Retombées, visibilité et bientôt tourisme ? « Anatomie d’une Chute », le ticket gagnant d’Auvergne Rhône-Alpes Cinéma

Le succès international du film « Anatomie d’une Chute » de Justine Triet est une excellente nouvelle pour Auvergne Rhône-Alpes, tant d’un point économique qu’en termes de visibilité. Tourné en grande partie en Maurienne (Savoie), il a été coproduit par Auvergne Rhône-Alpes Cinéma, société anonyme en charge de la gestion des fonds de coproduction cinématographiques et audiovisuels de la Région. De quoi générer également un effet d'entraînement sur le tourisme régional ?
Les Aiguilles d'Arves en Maurienne (Savoie) ont été le décor du film primé de Justine Triet, « Anatomie d’une Chute ».
Les Aiguilles d'Arves en Maurienne (Savoie) ont été le décor du film primé de Justine Triet, « Anatomie d’une Chute ». (Crédits : DR/RégionAuvergneRhôneAlpes)

Si Auvergne Rhône-Alpes Cinéma ne récupère pas toujours la mise qu'elle investit dans les films et séries coproduites - en fonction des aléas du succès évidemment -, Grégory Faes, le directeur général de la structure, sait d'ores et déjà que les 270.000 euros injectés dans la coproduction du film réalisé par Justine Triet « Anatomie d'une chute » (sorti en 2023) seront largement remboursés par les diverses recettes générées : entrées au cinéma, location à la demande, diffusion, etc.

« Quelle sera la somme finale ?  Impossible à dire pour le moment, nous ne connaissons pas encore les montants exacts, il faudra attendre plusieurs mois. Mais c'est un immense succès, nous pourrons compter sur un minimum de 300.000 euros et 10% des recettes sur toute la durée de vie du film ».

L'histoire d'une écrivaine allemande soupçonnée du meurtre de son compagnon français, retrouvé mort au pied de leur chalet a en effet séduit aussi bien le public que les critiques. Depuis sa sortie le 23 août dernier, « Anatomie d'une Chute » a été vu au cinéma par près de 1,8 million de français et plus de 3,5 millions de cinéphiles dans une soixantaine de pays. Et ce n'est pas fini, puisque le film a déjà été vendu à 155 pays.

Côté récompenses, le palmarès est presque unique : Palme d'or 2023 du Festival de Cannes, 11 nominations aux Cesar 2024 (dont six remportés), deux Golden Globes, sept nominations au Bafta 2024, et, bien sûr ce fameux Oscar 2024 du Meilleur scénario original remporté il y a quelques jours.

« Nous connaissions bien les producteurs, nous avions déjà travaillé avec eux. Ils nous ont proposé le scenario, nous ont présenté le casting. Notre comité de sélection a été séduit et a validé un investissement de 270.000 euros dans la coproduction de ce film, ce qui est plutôt dans notre fourchette haute », explique Grégory Faes, racontant comment ses équipes s'étaient mises au travail pour identifier le fameux chalet dont chute le mari de l'héroïne et lieu central de l'intrigue.

40 jours de tournage dans la Maurienne

Après de nombreuses recherches, un grand chalet a finalement été validé par l'équipe du film dans la Maurienne (Savoie), sur les hauteurs du village de Villarembert situé à une centaine de kilomètres de Grenoble. Ville où d'ailleurs est censée se tenir l'autre moitié de l'histoire, celle concernant le procès du personnage principal. Mais si dans le film, le Tribunal est identifié comme celui de Grenoble, c'est en réalité celui de Saintes, en Charentes Maritimes, dans lequel les scènes ont été tournées.

« Cela se passe fréquemment de cette manière, et permet aux producteurs d'avoir plusieurs régions qui viennent abonder leur budget. En l'occurrence, pour Anatomie d'une chute, Auvergne Rhône-Alpes Cinéma est coproducteur, tout comme la région Nouvelle Aquitaine », précise le directeur général de la structure régionale.

En effet, le budget XXL du film, d'un total de 6,2 millions d'euros, était allé chercher à la fois des contributions privées (Canal +, Sofica, MK2, Le Pacte, etc) ainsi des aides publiques issues du le Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC), mais également 150.000 euros d'aide accordée par la Région Nouvelle-Aquitaine, et 90.000 euros du département de Charente-Maritime.

Au printemps 2022, c'est finalement la Maurienne qui aura ainsi accueilli pendant quarante jours de tournage une équipe d'une soixantaine de personnes. Avec les retombées économiques associées pour les commerces et hébergements environnants, notamment.

33,3 millions d'euros de retombées économiques en 2023

Créé en 1991 par la Région (alors Rhône-Alpes, désormais Auvergne Rhône-Alpes) pour soutenir la création de longs métrages et de séries, Auvergne Rhône-Alpes Cinéma se présente sous la forme d'une société anonyme (SA) avec trois actionnaires principaux : la Région, la BPI et la Caisse d'Épargne Auvergne Rhône-Alpes.

Un format original en France : ailleurs le sujet est plutôt traité directement par les services culturels des Régions ou par des associations à qui elles délèguent la gestion de fonds. AURA Cinéma disposait jusqu'ici d'un budget annuel de trois millions d'euros pour la coproduction de longs métrages pour le cinéma, auxquels se sont ajoutés depuis l'année dernière, deux millions d'euros pour les diffusions à la télévision et sur les plateformes.

Chaque année, la structure accompagne en coproduction entre douze et quinze films, avec un chiffre d'affaires associé de 400.000 euros à un million d'euros qui lui permet de financer ses frais de fonctionnement (équipe de dix permanents). 15% de son chiffre d'affaires est reversé au budget de la Région.

Depuis 1991, 360 long métrages ont été coproduits, avec une part notable de films d'animation en raison de la présence de deux pôles importants à Lyon et Valence.
« Pour être coproduits, les projets doivent avoir un lien significatif avec le territoire. C'est-à-dire notamment être tournés ici », précise Grégory Faes. En plus de la coproduction, AURA Cinéma a aussi pour mission d'accueillir les tournages (y compris donc ceux qu'il ne coproduit pas) et d'assurer la promotion des coproductions.

En 2023, le Bureau d'accueil des tournages a ainsi comptabilisé près de 1.000 jours de tournage dans la région, tous formats confondus. Cela représente 15 longs métrages pour le cinéma qui ont généré, selon Auvergne Rhône-Alpes Cinéma, 8,7 millions de retombées touristiques sur le territoire. Ainsi que 22 projets de séries et téléfilms (24,6 millions d'euros de retombées économiques).

Ces retombées intègrent les salaires des collaborateurs techniques et artistiques recrutés pour les tournages, les achats et prestations techniques, les locations et constructions de décors ainsi que l'ensemble des frais liés à l'accueil et l'hébergement des équipes.

Ciné-tourisme

A ces retombées économiques directes, à l'effet d'entraînement sur l'ensemble de la filière de l'industrie créative régionale, s'ajoutent celles liées à la visibilité et donc au tourisme. Elles sont toutefois plus difficiles à quantifier et à estimer.

« Pour Anatomie d'une chute, je sais que le chalet dans lequel le film a été tourné était en location sur AirBnB et affichait complet mais pour l'instant, il est difficile de savoir si le film fera venir plus de gens en Maurienne. C'est souvent le cas, mais l'impact n'est pas toujours le même. Par exemple, le Film « Les enfants du Marais » de Jean Becker avait eu un impact très positif sur la Dombe. Il y a un mois, sur France 3 a été diffusé le téléfilm « Mort d'un Berger » tourné en Auvergne, les commentaires sur les paysages ont été particulièrement élogieux. On s'attend donc à un impact positif sur le tourisme ».

C'est bien pour cette raison d'ailleurs que le maire de Saint-Gervais-les Bains, Jean-Marc Peillex, s'est mêlé du tournage tout récent de la série Netflix « Emily in Paris » à, Megève, sa voisine immédiate avec qui son domaine skiable communique.

« Nous ne souhaitons certes pas voir débarquer des cohortes d'Américains mais il faut rendre à Saint-Gervais ce qui est à Saint-Gervais. Emily in Paris a logé à Megève mais a skié à Saint-Gervais. J'ai donné l'autorisation pour le tournage à condition que le nom de Saint-Gervais soit bien filmé. Cela a été fait, mais est-ce qu'ils le conserveront au montage ? », s'interroge l'édile, connu pour sa gouaille.

Selon une étude du CNC (Centre National du Cinéma et de l'image animée) publiée en février 2024, 80% des touristes étrangers à Paris se rappellent avoir vu au moins une fiction française dans leur pays d'origine et 80% d'entre eux déclarent qu'elles leur ont donné envie de visiter la France.

Les chiffres sont sensiblement les mêmes pour les fictions étrangères tournées en France. Un touriste sur 10 indique même avoir franchi le pas et décidé de venir en France suite au visionnage d'un fim ou d'une série en particulier. Le CNC précise que les œuvres les plus citées sont Emily in Paris justement et Lupin. Côté Français, l'impact est aussi conséquent. 66% des Français interrogés dans le cadre de cette étude indiquent que les créations cinématographiques ou audiovisuelles leur donnent envie de visiter les lieux de tournage.

Des chiffres qui viennent confirmer cette tendance de fond du développement du « ciné-tourisme ». Selon une étude d'Expedia, les documentaires, films et séries représentent désormais la deuxième plus grande source d'inspiration pour partir en voyage (20%), dépassant les réseaux sociaux (13%).

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Commentaire 1
à écrit le 21/03/2024 à 10:49
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Cela interroge d'abord et avant tout sur la réactivité manichéenne des gens concernant leur vision de toutes ces diverses et variées images et fictions. Combien de gens vont encore sur le pont de Vaison la romaine pour se faire peur à la vue de la ha...

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