Quand le patronat lyonnais se livre une guerre de tranchées

« Honteux, désastreux, édifiant ». Les protagonistes eux-mêmes, représentants ou partisans officiels et officieux du Medef et de la CGPME, le reconnaissent : le « spectacle » qu’ils ont exhibé pendant la campagne pour les prochaines élections consulaires défigure l’image patronale déjà délitée dans l’opinion publique,

Batailles d'ego, trahisons, jalousies, manipulations, collusions… les répercussions, certaines irréversibles, de ces joutes jugées dérisoires, même indécentes à l'aune des enjeux de l'agglomération et de la communauté entrepreneuriales lyonnaises, augurent pour les futurs présidents lyonnais et rhônalpin des conditions d'exercice chaotiques voire irrespirables. Et pénaliseront durablement le territoire socio-économique. Quels que soient l'issue du scrutin (25 novembre - 8 décembre) et les arrangements susceptibles d'intervenir dans les semaines précédentes, la joute que Medef et CGPME se seront livrée pour la conquête de la CCI de Lyon laissera de profonds et irréversibles stigmates. Profonds et irréversibles car sous l'écorce d'une simple rivalité entre organisations patronales ont bouillonné des années d'inimitié, de jalousies, de trahisons, de collusions personnelles. Or, ce qu'elles ont charrié d'incompréhensions et de rejet a infecté la plus incurable des plaies : l'ego. L'année 2010 aura constitué un long purgatoire pour le président Guy Mathiolon. « Installé » à son poste en 2007, au gré d'un accord entre son organisation patronale, la CGPME, et le Medef Lyon Rhône qui avait établi une alternance des présidences - Jean-Paul Mauduy de 2004 à 2007, Guy Mathiolon de 2007 à 2010 puis de 2010 à 2012, enfin Benoît Soury de 2012 à 2015 -, le Pdg du groupe Serfim aura subi d'abord la diffusion (en exclusivité dans Acteurs de l'économie, Les Echos et Le Progrès le 24 juin) d'un rapport de la Chambre régionale des Comptes (CRC) sur le bilan de sa gestion à la tête de l'institution consulaire. A la suite de cette publication, les 28 et 29 juin il fait l'objet d'une garde à vue de 36 heures, à al brigade financière de la police judiciaire. En jeu : disséquer l'une des conclusions du rapport, évoquant des études supposées fictives facturées par la société CB Connexion dirigée par le conseiller communautaire Christian Bathélémy, pour un montant cumulé de 46 400 euros. Un prestataire que François Turcas, président de la CGPME du Rhône, avait exhorté Guy Mathiolon à employer. Puis, c'est le camouflet, lors de son élection à la vice-présidence de la société Aéroports de Lyon : 9 des 14 droits de vote rejettent sa candidature. « Une humiliation pour la réputation de l'institution consulaire », claque l'élu et candidat Medef Roland Bernard, également Pdg du groupe Axotel et vice-président du Grand Lyon. Enfin, le 27 septembre, il reçoit sous la forme d'une convocation directe notification d'un renvoi devant le tribunal correctionnel pour le 12 janvier 2011 - jour de l'installation du nouveau président de la CCI de Lyon - au motif « détournement de fonds publics et prise illégale d'intérêt ». Quelques jours plus tard, alors que concomitamment CGPME et Medef ont décidé de rompre l'accord originel de liste unique, il jette l'éponge. Et, en écho au président  de la CGPME du Rhône François Turcas et à son avocat Alain Ribeyre, dénonce les « coïncidences » d'un calendrier et la méticulosité d'un processus hâtif qui, engagés en printemps, ont conduit à son éviction. Il édicte une liste de vingt anomalies qui, selon lui, témoignent de l'irrationalité de l'enquête de la brigade financière et de l'échéancier de la procédure. Parmi elles : l'incohérence d'un supposé intérêt pour 49 400 euros lorsqu'on déclare un revenu annuel de 2 millions d'euros. Ou encore l'étude, non examinée par les enquêteurs, que l'expert Michel Bruyas a effectué, attestant que « les travaux réalisés par CB Connexion constituent une base utile et sérieuse pour appuyer la réflexion d'un décideur ». Tout en estimant que le déroulement rigoureux du feuilleton et la citation directe « attestent du caractère légitime des interrogations de la CRC », son principal ennemi, le vice-président délégué et candidat Medef à la présidence Benoît Soury, le concède lui-même : le traitement qui lui a été infligé est « humainement très dur ». « Chasse à l'homme », reconnaît l'un de ses détracteurs. Le cadencement des opérations orchestrées « si précis et organisé prouve que certains ont voulu l'éliminer de la course ». Qui ? Et pourquoi ?

Comportement « incompatible »

Les réprimandes énoncées par les opposants - y compris au sein de sa « famille » patronale - de Guy Mathiolon font état d'un comportement « provocant, arrogant, suffisant, puéril », d'une attitude « bling-bling », et même de frasques personnelles -celles qui auraient émaillé sa participation au voyage officiel de la Ville de Lyon à Dubaï en mai 2008 l'illustrent - « incompatibles » avec l'exercice d'une responsabilité présidentielle qui exige « moralité » et « exemplarité » ; elles convergent vers des pratiques de travail, de gestion, d'information insuffisamment transparentes et partagées, cet isolement et cette opacité consolidant les suspicions, fondées ou fantasmées, sur l'intégrité de l'intéressé assailli de rumeurs quant à des supposés conflits d'intérêt, confusion des genres, dérapages et autres connivences. Il en est des 94 783 euros TTC que la société Pokka a facturés à la société Aéroports de Lyon en 2007 et 2008 ; l'utilité et la consistance des travaux produits - « à la demande du président du directoire, Yves Guyon », précise l'auteur, ils ont porté sur un audit et des préconisations relatifs aux informations de gestion - ne sont pas suspectés, mais l'identité du gérant de la société, Gilles Pernaton, est pointée du doigt : ancien directeur financier de Serfim, il est associé à Guy Mathiolon dans la SCI Courmont, créée en septembre 2009, et gère son patrimoine personnel. « Il n'est pas acceptable de faire recourir aux services d'un ami et associé. Surtout - ce qu'autorisent les statuts de la société aéroportuaire - lorsque cela ne résulte d'aucune mise en concurrence réelle et transparente », estime Benoît Soury.
L'ambiguïté, qu'illustre ce cas, les contempteurs du bientôt ex-président consulaire la déclinent également sur les annonces et contre-annonces qui ont rythmé l'affichage de ses ambitions politiques, sur la dépendance des activités de ses sociétés aux commandes publiques, sur les conditions de reprise d'entreprises au tribunal de commerce dont il fut juge, sur l'exploitation d'une mission de service public aux fins d'influence personnelle. L'instruction judiciaire qui frappe Guy Mathiolon constitue le paroxysme d'une image consulaire déliquescente et celui d'un établissement miné par les conflits et les (contre)stratégies personnels qui ont délité sa gouvernance et anémié la coopération avec certaines collectivités et institutions publiques. Tout en refusant d'énumérer les sujets et les dossiers bloqués, le directeur général Bernard Sinou le concède : le fonctionnement de l'institution en a été concrètement altéré. « Grand emprunt, pôles de compétitivité… les enjeux majeurs ne manquent pas, qui exigent une gouvernance fluide pour être menés à bien. A ce jour, et l'état de LVE (Lyon Ville de l'Entrepreneuriat) ou de GLEE (Grand Lyon Esprit d'Entreprendre) en est la preuve : les turpitudes de la CCI bloque nombre de chantiers », détaille David Kimelfeld, vice-président du Grand Lyon en charge du Développement économique. Un Grand Lyon dont le président, Gérad Collomb, avait pris ses distances avec Guy Mathiolon.  Ce dernier s'en était ému auprès d'Olivier Ginon. Le Pdg de GL Events organisa à son domicile un dîner privé, censé régénérer les liens entre les deux hommes. Au cours de leur rencontre, Guy Mathiolon décroche son téléphone portable, quitte la table, prétextant une urgence. Maladresse ? Provocation ? « Son hôte était furieux », rapporte un élu.

Préfet ulcéré

La juxtaposition de ces récriminations s'est, déplorent les témoins, cristallisée sur la dégradation des rapports de l'institution consulaire avec les services de l'Etat. Services au premier rang desquels figure le préfet Jacques Gérault. Celui-ci fulmina contre la décision en 2009 de rebaptiser l'aéroport Saint Exupéry en Lyon Airports et obtint aussitôt le retrait de l'anglicisme, alors facturé 128 000 euros par l'agence de communication Brainstorming. Il s'agaça lorsque Guy Mathiolon, à l'occasion d'un voyage officiel en Israël organisé par l'Elysée, fit brutalement volte-face avant le départ après s'être démené pour y être invité. Irrité ensuite par le désordre et le spectacle exposés, attaché au maintien d'une liste commune, préoccupé par l'enjeu politique que constitue, pour la prochaine échéance municipale, l'état - uni ou disloqué - du patronat lyonnais, et proche du tandem départemental Michel Mercier - Pierre Jamet hostile à Guy Mathiolon, l'ancien directeur de cabinet de Nicolas Sarkozy apparaît être l'homme clé des « dossiers » consulaire et plus précisément « Mathiolon ». Sans doute l'éviction dont Guy Mathiolon a fait l'objet de la part de François Turcas - en dépit du soutien, théâtral, que ce dernier lui assura en conférence de presse le 29 septembre et le 14 octobre, applaudissant son « sacrifice pour la famille » - résulte-t-elle, pour partie, des pressions que le préfet, relayé par quelques personnalités majeures du patronat lyonnais, a exercées sur la bouillonnante icône CGPMiste. « Il ne pouvait pas défendre l'indéfendable plus longtemps », considère Patrick Martin, président du Medef Rhône-Alpes. Pour partie, car l'idylle entre les deux hommes comme la relation avec Franck Morize, le secrétaire général, étaient depuis longtemps fissurées. « François a qualifié, devant moi, Guy Mathiolon en termes insultants et a confessé « avoir été pris pour un con » » affirme un cacique du Medef. « Il m'a confié qu'il s'était fait « enfumer » », corrobore Roland Bernard.

CGPME fragilisée

Conscient des dégâts que la présidence de Guy Mathiolon provoquait, agacé des écarts d'un homme qu'il ne contrôlait plus et lui échappait, convaincu que les attaques contre Guy Mathiolon « en réalité » visaient à l'affaiblir, François Turcas n'avait pas attendu pour commencer à méditer l'opportunité de le remplacer. « Mais Guy Mathiolon le « tenait » », assènent plusieurs sources. Que la rémunération de Franck Morize - cheville ouvrière du syndicat et redouté par ses adversaires du Medef pour sa stratégie « va-t-en-guerre » et « manipulatrice » - ait été, jusqu'en 2006, complétée par des prestations commerciales et de lobbying facturées par sa société personnelle FMR auprès du groupe Serfim, y'a-t-il contribué ? Seule certitude : François Turcas avait fait de la présidence de la CCI le couronnement d'un parcours qui avait vu son organisation patronale conquérir une à une plusieurs instances lyonnaises (Tribunal de commerce, Conseil de prud'hommes, Espace numérique entreprise, CRAM, Formasup, SEPR…). Elle devait aussi faire la démonstration que la CGPME possède les compétences, le professionnalisme, la sobriété, l'exemplarité conformes à l'exercice d'une telle responsabilité, drapant alors officiellement le syndicat patronal d'une posture et d'une légitimité jusqu'alors contestées. Les trois années de Guy Mathiolon n'auront pas permis d'exaucer le vœu. Et, les « pressions » exercées par ses partisans sur François Turcas en témoignent, elles auront avant tout fragilisé un syndicat où la succession de « l'irremplaçable » président a commencé d'aiguiser appétits et stratégies. Au premier rang desquels trônent ni plus ni moins que ceux de…Guy Mathiolon, « une fois passées deux années de retrait sabbatique ».

Gestion reconnue

La diabolisation de Guy Mathiolon est-elle justifiée ? Plusieurs faits s'y opposent. La qualité de la gestion de l'institution, même favorisée par le changement de statut et d'actionnariat de l'aéroport qui l'a délestée d'une partie de la dette, a été reconnue au sein même du rapport de la Chambre régionale des comptes. Un résultat net de nouveau positif (de 1 à 3 millions d'euros selon les exercices), une trésorerie qui tutoyait les 16 millions d'euros fin juin (elle était de 5 millions d'euros en 2004), et pour les établissement agrées (Aéroports de Lyon, EMLYON, Sepel) un bilan positif. Guy Mathiolon, qui insiste sur le bénévolat de son mandat et l'envoi, dès sa nomination, d'un courrier à ces établissements pour qu'ils écartent ses propres sociétés des concours publics, s'est aussi retrouvé au cœur des failles que l'accord d'alternance entre les deux organisations patronales n'a pas manqué de creuser, plaçant de facto « l'autre camp » dans une tranchée oppositionnelle. D'autre part, le protocole d'accord initial ne maquillait qu'avec peine l'amertume et la frustration d'un Medef lyonnais alors contraint au compromis par le rapport de force. En dépit des apparences, la rivalité, endémique, entre les deux organisations syndicales n'avait jamais décliné, et ni l'une ni l'autre n'avait enterré les armes. La présence de Gilles Pardi, premier vice-président (Medef) adoubé par Guy Mathiolon, avait permis de maintenir équilibre et dialogue ; sa disparition le 7 février 2009 les fit aussitôt voler en éclats. L'implosion de l'union doit être lue aussi à l'aune de la bataille juridique que les « frères ennemis » se livrent au plan national : la CGPME a déposé en juillet une requête devant le conseil d'Etat portant sur la contestation de la répartition des sièges patronaux dans les instances paritaires régionales de Pôle Emploi. Une démarche qui pourrait irradier bien au-delà du seul cas en cause, et de fait interroge les conditions générales de la représentativité patronale. Enfin, la présidence de Guy Mathiolon intervint au moment où la difficile réforme des Chambres était engagée. Réforme contestée, qui consacre la régionalisation de l'instance : les CCI locales se verront progressivement dépossédées d'une partie de leurs compétences qui ralliera les services de la CCIR (Chambre de commerce et d'industrie régionale) - transfert de la ressource fiscale, gestion des carrières, comptabilité, achats, international… - dans des conditions édictées préalablement par l'assemblée générale, et notamment par les présidents des onze chambres territoriales. C'est dans ce contexte délicat que survient également l'application de la Révision Générale des Politiques Publiques aux CCI, contraignant celle de Lyon à réduire son budget de 13% sur trois ans afin de faire face à la suppression de la taxe professionnelle qui assurait jusqu'alors plus des trois quarts de ses ressources.

Règlements de compte

En filigrane ont également joué nombre d'inimitiés et de règlements de compte personnels. Christophe Guy, trésorier de la CCI mandaté par le Medef Lyon Rhône n'est plus reconnu par celui-ci depuis qu'il s'est prononcé contre ses recommandations dans la gestion des dossiers « SEPR » puis « Indemnisation d'Yves Guyon ». Que le président de Maïa et celui de Serfim, très liés depuis ce double événement et dont les activités professionnelles pourraient s'articuler, figurent respectivement aux 203ème et 489ème rangs des fortunes en France (classement Challenges 2010) n'a pas manqué d'attiser les jalousies. Notamment dans un cénacle du BTP auquel appartient également Bernard Fontanel, qui, au nom de cette consanguinité professionnelle, justifie avoir refusé en son temps la désignation de Christophe Gruy à la première vice-présidence de la Chambre. Un Bernard Fontanel dont les adversaires s'étonnent que la société familiale éponyme dont il préside le conseil de surveillance ait obtenu, après qu'il ait succédé à Bertrand Millet à la tête du Medef Lyon Rhône, deux lots (pour un montant cumulé de 1,1 million d'euros) du réaménagement du nouveau hall d'accueil d'Eurexpo piloté par le COFIL (Comité de la Foire de Lyon) dont il est administrateur. Les relations de Guy Mathiolon et Patrick Martin sont de leur côté exécrables depuis qu'en 1991 une société de plomberie, Crozet, contrôlée par Bernard Guth, déposa le bilan. Guy Mathiolon y était associé minoritaire, le groupe Martin-Belaysoud en constituait l'un des créanciers les plus affectés. Le président du directoire de ce dernier en a conservé un vif ressentiment.

Omission ?

Dans le camp de Guy Mathiolon, trois hommes sont particulièrement visés : Yves Guyon, président du directoire d'Aéroports de Lyon, le président de la CRCI (Chambre régionale de commerce er d'industrie) Jean-Paul Mauduy, candidat du Medef à l'élection à la tête de la première CCIR, et Yann Féminier, responsable des Affaires économiques au Medef Lyon Rhône, baptisé « l'exécuteur des basses œuvres » ou « cabinet noir » au sein de sa propre famille patronale. Le premier qui fut aussi son directeur général à la Chambre, serait lui-même convoqué le 12 janvier 2011 au tribunal correctionnel - information qu'il a refusé de commenter -. Ses adversaires multiplient attaques et interrogations. Pourquoi dans ce contexte judiciaire qui a valu à Guy Mathiolon d'être mis sur la touche lui-même ne l'est-il pas ? Est-ce lui qui a « guidé » les auteurs du rapport de la Chambre régionale des comptes sur les factures de CB Connexion ? N'est-ce pas lui, qui, selon l'agenda de Christian Barthélémy, avait eu sept rendez-vous - dont quatre en tête-à-tête - avec ce dernier entre le 26 février et le 27 septembre 2007 ? Dans le cadre du « dossier Rhônexpress » (tracé de la ligne tramtrain Lyon-aéroport) qui ferait l'objet d'une enquête de la brigade financière, est-ce lui qui a décidé (et pour quelles raisons) de provisionner dans les comptes de l'Aéroport 310 000 euros correspondant aux honoraires domiciliés à Bangkok qu'un intermédiaire, Yann Gaillard, réclame à Guy Mathiolon pour un supposé mandat affecté à des travaux visant à modifier le tracé du tram ? Il s'en défend, assénant que la décision a émané du directoire « à l'unanimité ». Le silence que le directeur général Philippe Bernand objecte à cette affirmation semble explicite. Et alors qui a concrètement procédé à l'écriture ? La parenté, certes très éloignée, du directeur général adjoint en charge des finances, Didier Le Blan, et du fameux Gaillard a-t-elle pu intervenir ? L'acte, couvert par le commissaire aux comptes, n'a pas fait l'objet d'une information auprès de la commission d'audit et du conseil de surveillance. « L'obligation ne nous en était pas faite, et la faible ampleur des sommes concernées ne le justifiait pas », assume l'intéressé ; la nature, très particulière, de la provision ne fondait-elle toutefois pas une telle information ? Enfin, au moment de négocier en 2009 le « pack » de 490 242 euros correspondant à son départ de la CCI et à son affectation exclusive à l'aéroport, Yves Guyon aurait-il omis de déclarer la totalité de ses trimestres de cotisation retraite par la faute de laquelle il n'aurait alors pas été en mesure de percevoir l'intégralité de l'indemnité ? « Allégation totalement infondée », claque-t-il.

Embarrassante concomitance

Jean-Paul Mauduy, patriarche du patronat lyonnais, plutôt rassembleur et fédérateur, dépositaire de bilans positifs dans les instances qu'il administra - « transformation d'Eurexpo, déménagement des MIN à Corbas, réorganisation du Misée des tissus, création de la société aéroportuaire, gouvernance d'EMLYON : c'est sous mon mandat que tout cela a été réalisé, avec l'accord de tous », martèle-t-il en riposte à la rhétorique de Guy Mathiolon -, désigné par l'ensemble des représentants des Medef territoriaux et à ces titres légitimes  candidater une nouvelle responsabilité, s'est considéré « trahi » par son successeur qu'il estime avoir rigoureusement associé lors de sa présidence. Reste qu'il ne fait pas l'unanimité dans les rangs de sa « famille ». « Ras-le-bol de ses radotages qui donnent une piètre image de la communauté des entrepreneurs lyonnais ! A 71 ans, c'est le combat de trop », s'exaspère l'un des plus respectés représentants du Medef dans la région. Le trésorier de l'Association des chambres françaises de commerce et d'industrie (ACFCI) est aussi soupçonné d'avoir employé sa proximité avec Jacques Gérault au service de l'offensive contre Guy Mathiolon. Maître Ribeyre, lors de sa conférence de presse du 29 septembre, susurra d'autre part une sibylline allusion aux pratiques immobilières contestables de quelque figure lyonnaise. Décodée, l'insinuation portait sur les conditions d'une part d'acquisition du terrain et d'édification de la nouvelle CRCI et d'autre part de vente après requalification en zone constructible pour habitation d'un double terrain à Saint-Symphorien d'Ozon appartenant à Jean-Paul Mauduy et qui hébergeait sa société MG Tuyauterie avant qu'elle ne déménage à Chaponnay. Toutes deux ont pour cheville ouvrière commune le promoteur Pierre Nallet. Celui-ci, alors dirigeant d'une filiale du groupe Cardinal, signa un compromis d'achat, avec conditions suspensives, desdits terrains au nom d'une de ses structures personnelles. N'étant pas en mesure in fine d'assurer l'opération, il établit le lien entre Jean-Paul Mauduy et la société de promotion immobilière Pitch à qui il céda le compromis - « gracieusement », assène-t-il - pour un montant d'1,925 million d'euros. Jean-Paul Mauduy l'affirme : selon le compromis d'une vente toujours pas effective car suspendue à un recours, Pitch est tenu par une clause à un versement mensuel de 6000€ « dont le cumul sera déduit du chèque final ». D'autre part, des interrogations sont posées quant à la validité du recours VEFA qui a prévalu lors de la construction du bâtiment de la CRCI. En effet, la Vente en l'Etat Futur d'Achèvement, qui permet notamment à l'acheteur d'être libéré des règles de concurrence prévues par le code des marchés publics et d'employer l'architecte et les entreprises de son choix, n'est applicable aux collectivités publiques qu'à des conditions que la CRCI doit faire la preuve d'avoir respectées. A noter, enfin, que le prestataire des travaux de terrassement et de dépollution n'était autre que la société Serpollet, « vaisseau amiral » de Serfim. A l'occasion d'un avenant pour complément d'œuvre Serpollet proposa, selon une source autorisée, de facturer la prestation « sept fois celle du marché » ; elle fut aussitôt éconduite. D'autre part, s'étonne-t-on parmi ses détracteurs, Jean-Paul Mauduy avait retenu, pour conduire le recrutement - in fine désastreux - de son directeur général à la CCI Jean-Martn Jaspers, le cabinet Russell Reynolds, dont l'associé Henry de Montebello est le beau-frère de l'élu consulaire et président de Sier Philippe Guérand. Ce dernier et le DRH de l'époque, Jean Enderlin, réfutent toute collusion ; selon eux, cette mission fit l'objet d'un « appel d'offres administratif restreint » dont Philippe Guérand fut certes le « correspondant au sein du bureau de la Chambre » et à ce titre sollicita Henry de Montebello, mais « uniquement » pour être orienté auprès du service idoine « dans cette multinationale du recrutement ». Et « jamais » son beau-frère ne serait intervenu « ni lors de l'appel d'offres - établi selon la règle du mieux disant - ni lors de la mission ». Quant à Yann Féminier, époux d'Emmanuelle Jouffrey, substitut du Procureur de la République, son nom apparaît au moment d'expliquer la divulgation d'informations confidentielles et la chronologie de certaines annonces. D'autre part il aurait « fait comprendre » à deux cadres dirigeants de la Chambre que leur attachement à exercer au mieux leur responsabilité profitait en premier lieu à la réputation de leur président et, consubstantiellement, était de nature à desservir l'intérêt de leur devenir professionnel une fois ce dernier remplacé. L'un d'eux n'a pas démenti l'information.

« Qui est coupable ? »

Ce sont la personnalité et l'identité de Guy Mathiolon qui hier avaient cristallisé le conflit ; ce sont elles du candidat Medef, Benoît Soury, qui aujourd'hui nourrissent l'ire dans les rangs de la CGPME. Là, il y est honni, et en cas de victoire « l'enfer lui est promis », assure-t-on dans les deux camps. « Ce sera alors règlements de comptes à OK Corral », résumait Philippe Grillot quelques jours avant d'être désigné adversaire par la CGPME. L'intéressé lui-même confesse, avec sourire, s'y préparer. Robuste, gestionnaire reconnu, d'une intégrité non contestée, le directeur général de la Vie Claire avait assuré sa responsabilité de vice-président délégué de la Chambre avec « soin, méticulosité, et professionnalisme » selon Bernard Fontanel « en dépit de la vie exécrable que ses opposants lui menèrent » ; avec « l'obsession de faire obstruction à tout » d'après ses pourfendeurs de la CGPME qui lui avaient préféré Christophe Guy lorsqu'il s'était agi de remplacer Gilles Pardi. « Ne nous trompons pas de cible. Qui est coupable ? Celui qui perpètre les fautes ou celui qui les repère et les dénonce ? », tranche Patrick Martin. Un événement fige le niveau de défiance. Le 9 juillet se déroulent les élections de la présidence et de la vice-présidence du conseil de surveillance d'Aéroports de Lyon. « Exceptionnellement, et pour des raisons que j'ignore encore », détaille Guy Mathiolon, elle a pour cadre le Département du Rhône. « Où je découvre, avec étonnement là encore, que le vote sera tout aussi exceptionnellement prononcé à bulletins secrets. Comme par hasard, le matériel est prêt ». « Après en avoir discuté avec qui de droit », il est candidat, au nom de la CCI, à la vice-présidence. Il dispose des pouvoirs de Pierre Mossaz et de Christophe Gruy mais n'est réglementairement autorisé qu'à en faire valoir un seul et « compte » donc deux voix. Treize des quinze membres et donc quatorze des quinze votes sont présents. « Gérard Collomb reconnaît publiquement la légitimité de ma candidature et affirme qu'il vote en ma faveur - ce que confirme la procès-verbal, ndlr -. Tout comme Benoît Soury. Or le résultat fait état de deux abstentions, de neuf votes contre, et de trois pour. Que ce dernier s'explique : m'a-t-il menti ? Sinon, cela signifierait que le maire de Lyon a menti… Qu'il le dise ! », peste Guy Mathiolon, « écoeuré d'une manœuvre vexatoire qui avait pour seul but de m'humilier ». Interrogé, Benoît Soury a souhaité ne pas répondre.

Guerre maçons-chrétiens

Aux yeux de ses détracteurs, Benoît Soury cumule deux « tares » particulières. La première est d'être estampillé très proche de Régis Pelen, président et actionnaire majoritaire, via sa holding Investissements et développement, de La Vie Claire. Un Régis Pelen écarté le 21 décembre 2005 de la présidence de Sepel, exploitant d'Eurexpo, un an avant l'instauration d'une nouvelle architecture capitalistique et organisationnelle qui profite désormais à la CCI et à GL Events. De là date d'ailleurs la grande proximité d'Olivier Ginon et de Guy Mathiolon, réunis également au sein du club de rugby du LOU. Proximité qui, selon nos informations, souffrirait d'une part des pressions que le microcosme lyonnais exercerait sur le Pdg de GL Events pour qu'il prenne ses distances, d'autre part de la convocation dont ce même Ginon ferait l'objet pour « s'expliquer » devant la Chambre régionale des comptes sur les conditions qui ont dicté la prise de concession d'Eurexpo par son groupe.
La seconde est qu'il incarnerait une grange du patronat chrétien « viscéralement » hostile à la franc-maçonnerie - Guy Mathiolon est membre du Grand Orient de France (GODF) -. Effectivement, Bernard Fontanel le concède lui-même, le conflit consulaire et patronal a « aussi » pour terreau la prudente méfiance pour les plus doux d'entre eux, le profond rejet pour les plus sévères, qu'un certain nombre de patrons chrétiens et de francs-maçons se vouent. Réelle ou fantasmée, l'assimilation de la franc-maçonnerie à l'affairisme n'a pas trouvé dans la personnalité, dans l'attitude, et dans l'activité professionnelle de Guy Mathiolon matière à être naturellement détrompée. Ce dernier l'affirme : le 27 juin, veille de sa mise  en garde à vue, alors que Pierre Jamet, directeur général du Conseil général du Rhône, achève une présentation du rapport de la Chambre régionale des comptes devant les membres de son bureau, le président Michel Mercier se serait exclamé en substance : « A nous maintenant de les tenir, ces francs-maçons qui tiennent la ville ». Un membre du GODF rapporte une étonnante anecdote : invitée à un dîner auquel participaient quelques « frangins » réunis par un soyeux croix-roussien pour « sauver le soldat Mathiolon », une autorité judiciaire lyonnaise majeure découvrant l'objet de la rencontre quitta, furieuse, l'aréopage. L'instruction qui concerne Guy Mathiolon a été confiée au magistrat Dages Desgranges, mais sa défense le confirme : l'ombre du Procureur général près la Cour d'appel de Lyon Jean-Olivier Viout est présente. Viout dont la probité et l'intégrité font l'unanimité - « Nul doute qu'il est aussi honnête qu'on le dit. Mais si dix, vingt, trente personnes colportent vers lui des rumeurs me présentant comme un voyou, il va bien commencer à le croire… », confesse Guy Mathiolon - qui selon une source politique et économique, « aurait indiqué que le « problème » allait être réglé avant les élections ». Les faits lui donnent raison.

Vengeance

Pour l'heure, en dépit des pressions qui s'exercent au sein même de l'organisation patronale et des interrogations sur la compatibilité de sa fonction professionnelle avec celle d'un exercice à temps plein de son mandat, le Medef Lyon Rhône a maintenu la candidature de Benoît Soury : « Ce n'est pas négociable. Il a été désigné par notre conseil d'administration, et il est indéboulonnable », claque Bernard Fontanel. Bruno Lacroix, président du CESER, résume la dualité de la situation : « Il a la légitimité et dispose des compétences pour être un bon président. Il n'est pas l'homme du consensus ». C'est dans ce contexte haineux et belliqueux que se préparent les élections. Et surtout la future présidence. Qui, si elle échoit au Medef, pourrait d'ailleurs se décider de se porter partie civile dans « l'affaire Guy Mathiolon »… Il est peu probable que ce dernier, qui revendique les soutiens de son alter ego de Paris, Lille, Marseille, retourne aux commandes de son entreprise Serfim sans régler, un à un, chacun des comptes dont il juge avoir été victime. « Il donnera la pleine mesure de ses capacités de nuisance et de vengeance », redoute Roland Bernard. Bruno Lacroix n'est guère optimiste. S'il espère toujours que la « dignité » dictera les débats, il prophétise également que le « scrutin se déroulera sur un fumier malodorant plutôt que sur un terreau fertile ».
Les pronostics de l'élection consulaire lyonnaise pourraient, de l'aveu même de Bernard Fontanel, récompenser la CGPME si celle-ci s'adjuge les collèges « Industrie moins de 50 salariés », « Commerce moins de 10 salariés » et « Service moins de 10 salariés » qui octroient 31 des 60 sièges d'élus. Les premiers sondages l'attestent. Quant aux taux de participation, traditionnellement famélique - 18,6% lors du dernier scrutin -, des 65 000 ressortissants, il pèsera sur le score final et sera suivi scrupuleusement, un recul supplémentaire accélérant le discrédit de l'institution. En embuscade est tapi celui qui aurait pu être l'homme providence du consensus : Philippe Grillot, finalement désigné par la seule CGPME. Il cumule quatre handicaps : candidature tardive, inexpérience consulaire, défiance de Gérard Collomb dont il soutint l'opposant Dominique Perben lors des élections municipales de 2008, enfin, adhérent de la CGPME et membre du conseil exécutif du Medef national. Au nom de cette « double casquette », il aurait laissé entendre un « soutien » de Laurence Parisot, ce qui provoqua chez Patrick Martin une colère et une réplique violentes à l'occasion d'une réunion du Medef à Paris le 18 octobre : « On a eu la peau de Mathiolon. Ce n'est pas fini, on va s'occuper maintenant de ton cas », lui aurait-il asséné. La « victime » jugeât la diatribe si « enflammée et menaçante » que le lendemain elle déposa une « main courante » au commissariat de police et en informa Jean-Olivier Viout.
Mais Philippe Grillot peut aussi faire valoir de solides atouts : l'abandon progressif en fin d'année de la présidence du syndicat de transports TLF libère sa disponibilité, son bilan à la tête du Tribunal de commerce de Lyon qu'il présida de 2004 à 2008 est plébiscité, sa personnalité est « compatible » avec le Medef. Enfin, sa virginité à la Chambre l'épargne des lourds fardeaux et des rancœurs personnelles propres aux « sortants ».

Le pire est à venir

Le scrutin lyonnais sera lourd de conséquences sur celui de la CCIR. En effet, 27 de ses nouveaux mandataires participeront à la désignation du premier président de l'ex-CRCI, élu par 100 représentants des onze CCI de Rhône-Alpes. La répartition des « identités patronales » de chacun d'entre eux conditionnera celle du futur vainqueur. Et en cas de victoire de la CGPME à la CCI de Lyon, la candidature probable d'André Mounier pourrait constituer un obstacle rédhibitoire aux espoirs de Jean-Paul Mauduy. Seule et triple certitudes : les belligérants auront contribué à exhiber dans l'opinion publique une image du patronat, déjà profondément entaillée par la conjoncture, que Patrick Martin juge aussi « désastreuse qu'honteuse » ; ils auront accéléré le discrédit et l'obsolescence d'une institution consulaire volontiers assimilée à un cénacle de notabilisation, désertée par les grands donneurs d'ordre - automobile, chimie, nucléaire… la plupart des grands secteurs d'activité ne sont plus représentés, et la liste Medef, incluant des dirigeants majeurs d'Areva, d'EDF, d'IBM ou de Renault Trucks, doit aider à y remédier -, et dont la crédibilité et l'utilité étaient déjà sévèrement contestées. Enfin, ils auront écoeuré des chefs d'entreprise en droit d'attendre de leurs représentants patronaux un engagement univoque à les accompagner utilement dans leur développement pour les plus heureux, dans leur sauvegarde pour les plus fragiles. « Ce combat, risible, est digne d'une basse-cour. Quand je pense à ce que devraient être la mission et la responsabilité des organisations patronales et de la CCI auprès des entreprises, j'en suis sans voix », résume Abdenour Aïn Seba, président du CJD Rhône-Alpes. Quelle qu'en soit l'issue, et dans un contexte où la gouvernance institutionnelle lyonnaise est lézardée - départ du Grand Lyon de Christophe Cizeron à l'été 2009, remaniement du cabinet du maire de Lyon, flottement post-élections à la Région, rivalités des structures publiques « internationales »…-, cette joute consulaire laissera bel et bien de profonds et irréversibles stigmates. Le « vainqueur » aura face à lui lors de l'exercice de sa présidence une opposition patronale martiale. « L'atmosphère était délétère. Elle le sera encore plus à l'issue du scrutin, quel qu'il soit. On fait face à une guerre nucléaire, le pire est à venir, claque un industriel. Et le climat des « affaires » dans la ville est devenu irrespirable ».

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