« Mieux vaut une loi complexe qu’une loi déséquilibrée »

Face aux divers recours, le gouvernement a commandé un rapport à Jean-Paul Bailly dont les conclusions seront remises fin novembre. Pour Christophe Bidal, du cabinet Aguera et Associés, une modification de la loi n’est pas nécessaire mais une amélioration du dispositif peut être recherchée. Mélanie Chabanol, d’Antigone Avocats, appelle de son côté à objectiver les critères de dérogation.

Le travail dominical s'invite de nouveau dans l'actualité avec "l'affaire" des chaînes de magasins de bricolage qui s'entredéchirent dans la région parisienne. La loi Maillié qui régit l'ouverture des commerces le dimanche es-telle trop complexe?

 

Christophe Bidal : La loi n° 2009-974 du 10 août 2009 tend à concilier les principes, de nature constitutionnelle, que sont les droits à une vie familiale normale, la liberté d'entreprendre et la liberté du travail. S'agissant du travail dominical, l'application de ces principes, parfois contradictoires, interdisait évidemment une solution radicale, tendant à autoriser largement le travail dominical ou, au contraire, à l'interdire sévèrement. Sur le terrain normatif, la seule technique connue est celle de poser un principe et des exceptions.

La Loi Maillié n'échappe pas à cette technique juridique. Elle réaffirme le principe selon lequel le repos hebdomadaire doit être donné le dimanche et institue des dérogations permanentes et d'autres sur autorisation administrative. La complexité de la loi tient à la recherche de la conciliation de principes a priori contradictoires. Mieux vaut une loi complexe qu'une loi
déséquilibrée.

 

Sa fragilité tient-elle alors aux multiples dérogations auxquelles se soumet cette loi ?

 

Mélanie Chabanol: Le problème n'est pas celui de la complexité mais de l'harmonisation des dérogations qui pour l'heure peuvent être octroyées par diverses autorités sur la base de critères d'appréciation différents. Or, sur un plan pratique un commerçant qui s'était vu refuser une dérogation ne peut pas comprendre que des concurrents puissent ouvrir leur magasin à 100 mètres de lui.

C.B. : De fait, ce qui rend l'application de la loi complexe, ce sont les différents acteurs en amont et en aval de son application. En amont, les dérogations sur autorisation impliquent principalement la compétence préfectorale et, occasionnellement, celle du Maire. Il peut être tentant de demander l'autorisation de l'édile lorsque l'on n'a pas eu celle du Préfet. 

En aval, l'entreprise et ses salariés sont bien évidemment les premiers intéressés à l'autorisation donnée de déroger au travail dominical. Ils ne sont toutefois pas les seuls. Les concurrents le sont également et il est ici rappelé que l'interdiction dernièrement faite à Castorama et Leroy Merlin d'ouvrir le dimanche a été ordonnée par un Tribunal de Commerce saisi précisément par un concurrent.

 

A Marseille où le dialogue social n'a pas la réputation d'être apaisé, un accord territorial, présenté comme consensuel, a été conclu pour la totalité du centre-ville, avec à la clef une majoration de 30 % des salaires les plus bas. Est-ce le sésame ?

 

C.B. : Nonobstant le principe selon lequel le repos hebdomadaire doit être donné le
dimanche, les majorations de rémunération ne sont prévues par la loi que pour certaines hypothèses de dérogation. C'est donc à la négociation collective et aux partenaires sociaux de faire oeuvre normative. L'impact médiatique provoqué par les fermetures dominicales judiciairement imposées à Castorama et Leroy Merlin a donné l'occasion à certaines organisations syndicales de salariés de demander une refonte du dispositif via une concertation préalable entre partenaires sociaux, en invoquant le droit au repos, le droit à une vie familiale normale, la liberté associative et la liberté cultuelle.

Cela étant, on peut penser que ces arguments sont susceptibles de s'effacer devant une négociation collective financièrement favorable aux salariés. La majoration de rémunération, en matière de travail dominical, est très clairement le "…sésame…", a fortiori en cas d'appel au volontariat.

M.C. : Il faut s'interroger sur les questions qui poussent autant de salariés à se déclarer
volontaires pour le travail dominical. Cela s'explique en grande partie en raison du niveau des salaires insuffisant. En tout état de cause, on ne peut pas fixer une contrainte sans contrepartie. Le risque de libéraliser le travail du dimanche est de voir disparaître cette contrepartie en termes de majoration de salaire.

 

Le gouvernement a commandé un rapport à Jean-Paul Bailly, l'ancien président de la Poste, qui doit remettre ses conclusions fin novembre. Qu'en attendez-vous ? Comment faut-il faire
évoluer le dispositif actuel ?

 

M.C. : C'est l'application de la loi qui crée autant d'émoi à la suite des décisions récemment rendues et ce, parce qu'elle aboutit à des situations inégalitaires. Il faut donc revoir le dispositif pour qu'il y ait moins d'inégalités. Le consensus ne pourra être trouvé que si les critères de dérogation sont précis, objectifs et harmonisés entre les différentes autorités.

C.B. : Le débat resurgit à la faveur d'une fermeture dominicale judiciairement imposée à des enseignes de bricolage. Je l'ai déjà dit et pense que la loi en vigueur organise un bon équilibre entre le principe du repos dominical, inscrit dans nos gènes culturels, et des dérogations au principe qui s'imposent économiquement et socialement. Une modification de la loi n'est donc pas forcément nécessaire. On peut toutefois chercher à améliorer le dispositif. Pour qu'il soit efficace, il faut recueillir le plus large consensus, afin de limiter le risque contentieux et partant l'insécurité juridique.

Il convient dès lors de tenir compte, à la fois, des activités spécifiques des entreprises
imposant le travail dominical, sans distorsion de concurrence, et des intérêts des salariés. A partir de là, on pourra simplifier la procédure d'autorisation et on pourra travailler le dimanche, dans des conditions avantageuses et sécurisées pour tous. En fait, tout est question de détermination des droits des différents acteurs du dossier.

 

Au nom de quoi faut-il à tout prix défendre le travail du dimanche ? Ou au contraire le restreindre?

 

M.C. : Sur le plan juridique cette question relève de l'ordre public et de l'intérêt général qui n'est pas la somme des intérêts particuliers. Le législateur a aussi le devoir de protéger les personnes contre elles-mêmes et contre leur gré le cas échéant. C'est ce qu'il fait en limitant le nombre d'heures de travail dans un soucis de santé publique. 

C.B.  : Il y a des principes juridiques de valeur supérieure - droit au repos, droit à une vie familiale normale, droit au travail, liberté d'entreprendre - dont il faut assurer l'équilibre et auxquels on ne peut déroger de manière disproportionnée.

 

Le travail de nuit fait lui aussi des vagues. Sephora et Monoprix ont été obligés de faire marche arrière en avançant leurs heures de fermeture nocturne et le mouvement s'amplifie.
Quelle analyse en faites-vous ?

 

M.C. : Le travail de nuit est réglementé de façon très précise et doit rester exceptionnel. Là encore les décisions récentes retiennent une interprétation stricte de la notion de "nécessité d'assurer la continuité de l'activité économique ou des services d'utilité sociale" dans un souci de respect de l'ordre public.

C.B. : Sephora a été condamné sous astreinte à fermer son magasin des Champs-Elysées à 21 heures par arrêt de la Cour d'Appel de Paris ayant statué sur demande de l'Intersyndicale du Commerce de Paris. L'originalité, dans ce cas, est que le syndicat majoritaire dans l'entreprise est, lui, partisan d'une ouverture de nuit du magasin des Champs-Elysées.
En ce qui concerne, en revanche, Monoprix, l'obligation judiciairement faite par la Cour d'Appel de Versailles à la direction de fermer ses magasins à 21 heures, fait suite à l'opposition exprimée par un Syndicat représentatif dans l'entreprise. On peut penser que les Cours d'Appel ont statué au visa du dispositif relatif au travail de nuit et en outre, dans l'affaire Monoprix, au visa du droit d'opposition syndical en matière de négociation collective. Des pourvois ont manifestement été formés et la Cour de Cassation jugera si les Cours d'Appel ont bien appliqué la loi.

Au-delà des considérations juridiques, il est toutefois symptomatique que le parfumeur
Sephora, qui relève de "…l'industrie du luxe…" et qui est symboliquement représentative de l'économie française, ne puisse travailler après 21 heures sur une avenue qui est peut-être la plus fréquentée au monde par les touristes, contre l'avis de ses propres salariés.

Si dans cette espèce la Cour d'Appel a bien appliqué la loi, il conviendra d'évidence
d'assouplir le dispositif.

 

Propos recueillis par Marie-Annick Depagneux.

 

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