Après Renault, Schneider Electric s'apprête à céder son entité russe... à son management local

Plus de deux mois après le début de l'invasion de l'Ukraine, l'étau se resserre autour des grands groupes français encore en opérations en Russie, et dont la position devient difficilement tenable. Après Renault, c'est l'isérois Schneider Electric, numéro un de la distribution électrique, qui a annoncé ce mercredi qu'il céderait prochainement ses activités russes et biélorusses. Mais contrairement au constructeur automobile, Schneider Electric l'annonce de son propre chef et confierait les rênes à sa "direction locale", sans oublier une empreinte très limitée sur son chiffre d'affaires annuel global (2%). Cette décision intervient à l'heure où le Kremlin élabore une nouvelle législation en vue de la prise de contrôle des entreprises étrangères voire de leur pénalisation en cas d'application des sanctions de l'UE...
(Crédits : Charles Platiau)

Son exposition sur le marché russe est estimée à 2% de son chiffre d'affaires global, mais elle était devenue particulièrement visible, et handicapante.

L'isérois Schneider Electric, numéro 1 mondial de la distribution électrique, venait de publier ses dernier résultats trimestriels, qui témoignent à nouveau d'une solide croissance (+10%, avec 7,566 milliard d'euros de chiffre d'affaires), en lien avec les marchés ouverts par la transition énergétique en 2021.

L'an dernier, il avait déjà atteint pour rappel un chiffre d'affaires record de 29 milliards d'euros, marquant une croissance organique de +12,7% par rapport à 2020, et un résultat net de 3,2 milliards, en hausse de +51%.

Mais en parallèle, le groupe s'est finalement résolu de lui-même, comme il l'affirmait d'abord par voie de communiqué, à se séparer de ses activités en Russie et en Biélorussie, deux zones où l'activité économique française est devenue "persona non-grata" depuis le démarrage de l'invasion russe en Ukraine, et où il assurait une présence depuis 50 ans.

Ses actifs sur place comprennent notamment trois sites de production destinés aux marchés du bâtiment et du secteur résidentiel (à travers notamment des produits de distribution électrique basse tension), deux centres de distribution ainsi que des fonctions innovation et commerciales. Au total, près de 3.500 des 128.000 collaborateurs du groupe y sont actuellement rattachés.

Soit presque l'ensemble des fonctions nécessaires à ce que l'entreprise fonctionne en autonomie, puisque Schneider Electric opérait jusqu'ici, en Russie comme sur d'autres zones géographiques, sur un mode adapté au marché régional.

"Ce n'est pas un mode de fonctionnement étonnant à l'échelle du groupe, car en plus de présenter une certaine logique de proximité, et c'est aussi une manière de s'adapter aux normes locales, qui ne sont pas les mêmes partout sur le marché de la distribution électrique", relève un porte-parole du groupe.

Une cession envisagée directement au profit des cadres sur place

Quelques heures seulement après l'annonce du ministre du Commerce et de l'Industrie russe, Denis Mantourov, selon qui Renault va céder à un centre de recherche automobile russe la totalité de sa participation majoritaire au sein du constructeur automobile russe Avtovaz (68%) ainsi que ses 100% de parts dans Avtoframos, le français Schneider Electric a donc également suivi le même chemin. Ou presque. Car depuis plusieurs semaines déjà, la présence de plusieurs grands groupes français sur ce marché controversé alimentait les discussions au sein de l'opinion publique.

Mais cette fois, le choix a été fait chez Schneider Electric de se tourner vers le management local : la direction de Schneider Electric précise en effet à La Tribune que la cession est envisagée directement à ses propres cadres sur place, en charge de la direction de l'entité.

Schneider Electric "n'aura plus de lien avec cette structure" russe

Composée de plusieurs personnes, dont l'identité n'est pas communiquée à ce stade, "ce sont déjà des citoyens russes, qui pourraient ensuite opérer sur place une société de droit russe", confirme un porte-parole de l'entreprise, qui affirme qu'à l'issue de l'opération, "le groupe n'aura plus de lien avec cette structure".

Ce qui signifie que son nom, mais aussi son capital, ainsi que ses activités seront entièrement dissociées de Schneider Electric. "La seule chose étant qu'ils pourront opérer comme une tierce partie sur la maintenance et les produits déjà installés sur place", précise le groupe.

"Cette opération représente la grande majorité de ce que nous avons sur place", avait déjà rapporté la directrice financière du groupe, Hilary Maxson, lors d'une conférence mercredi matin, alors que Schneider Electric envisage également de se retirer de quelques actifs locaux dans lesquels il détient une participation.

La transaction doit encore être validée par les autorités russes

Concernant le calendrier, le groupe affirme avoir communiqué "très en amont", "du fait de l'urgence de la situation", soit dès l'étape de la signature d'une lettre d'intention entre les deux parties concernées.

"Nous espérons ensuite que l'étape de signing, réalisée elle-même avant le closing final, puisse intervenir sous deux mois, après la validation des autorités locales pour ce type de transactions", annonce le groupe, sans toutefois préciser quels seront précisément ses interlocuteurs en Russie.

A ce stade, le nom de Bercy n'est pas évoqué dans le cadre de cette procédure, même si l'on sait que la question sera très certainement scrutée de près par le gouvernement français, face aux sanctions déjà décidées par l'UE et ses alliés à l'encontre du Kremlin et de ses proches.

Le montant de l'opération n'est pas encore communiqué à ce jour, mais le porte-parole de Schneider Electric réfute toute similitude avec l'opération actuellement en cours au sein du groupe Renault, qui lui serait cédé - s'il faut en croire le ministre du Commerce russe car, pour l'instant, ni Renault ni l'État français n'ont souhaité faire de commentaires-, à un organisme proche du Kremlin à un prix dérisoire "1 rouble symbolique", soit 0,013 euro.

Une perte financière 300 millions d'euros de la valeur comptable nette

Cependant, on sait déjà que cette cession aura une conséquence financière directe pour l'entreprise iséroise, puisque le groupe Schneider Electric a lui-même évalué qu'elle déprécierait "jusqu'à 300 millions d'euros de la valeur comptable nette".

Un chiffre auquel s'ajoutera un impact supplémentaire puisque le groupe devra également réaliser "une inversion non monétaire de la conversion des devises", dont le montant de facture est estimé à "120 millions d'euros".

Le distributeur électrique a cependant confirmé malgré tout son objectif annuel de chiffre d'affaires, annoncé le 17 février dernier, et qui cible une croissance organique comprise entre 7% et 9% et une marge d'Ebitda ajustée entre 17,6% et 17,9%.

Questionnée à ce sujet, sa directrice financière avait confirmé par ailleurs mercredi matin qu'un retour futur sur ce marché ne serait cependant "pas exclu", même si la priorité demeurait à ce stade de se retirer dans le contexte de l'invasion de l'Ukraine par la Russie.

A l'heure où le gouvernement russe est justement en cours d'élaboration d'une législation qui pourrait permettre de confier le contrôle des entreprises étrangères à une direction locale externe, et faire de la mise en œuvre des sanctions européennes contre la Russie un délit pénal pour les dirigeants et les entreprises étrangères, l'étau se resserre sur les flux d'échanges entre la France et la Russie.

Une enquête de la cellule d'investigation de France Inter donnait récemment la parole à un expert de la société de conseils Cifal, Gilles Remy, qui, parmi les solutions proposées aux acteurs français pour faire face aux sanctions appliquées dans plusieurs domaines (spatial, aéronautique et défense, finance, luxe, etc), évoquait cette option : proposer "aux entreprises françaises de mettre leur affaire en Russie en fiducie. C'est-à-dire qu'on la gère nous-même. Ensuite, soit l'entreprise vend sa part, soit elle reprend sa gestion plus tard, quand elle décide de revenir sur le marché".

Un contexte qui pose de nouvelles questions et ouvre un nouveau chapitre dans la guerre indirecte que se livrent désormais la Russie et l'Europe.

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Commentaires 2
à écrit le 28/04/2022 à 23:56
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En dehors de l'extraction du pétrole et du gaz, et de la construction de fusées, de missiles et d'armes, la Russie n'a pas produit grand chose de commercialisable à travers le Monde, alors qu'elle dispose des ressources et des compétences nécessaires...

à écrit le 28/04/2022 à 23:56
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En dehors de l'extraction du pétrole et du gaz, et de la construction de fusées, de missiles et d'armes, la Russie n'a pas produit grand chose de commercialisable à travers le Monde, alors qu'elle dispose des ressources et des compétences nécessaires...

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