B. Peillon (Emergences) : "Le digital et l'ESS sont un binôme du progrès"

Créée en 2009, la Fondation Emergences accompagne les projets issus de l'entrepreneuriat social, grâce à un mécénat de compétences. Pour Blandine Peillon, présidente de la fondation, toute entreprise doit chercher une utilité sociale. Dans une nouvelle économie, liée au collaboratif, les salariés attendent de leur entreprise "qu'elle soit citoyenne".

La Fondation Emergences a été lancée en 2009 dans le but d'accompagner le développement de projets issus de l'entrepreneuriat social. Quel bilan dressez-vous près de huit ans après le lancement ?

En ce deuxième quinquennat d'existence, le bilan est plutôt positif puisque nous avons accompagné plus de 20 projets. Certains sont déjà sortis de l'accompagnement et fonctionnent bien, à l'image de Vis ta colo, une colonie de vacances intergénérationnelle. En ce moment, la fondation accompagne encore 13 projets, mais nous nous sommes fixés un objectif de 30 projets en simultané. En somme, que chaque chef d'entreprise membre d'Emergences accompagne un projet.

Vous privilégiez le mécénat de compétences plutôt que celui financier. Pourquoi un tel choix ?

L'argent est facile à trouver, même dans l'entrepreneuriat social. Alors nous préférons les accompagner sur le volet des qualifications. Cependant, nous les aidons malgré tout à aller chercher des financements.

Quelle est la différence entre la fondation Emergences et l'offre que proposent les incubateurs ?

Le modèle est différent. Chez Emergences, ce sont uniquement des dirigeants d'entreprises qui parrainent les porteurs de projets. De plus, nous n'avons pas de lieu physique d'hébergement : les rencontres se font soit chez nos membres, soit chez le porteur de projet. Alors que dans un incubateur, l'accompagnement se fait au jour le jour, nous avons plutôt mis en place des points d'étape, pour suivre le développement de l'entreprise.

Dans ce cas, pourquoi préférer Emergences plutôt qu'un accompagnement à temps plein ?

Le chef d'entreprise consacre une partie de son temps libre à parrainer des projets : nous sommes donc dans une dynamique ancrée dans le monde du travail. Avec des fondateurs comme Groupama, Axa ou Visiativ, nous disposons également d'un réel réseau d'accompagnement pour ces jeunes entreprises.

Vous insistez sur cette nécessité de la vie "hors-entreprise". Pourquoi ?

Les dirigeants doivent sortir de leurs tableaux excel. Pour eux, il est vital d'aller participer à une dynamique différente de celle à laquelle ils sont confrontés chaque jour. Leurs idées sont "oxygénées" par celles des porteurs de projets, qui ont pour objectif de servir des bénéficiaires, plus que des bénéfices. Avoir une vie "hors-entreprise" devient un acte citoyen, car les valeurs de base retrouvent une place.

Justement, le développement de l'entrepreneuriat social a-t-il permis d'insuffler cette notion d'utilité sociale au sein des entreprises traditionnelles ?

Si une entreprise ne cherche pas l'utilité sociale, elle a tort. La jeune génération veut participer à la création d'un monde meilleur. Dans un contexte où les salaires n'augmentent pas, les collaborateurs acceptent de gagner moins, mais à une condition : que leur entreprise participe, et leur donne la possibilité de participer, à la construction de la cité, à rendre la vie des personnes âgées plus sereine... Les salariés ne veulent plus que des fonds de pension gèrent des bénéfices, qui servent des actionnaires en fin d'année. Ils veulent que leur entreprise soit citoyenne.

La nouvelle économie est liée au collaboratif, à cette envie de faire des choses ensemble, d'échanger. Nous sommes davantage préoccupés par la vie de la planète, de la société. La population a franchi un cap et se rend compte qu'il est impossible de continuer à vivre de façon aveugle par rapport à toutes ces problématiques environnementales mais aussi d'insertion.

Au sein d'Emergences, nous avons par exemple aidé un porteur de projets qui dispense des formations aux métiers du bâtiment aux détenus. Lui s'occupe de l'aspect technique, et des fondateurs viennent en prison pour expliquer ce qu'est une entreprise, pourquoi il est essentiel de faire un CV, comment se présenter pour des emplois... Ce lien dedans-dehors est intéressant : aujourd'hui, la France compte 63 000 détenus, et nous vivons sans nous en préoccuper. Or, ces personnes vont sortir, et il faudra bien leur trouver une place dans la société. Nous ne pouvons plus vivre de façon égoïste. La fondation a aussi ce but d'ouvrir les yeux sur ces champs. Les entrepreneurs ont cette prise de conscience.

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Cette prise de conscience explique-t-elle le développement de l'économie sociale et solidaire en France ?

Nos porteurs de projets ont un point commun : ils sont venus à l'entrepreneuriat par le vécu. Ils ont été confrontés à une expérience et ont ressenti un manque. C'est le cas avec Handivoyage, un airbnb pour les handicapés. Le porteur de projet a voulu louer un appartement sur le site avec son père en fauteuil roulant, mais aucune offre n'était adaptée. Il crée un business pour les personnes qui veulent partir. Il va générer des bénéfices, mais l'idée première est surtout de faire des bénéficiaires.

C'est un mouvement de mini-révolte. Certains créent des associations, d'autres se sentent l'énergie de monter une société qui va avoir cette vocation de servir.

Le progrès viendra-t-il de l'entrepreneuriat social ?

Le digital et l'économie sociale et solidaire sont un binôme du progrès. On ne peut pas créer des plateformes et en même temps ignorer son voisin. Par rapport au côté virtuel du digital, les entrepreneurs sociaux amènent du lien social.

Vous parlez de trois mondes distincts : le monde social, le secteur marchand et le secteur public. L'idée est de les rapprocher pour qu'ils ne fassent plus qu'un ou de créer des ponts ?

Ils doivent être complémentaires. Ce qui nous intéresse, c'est justement d'aller vers des champs sur lesquels ne sont pas ni les services de l'Etat - car ils considèrent qu'il n'y a pas d'urgence, ils n'ont pas les fonds -, ni le secteur marchand - car le marché n'est pas rentable. A quoi cela sert de créer des jardins collaboratifs dans les cités ? A créer du lien social, retourner à la nature. C'est là que l'entrepreneuriat social intervient. L'idée est de faire grandir des bénéficiaires, plutôt que des bénéfices. Mais chacun a sa place, sans jugement de valeur.

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Quels défis attendent l'entrepreneuriat social, et l'économie sociale et solidaire plus largement ?

Aujourd'hui, des sujets de société n'ont pas encore vu le jour, mais ce n'est qu'une question de temps. Le vieillissement de la population est par exemple un problème : on ne peut plus accueillir de personnes âgées dans les hôpitaux, on ne construit plus de maisons de retraite. Il faudra donc envisager des prises en charge à domicile. Il est en de même avec la mutation de la famille, avec des sujets comme la garde d'enfants. Nous nous mettons en prospective pour identifier quels champs, dans dix, quinze, vingt ans, vont concerner la population. Nous allons d'ailleurs lancer des appels à projets sur ces thématiques, pour créer une activité autour de ces problématiques auxquelles nous serons confrontés.

Outre ce lancement d'appel à projets, quels sont vos ambitions pour 2017 ?

Toujours dans cette idée de prospective, nous aimerions collaborer avec des sociologues qui pourraient nous accompagner sur des sujets que nous n'avons pas encore explorés, comme l'addiction par exemple.

Pour l'instant, nous sommes uniquement présents à Lyon, et ne pouvons accompagner que des projets lyonnais. Nous aimerions sortir un peu et avoir des fondateurs dans d'autres villes comme Saint-Etienne, Clermont-Ferrand, ou Grenoble où il existe un terreau d'entrepreneurs sociaux.

2017 marquera aussi l'arrivée d'un nouveau président de la République. Quelles mesures pourraient être prises pour aider le développement de l'économie sociale et solidaire ?

Pour créer une entreprise, et ce n'est pas spécifique à l'économie sociale et solidaire, il faut de l'argent et du temps. Or, il manque à tous les porteurs de projets des financements pour démarrer. A partir du moment où ils font partie d'un label, comme la fondation Emergences, ou sont accompagnés, il faudrait pouvoir les aider. Celui qui crée des emplois, qui a cette énergie, devrait bénéficier d'un fond pour vivre le temps de monter son projet.

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