Textile : les entreprises lyonnaises de la soie misent sur le haut de gamme et la relocalisation

Après avoir surmonté plusieurs crises, face à l'évolution de la demande, notamment sur Internet, les entreprises de la soie lyonnaise doivent innover. Ce secteur haut de gamme et luxe, représentant 40 entreprises dans la région, s'appuie sur ses forces pour rester compétitif, notamment à l'export : carrés de soie, prêt-à-porter, imprimés, conservation du patrimoine... Reste un enjeu majeur : faire revenir la production séricicole (la soie) dans l'Hexagone.
Les entreprises de la soie lyonnaise confirment leur montée en gamme face à la forte concurrence des pays asiatiques.
Les entreprises de la soie lyonnaise confirment leur montée en gamme face à la forte concurrence des pays asiatiques. (Crédits : Pierre-Aymeric Dillies)

La soie est aux canuts, à Lyon... ce que la dentelle est à Calais. Aujourd'hui, l'identité de tisserands reste ancrée dans la capitale des Gaules, bien que sa réussite florissante soit moins visible qu'au début du XIXè siècle. Depuis l'essor de la pétrochimie, qui a permis la massification de l'industrie textile, la filière a été amputée. Tout comme la délocalisation de nombreux outils productifs. Un siècle plus tard, une quarantaine d'entreprises, la plupart historiques, tentent de recréer une filière à 100 % française de bout en bout, là où 80 % des fils de soie sont aujourd'hui produits en Chine.

Pour y parvenir, ces entreprises lyonnaises s'appuient non seulement sur des partenaires, notamment le Japon et les Etats-Unis à l'export - l'international représentant en moyenne 70 % de leurs activités. Mais elles explorent aussi de nouveaux marchés : haut-de-gamme ou spécialisés, reconnus pour leur qualité.

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Une création made in France, mais des difficultés pour redévelopper la sériciculture française

Aujourd'hui, la plupart des entreprises de la soie française interviennent à partir de l'étape de création et d'impression, là où la production, grâce aux cocons produits par les vers à soie, reste quasi intégralement réalisée en Chine, au Brésil et en Ouzbékistan. L'argument financier prime, certes, mais la question du climat pèse aussi dans l'équation : les zones chaudes et tempérées permettent la pousse des feuilles de mûriers toute l'année, soit une dizaine de récoltes par an.

Vers à soie

Avec le tissage des fils, l'enjeu de la relocalisation de ces premières étapes de production reste entier et pour l'instant, il est presque impossible de produire en Europe, en raison de l'absence de filière. « En Europe, nous avons zéro matière, mais une très grosse part de la valeur générée », remarque à ce titre Xavier Lépingle, vice-président de l'organisation professionnelle du textile dans la région, Unitex, et par ailleurs directeur général de Holding Textile Hermès, à l'occasion du salon Silk in Lyon (jusqu'au 19 novembre) :

« Cette filière n'a jamais complètement disparu, mais les productions séricicoles sont très artisanales, donc on ne peut pas dire aujourd'hui qu'il y ait de relocalisation de cette activité sur la partie matière. Cette activité n'est pas revenue, mais elle le sera peut-être un jour parce qu'il faut des mûriers, qui eux, sont toujours là, notamment en Ardèche. Nous voyons en revanche revenir des volumes sur la partie "maîtrise" de la matière. »

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Quelques exceptions émergent, mais restent à la marge. C'est le cas de la jeune entreprise de fabrication de linges de maison en soie, Benu Blanc, qui vient de nouer un partenariat avec une exploitation séricicole des Cévennes, Sericyne. Jusqu'ici, cette marque du secteur de la beauté « holistique », en raison des bénéfices de la soie pour la peau, produisait ses taies d'oreillers en Italie. Car « la matière première n'existe pas en France », pointe Fanny Redziniak, sa co-fondatrice. Les prix et les quantités produites ne sont pas compatibles avec la demande des professionnels lyonnais du haut de gamme, qui passent également très souvent par l'Italie pour le tissage et/ou l'impression des tissus. La région du Piémont a en effet conservé son écosystème manufacturier. Au point que « le premier pays d'exportation de l'Italie sur la soie, c'est la France », ajoute Xavier Lépingle.

« Nous assumons franchement un choix haut de gamme »

D'autant que le contexte de sortie de crise sanitaire a été déstabilisant, tant sur l'export que la hausse des coûts de production. Aujourd'hui, le secteur de la soie lyonnaise a certes légèrement ralenti, mais « garde aussi un taux de croissance important », selon Xavier Lépingle :

« Globalement, malgré une forme de ralentissement, avec une croissance moins forte que ces derniers temps, l'industrie est encore très porteuse. La spécificité de ce circuit local de création, développement et fabrication en Auvergne-Rhône-Alpes et en Italie, est qu'il produit des articles que l'on retrouve partout dans le monde. C'est une industrie, que je compare souvent à Airbus ».

Malgré tout, de nombreuses entreprises disent avoir revu leur stratégie, en montant un peu plus en gamme. Benu Blanc, par exemple, déclare avoir fait évolué la qualité de sa soie, en adoptant aujourd'hui le tissage Jacquard, typiquement lyonnais.

« Nous étions auparavant positionné en milieu de gamme, explicite Fanny Redziniak. Mais nous en avons un peu souffert, face à la concurrence. Le consommateur souhaite de la clarté. Nous repositionnons en ce moment la marque pour monter en gamme, vers le luxe. C'est un changement stratégique, notamment en direction de l'export. »

L'entreprise va pour la première fois commercialiser ses produits en Corée-du-Sud, en mai 2024, en vue, potentiellement, de s'adresser aux clients japonais une fois qu'elle aura gagné en stabilité et en maturité.

A l'instar de la Maison Malfroy, qui travaille avec le marché nippon depuis 1977. Spécialisée dans le foulard en soie depuis sa création en 1939, cette entreprise familiale est passée, au fil des générations, sous plusieurs vagues d'activités. Créateur, mais aussi imprimeur jusqu'à la vente de son usine de Bourgoin-Jallieu à Hermès au début des années 2000, Maison Malfroy a failli disparaître pendant la crise sanitaire. Depuis 2020, elle a cessé toute son activité de collection de tissus. Contrainte de revoir son modèle, après le licenciement économique de cinq de ses dix salariés, décision a été prise de repartir sur d'autres bases. Nouvelles collections, montée en gamme, développement de sa communication, boutique en ligne : la part des achats de clients directs augmente au fil des mois, et l'entreprise affiche de nouveau une rentabilité :

« Depuis la crise sanitaire, la part du numérique est en très forte hausse et, à l'inverse, nous avons complètement perdu notre réseau de boutiques. De même, nous avions, auparavant, des collections très larges de tissus, avec aussi des petits prix et plusieurs gammes de produits. L'arrêt total de la production, pendant la crise sanitaire, ne nous permettait pas de nous relever. Nous avons dû revoir notre stratégie et assumons franchement, aujourd'hui, un choix haut de gamme qui fonctionne », dépeint Valérie Malfroy, responsable administrative.

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Soie

L'entreprise, qui imprime désormais ses créations près de Côme (Italie), s'appuie essentiellement sur ses partenaires historiques, de confiance. A l'instar de clients japonais, à la recherche du « détail » et de la marque française. La part de l'export est en effet un critère de soutenabilité majeur, constituant en moyenne 70 % des activités du secteur.

« Toutes les entreprises du bassin lyonnais de la soie sont plutôt en bonne santé. Le retour vers les savoir-faire maîtrisés est un critère de plus en plus important pour les clients. Aujourd'hui, l'envie d'avoir des produits respectueux de la nature, faits localement, avec des savoir faire réels, sont des éléments très porteurs. Le secteur du textile en général cherche d'ailleurs à recruter 1.000 personnes dans l'année en Auvergne-Rhône-Alpes. C'est très significatif », ajoute Xavier Lépingle.

De même, la maison Tassinari & Chatel, filiale du groupe Lelièvre, fabrique toujours des soies d'exception à Panissières (Loire) et à la Croix-Rousse (Lyon), avec son atelier de métiers à bras, pour le créneau très particulier des pièces de collection. La maison, créée en 1860, travaille à ce titre avec le château de Versailles, comme de nombreux autres musées et lieux du patrimoine grâce à ses collections d'imprimés. « Nous avons tous nos créneaux particuliers, tous nos produits phares », dépeint Jean-Michel Clairet, directeur de production. « L'évolution des produits est permanente. Mais notre base est conservée précieusement, avec beaucoup d'attention. Nous restons centrés sur les valeurs de notre maison », conclut-il.

La soie investit également d'autres secteurs...

Si les marques historiques s'appuient sur des filières bien tissées, certains entrepreneurs se frottent à de nouveaux marchés pour le moins inattendus. A l'instar de Silkbiotic, lancée il y a seulement deux semaines. La marque de la société Benu Blanc (citée plus haut) investigue le monde de la dermo-cosmétique, en parapharmacie, grâce à un partenariat de recherche avec le CNRS de Montpellier et son laboratoire, dans l'Hérault, avec qui elle a déjà établi une preuve de concept. L'objectif est d'utiliser une infime quantité de cocons de vers à soie (en l'occurrence une protéine, la fibroïne) dans la conception des produits, notamment pour leurs propriétés protectrices. La jeune entreprise est en pleine prospection commerciale. Fanny Redziniak explique ainsi être en pourparlers au Portugal et souhaite aller plus loin dans la R&D sur le sujet.

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Car, au-delà de la dimension hautement historique et patrimoniale de cette matière, certains secteurs l'ont récemment investiguée, débouchant sur des innovations. C'est ainsi que la société Hexcel, en Isère, héritière de familles de tisseurs de soie, s'est inspirée de ce savoir-faire pour la conception de ses fibres de carbone, notamment pour le secteur aéronautique. Car n'oublions pas que le fil de soie a été utilisé pendant la seconde guerre mondiale pour la conception des toiles de parachutes. Après 5.000 ans d'artisanat, la matière aurait-elle vraiment livré tous ses secrets ?

À retenir

  • La région Auvergne-Rhône-Alpes est la première région textile de France, avec 600 entreprise (29 % du nombre national) et 17.000 emplois (27 %).
  • 3,3 milliards d'euros :
    C'est le chiffre d'affaires réalisé par les entreprises du textile dans la région, soit 25 % du secteur en France.
  • 2.000 emplois dans la filière de la soie à Lyon et dans la région, représentant 40 entreprises.

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