courrier (resté à ce stade sans réponse) à la Première ministre Elisabeth Borne, les opposants au projet réfléchissent aux suites à donner à ce dossier, qui a pris un autre tournant avec la volonté de sobriété énergétique affichée par Emmanuel Macron en cette rentrée.

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Le député Nupes de 6e circonscription du Rhône, Gabriel Amard (qui n'est autre que le gendre de Jean-Luc Mélenchon, dont l'arrivée avait fait parler de lui lors des dernières législatives) vient de déposer une proposition de résolution demandant la création d'une commission d'enquête parlementaire auprès de l'hémicycle, afin de faire lumière "sur le non-respect de la législation et des réglementations relatives à l'eau".

"Nous avons opté pour la formule de la commission d'enquête car c'est elle qui va permettre de faire témoigner tout le monde sous serment, pour faire la lumière ce qu'il s'est passé dans ce dossier", estime Gabriel Amard.

Soutenu dans un premier temps par des élus LFI et écologistes, il planche déjà sur un second texte, qui viserait à "transcender les étiquettes politiques" au sein de l'Assemblée nationale. Car pour l'heure, aucune position commune n'a encore pu être établie à ce sujet au sein de la Nupes. Selon nos informations, des projets de recours en justice, portés cette fois par les associations environnementales, seraient également en cours d'étude.

"Une étude du conseil d'orientation des infrastructures, qui avait été remise à la ministre des Transports de l'époque, Elisabeth Borne, affirmait déjà, en janvier 2018, que la démonstration de la pertinence du Lyon-Turin et de ses accès n'était pas démontrée et qu'il n'y avait pas lieu de donner suite ni d'engager des travaux avant 2028", fait valoir Daniel Ibanez.

Celui-ci rappelle l'article 2 de la Charte de l'Environnement, selon lequel toute personne a le devoir de prendre La Défense de l'environnement. "Sortir les camions de la route est un objectif, mais il n'est pas supérieur constitionellement à celui de la protection des ressources en eau", ajoute-t-il.

"Un dossier a été construit à l'envers"

C'est d'ailleurs là tout le débat qui oppose depuis l'origine l'Etat et la société transfrontalière Tunnel Euralpin Lyon Turin T (Telt), détenue à 50-50 par les états français et italien d'une part, et les citoyens et élus écologistes de l'autre, qui contestent toujours le bien fondé de cette LGV.

Car là où les partisans de ce chantier font valoir les milliers d'emplois créées par ce chantier pour la vallée de la Maurienne (jusqu'à 4.000 emplois au coeur du chantier), ainsi que l'objectif de réduire la pollution de l'air dans la vallée de la Maurienne avec une ligne à grande vitesse qui bénéficierait à la fois au trafic des passagers et des marchandises, ses opposants (dont en première ligne les élus écologistes et LFI) y voient surtout un projet qu'ils jugent beaucoup trop coûteux et inutile.

Ils arguent de l'existence d'un premier tunnel ferroviaire, qui a depuis été rénové et remis en service en 2011, et qui permettrait déjà, dans les faits, de reporter sur le rail une partie des camions empruntant quotidiennement la vallée.

"Grâce aux travaux de rénovations existants, nous pourrions déjà dès aujourd'hui sortir au moins 60% du trafic routier actuel de la route", brandit Daniel Ibanez. Un point de vue fermement contesté par la Transalpine, qui estime que "dire que l'on peut faire passer 60% du fret par la ligne actuelle, c'est physiquement impossible".

"Nous avons toujours dit qu'il s'agissait d'un dossier aberrant, qui veut creuser un nouveau tunnel pour des milliards alors que cela ne résout pas les problématiques d'accès puisque ce tunnel est relié à d'autres sections déjà saturées. Cela fait des années que nous disons que le dossier a été construit à l'envers", rapporte Alexandra Cuset, qui évoque un projet "d'un autre temps, qui dépense des milliards pour relier des métropoles le plus rapidement possible en effaçant les territoires qui se situent au milieu".

Contacté, le ministère de la Transition écologique n'a pas donné suite à ce stade à nos demandes d'informations. La société TELT répond pour sa part que « l'eau du massif rocheux qui apparait et transite par les chantiers a principalement une origine profonde, plus basse que l'altitude de l'Arc. Il ne s'agit pas d'eau potable disponible à la consommation ». Et d'ajouter : « après contrôles, cette eau retourne au milieu naturel, dans l'Arc dont le débit moyen est de 40 m3/s et ne génère aucune pollution. Tout ceci est strictement encadré et suivi dans le cadre des arrêtés préfectoraux au titre de la loi sur l'Eau et les suivis se font en toute transparence avec les collectivités concernées. »

De son côté, La Comité pour la Transalpine, qui fédère les collectivités publiques et les grands acteurs économiques mobilisés pour la réalisation de la liaison Lyon-Turin, répond pour sa part que « depuis 10 ans, les quelques opposants les plus radicaux ont tenté d'attaquer le Lyon-Turin par tous les bouts. En France comme en Italie, ils ont perdu tous les recours qui ont coûté cher à la la collectivité. Maintenant, ils essaient de développer un nouveau narratif sur de supposés risques liés à l'eau, parce que c'est dans l'actualité, encore une fois sans le moindre élément scientifique ni avis d'experts. Les suisses ont creusé trois grand tunnels sous les Alpes sans problème. TELT emploie les meilleurs spécialistes du sujet et, en lien avec les autorités, les contrôles sont à l'évidence très stricts. »

(publié le 12/09/2022 à 07:00, actualisé à 21:00)

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Commentaire 1
à écrit le 14/09/2022 à 0:20
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Écrire "LGV Lyon-Turin" est faux depuis le non renouvellement le 19 juillet 2013 du Projet d'intérêt général (PIG) de la LGV. (me demander les documents). Il s'agit aujourd'hui d'un projet de ligne dite mixte voyageurs + marchandises En revanche...

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