Comment Cuir Marin de France pourrait transformer le marché du luxe

La jeune pousse lyonnaise Cuir Marin de France veut se positionner le leader du cuir marin en France. A travers sa marque Ictyos, elle a développé un nouveau procédé de tannerie utilisant les résidus de peaux de poissons, issues des déchets générés par la restauration locale. Une stratégie qui devrait se retrouvée accélérée par une levée de fonds de 500.000 euros, qu'elle s'apprête à finaliser en octobre avec des investisseurs, dont le nom n'a pas encore été divulgué.
Cuir Marin de France vient par exemple de collaborer avec la marque parisienne Jean Rousseau pour la conception de porte-cartes en cuir marin.
Cuir Marin de France vient par exemple de collaborer avec la marque parisienne Jean Rousseau pour la conception de porte-cartes en cuir marin. (Crédits : DR)

Cuir Marin de France remet au goût du jour le métier de tanneur, mis de côté depuis plusieurs décennies. Une tendance qui n'a pas échappée au groupe de luxe LVMH, qui a sélectionné la jeune pousse lyonnaise parmi sa promotion de 20 startups accompagnées à Station F. Mais le QG de le startup se trouve ailleurs, puisque le tanneur de cuir marin s'est installé à Saint-Fons (Rhône), en banlieue lyonnaise, au plus près du Centre technique du cuir, qui fait partie des cinq plus grands pôles d'expertises mondiale dans son domaine. "On a passé six mois à peaufiner notre développement à leurs côtés, pour arriver une qualité de production qui répond au standard de l'industrie du luxe", explique Benjamin Malatrait, président et cofondateur de Cuir Marin de France, qui développe la marque Ictyos.

Après avoir récolté une enveloppe de 100.000 euros à travers un financement participatif pour son installation, la jeune pousse, qui compte désormais 6 collaborateurs, bouclera son premier exercice en 2020 tout en s'apprêtant à compléter, d'ici fin octobre, une levée de fonds de 500.000 euros. Bien que le nom de ses partenaires demeure, pour l'heure confidentiel, cette opération a un objectif affiché : lui permettre de poursuivre sa R&D, en vue de proposer une nouvelle espèce de cuir d'origine marine chaque année. "Nous souhaitons aller davantage vers une diversification des types de cuirs produits, plutôt que vers une montée en volume", atteste Benjamin Malatrait.

Une démarche d'économie circulaire

Entouré de deux amis diplômés en chimie, l'idée avait émergé en étudiant le menu d'un restaurant. Avec une question : comment valoriser les quelques 50.000 tonnes annuelles de peaux de poissons générées chaque année par l'industrie agroalimentaire en France ? Un chiffre qui grimpe même à 500.000 tonnes annuelles en Europe.

Un "parfait exemple" d'une mauvaise utilisation des ressources naturelles, que l'un des trois cofondateurs avait tenté de corriger, dès le lendemain, en récupérant une peau de poisson au sein d'un restaurant de sushis parisien. Il avait alors procédé à une première ébauche de leur futur procédé de tannage, qui se veut sans métaux lourds et dans une optique de valorisation des déchets.

"Depuis 2016, nous avions travaillé sur un procédé de tannage des peaux de saumons, esturgeons et carpes, que nous avons amélioré plus de 2000 fois. Nous sommes désormais arrivés à une grande qualité de cuir, tout en restant sur la logique d'utiliser une ressource à valoriser", confirme Benjamin Malatrait.

Concoctée à base de racines de feuilles d'écorce d'arbre, sa recette est tenue secrète, mais s'inspire de procédés déjà utilisés au sein des pays nordiques. "En Finlande, des cuirs étaient réalisés à partir de raies ou de requins, mais sans cette volonté de transformer nécessairement des peaux issues de la consommation humaine", note Benjamin Malatrait.

Or, la voie choisie par Cuir Marin de France lui permet ainsi de recueillir et d'utiliser l'ensemble d'une matière habituellement considérée comme un déchet, auprès des restaurants gastronomiques ainsi que des sushis shops lyonnais. "Nous maîtrisons ainsi l'ensemble de la chaîne d'approvisionnement, sans passer par des grossistes comme c'est le cas dans la filière bovine, ce qui permet d'assurer une traçabilité des matières utilisées", résume Benjamin Malatrait.

Le marché du luxe engagé

Un argument éthique qui a conduit cependant la jeune pousse à viser principalement le marché du luxe, d'autant plus que les étapes nécessaires à la transformation de ses cuirs impliquent une gamme de prix "haut de gamme" pour sa marque Ictyos, allant de 25 à 40 euros par peau produite.

Car entre l'arrivée d'une peau de poisson, collectée par la jeune pousse, et la livraison d'une peau de cuir, le processus prend en moyenne 2 semaines, contre 3 jours pour un tannage classique à base de métaux.

Mais il assure qu'il s'agit avant tout "d'un choix de conviction" pour certaines marques, "qui leur permet de passer de la rareté d'une peau de crocodile par exemple, à un engagement en faveur d'un savoir-faire local et une production plus responsable".

Cuir Marin de France travaille ainsi désormais aux côtés de 250 marques -dont une grande partie des noms demeurent confidentiels à ce stade-, pour lesquelles elle s'apprête à produire ou à co-produire dès cette année des cuirs à destination des marchés de la chaussure, du prêt-à-porter, de la maroquinerie, des bijoux, ou encore de la sellerie automobile.

"Nous venons par exemple de de co-développer un projet de porte-carte en cuir avec une marque lyonnaise de maroquinerie, Le Feuillet, à l'issue du confinement, 100 % produite à Lyon".

Plus récemment, la jeune pousse a également travaillé avec la jeune marque de chaussures bordelaise Karl&Max sur deux modèles de sneakers, ou encore la griffe parisienne Jean Rousseau.

L'effet post-covid plutôt bénéfique

Car par nature, le cuir marin serait substituable pour un grand nombre d'applications : "Le cuir de saumon va par exemple ressembler au grain du lézard ou du serpent, et fait partie des plus résistants au monde en raison de ses fibres de collagène", indique son cofondateur. Son principal frein demeurerait néanmoins la taille de ses peaux, incitant alors les fabricants à développer de nouvelles techniques et savoir-faire. "Cela peut aussi leur apporter davantage de créativité ainsi que des pièces uniques", fait valoir Benjamin Malatrait.

Et le Covid-19 pourrait bien avoir mis un coup de projecteur, malgré lui, sur ce marché, en sensibilisant les consommateurs à la production "Made in France" ainsi qu'aux enjeux d'éthique, déjà présents au sein de l'industrie. La preuve étant : ce mois-ci, Ictyos enregistre un rebond des demandes de l'ordre de 50% par rapport au début d'année.

"À pleine capacité, nous pourrions transformer jusqu'à 12 tonnes de cuir marin chaque année. Et tant que l'on servira du poisson à Lyon, nous aurons un marché puisque notre objectif est avant tout de valoriser la ressource là où elle est générée", sourit Benjamin Malatrait.

Le tanneur lyonnais reste prudent et cible désormais une fourchette de 300.000 euros de chiffre d'affaires dès l'an prochain (et 500.000 euros d'ici trois ans). Avec, pourquoi pas, l'idée d'aller adresser d'autres marchés que la France à moyen terme.

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