Isère : la startup Vulkam lève 34 millions d'euros pour construire sa première usine de fabrication de métaux amorphes

La startup industrielle Vulkam, spécialisée dans la fabrication de métaux amorphes, plus solides et sobres en énergies, vient d'annoncer une levée de fonds de 34 millions d'euros auprès de BPI France, d'investisseurs privés et de France 2030 pour construire sa première usine en Isère. La jeune entreprise, l'une des seules au monde dans son domaine, veut produire 2 millions de pièces par an pour le secteur de l'horlogerie, de la santé, mais aussi de l'aérospatial à partir de 2025. Elle entend se placer dans un marché pour l'heure de niche, qu'elle pressent comme révolutionnaire dans le monde des matériaux.
Les métaux amorphes sont, en fonction des alliages, notamment plus résistants, flexibles et légers que les métaux cristallins ordinaires.
Les métaux amorphes sont, en fonction des alliages, notamment plus résistants, flexibles et légers que les métaux cristallins ordinaires. (Crédits : Vulkam)

Après six ans de travail et d'amorçage, voici enfin venu le temps de la concrétisation. La startup industrielle Vulkam, spécialisée dans la conception et la fabrication de métaux amorphes, au moins deux fois plus solides et moins consommateurs en matières premières et en énergie que les matériaux classiques, vient d'annoncer une levée de fonds record de 34 millions d'euros afin de lancer la construction de sa première usine : 14 millions d'euros en equity auprès du fonds SPI 2 (Sociétés de projets industriels) géré par Bpifrance, mais aussi de ses investisseurs historiques, rejoints par les fonds Inco Ventures et SEB Alliance. Mais aussi 15 millions d'euros en dette, toujours auprès de la Banque publique d'investissement, et 4,7 millions d'euros venus de l'aide « première usine » du plan France 2030.

Cette mégalevée, la deuxième de Vulkam, financera pour moitié la construction de son premier site de production de 3.000 mètres carrés, qui sera situé au Versoud (Isère), sur un terrain acheté à la communauté de communes du Grésivaudan, au cœur de l'écosystème scientifique isérois. L'objectif de la start-up issue de la recherche publique, l'une des seules entreprises au monde spécialisée dans ce type de matériaux prometteurs, est d'entamer la production de ses micro-pièces en métaux amorphes en 2025, à raison de 2 millions d'unités produites la première année. La jeune entité entend ensuite monter en puissance en 2026 avec 4 millions de pièces, essentiellement pour les secteurs de l'horlogerie, de la santé, mais aussi, à l'avenir, de l'aérospatial et des transports.

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Métaux amorphes : le matériau des superlatifs ?

Mais de quoi s'agit-il exactement ? Il faut d'abord distinguer deux états : les matériaux dits « cristallins », à l'état naturel, dont les atomes sont organisés et rangés. Et les matériaux dits « amorphes », issus de la transformation industrielle, dont les atomes sont désorganisés (en passant, par exemple, d'un état liquide à solide, sans leur laisser le temps de se réorganiser naturellement).

S'il existe bien, aujourd'hui, des minéraux et des matières organiques dits « amorphes » (comme le verre pour les premiers, et les plastiques, issus du pétrole, pour les seconds), il n'y avait, jusqu'à la fin du XXe siècle, pas d'équivalent pour les métaux. « Cela fait une trentaine d'années que des chercheurs travaillent sur le sujet, détaille Sébastien Gravier, docteur en métallurgie et co-fondateur de Vulkam :

« La question que l'on peut se poser légitimement, c'est pourquoi d'autres utilisations n'ont pas émergées avant ? La raison est assez simple : technologiquement, ces matériaux sont très complexes. Ils nécessitent un ensemble de compétences, à l'interface de la métallurgie, de la technologie du vide - et là on pioche allègrement dans les compétences et les technologies de la microélectronique - mais aussi à l'interface de la plasturgie ».

Vulkam

« Avec les métaux amorphes, nous franchissons un plafond de verre »

Cet état atomique, dit « amorphe », confère en effet plusieurs atouts aux métaux : ils deviennent non seulement « trois fois plus résistants » qu'un matériau classique, « deux fois plus flexibles et deux fois plus légers », mais nécessitent également « deux fois moins de matières premières et d'énergie » pour les produire, détaille la start-up. Cela s'explique notamment par le procédé de fabrication, entièrement breveté, de la conception des machines - produites ensuite par Bosch à Rodez (Aveyron) et Seva, filiale de Saint-Gobain, à Chalon-sur-Saône (Saône-et-Loire) - à la composition des alliages en métaux.

Et ce dernier point est bien l'un des points forts de la deeptech, qui est en train de recruter un 7e chercheur sur les 30 salariés qu'elle emploie : « l'objectif est de développer des compositions, brevetées, pour s'adresser à des marchés spécifiques », explicite Eliott Guerin, docteur en sciences des matériaux, spécialisé dans les métaux amorphes. Il poursuit :

« C'est un changement radical par rapport à la métallurgie traditionnelle, qui se fait généralement sous air, et non sous vide comme nous, avec des compositions qui peuvent varier en pourcentage. Nous sommes au dixième de pourcent atomique. Il a fallu inventer toutes ces manières de produire, pour passer d'une petite machine de laboratoire à cette machine qui permet une industrialisation à un coût compétitif. »

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Vulkam conserve aussi des secrets de fabrication, afin notamment de limiter le taux de rebuts de matières (« dix fois moins » qu'une fonderie ordinaire) et les parachèvements, avec un taux de précision de 3 micromètres. D'où l'enthousiasme des chercheurs :

« Avec les métaux amorphes, nous franchissons une marche, nous cassons les plafonds de verre. Des experts de la NASA ont dit, il y a quelques années, que cette nouvelle classe de métaux amorphes va « redéfinir tout ce qu'on connaît de la science des matériaux au XXIe siècle ». Ce n'est pas neutre », poursuit Sébastien Gravier.

Des petites pièces d'abord, à forte valeur ajoutée

Pour arriver aujourd'hui à l'aube d'une production industrielle, il a fallu relever plusieurs défis : un premier, technique, pour le passage de l'état liquide à solide, par refroidissement du produit en moins d'une seconde. Mais aussi gagner un pari économique, en trouvant des filières aux reins assez solides pour soutenir la montée en puissance de l'ensemble. Pour cela, la start-up s'est très rapidement adressée à deux marchés : celui du luxe, notamment via l'horlogerie haut de gamme, mais aussi celui du médical, notamment à travers l'outillage et pourquoi pas, à l'avenir, des prothèses.

L'idée est bien de monter progressivement en puissance, là où la start-up ne dégage pour l'instant qu'un tout petit chiffre d'affaires : « il s'agit de démarrer avec de petites pièces, à forte valeur ajoutée, puis d'augmenter progressivement les volumes et ensuite la taille des pièces », ajoute Sébastien Gravier. Cette levée de fonds intervient donc à un moment très opportun pour l'entreprise, comme l'explique Magali Joessel, directrice du pôle investissement dans les projets industriels de la Bpifrance :

« Lever des fonds prend du temps et nécessite de la pédagogie, en particulier lorsque nous sommes sur des deeptech complexes à faire appréhender. L'écosystème financier n'est également pas très favorable à ces opérations, pour deux raisons : nous ne sommes plus vraiment dans le capital-risque, et pas encore dans des entreprises profitables, puisque le chiffre d'affaires arrivera avec l'usine. Ce moment dans le développement des entreprises n'est pas très apprécié des investisseurs, que l'on essaye d'entraîner avec nous. »

Un marché encore peu exploré

Aujourd'hui, Vulkam déclare vouloir « prendre une part importante » du marché de la métallurgie, qui pèse pour 700 milliards d'euros en Europe. Se sachant presque seule dans son segment. En effet, seule une poignée d'acteurs prend petit à petit du poids en Europe et au Japon, mais restent encore au stade de la recherche. Tandis qu'aux Etats-Unis, l'entreprise Liquidmetal Technologies est bel et bien positionnée vers les métaux amorphes, mais à des fins essentiellement quantitatives : « il s'agit plutôt de production à grande échelle sur des pièces complexes, où le moulage et le procédé de fabrication apporte une plus-value. Mais ce n'est pas notre objectif pour l'instant. Nous privilégions une montée en cadence », ajoute Sébastien Gravier, qui indique viser les 10 millions d'euros de chiffre d'affaires à partir de 2026.

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