Les Français à égalité face au terrorisme aveugle

La fraternité doit nous servir de bouclier. Si la démocratie protège la liberté d'expression, aucune société ne peut garantir sa sécurité contre des gens qui ont décidé de tuer pour mourir. Par Azouz Begag, chercheur au CNRS, ancien ministre (2005-2007).

Si l'histoire de la France avec ses migrants en général n'a jamais été simple, celle avec les Maghrébins/Arabo/musulmans vit aujourd'hui un drame. Tout a mal commencé. Durant les Trente Glorieuses 1945-1975, le recours massif à ces migrants pour la reconstruction a donné lieu à un malentendu. D'une part, les autorités considéraient leur présence comme provisoire et d'autre part, les migrants eux-mêmes nourrissaient le mythe du retour au pays.

L'échec de l'intégration

Cependant, de retour il n'y eut jamais et, après le début de la crise économique des années 1975-80, les maghrébins sont devenus les boucs-émissaires du chômage qui sévissait, au moment où leurs enfants, nés dans les années 50, avaient 20 ans et devenaient visibles, bruyants et... demandeurs d'emploi. Malheureuse coïncidence. Malgré tout, à cette époque s'était installée une conviction chez les gouvernants : la France allait les intégrer, il fallait laisser-faire, laisser-aller, ça va bien se passer... Elle, qui s'enorgueillissait d'avoir si bien incorporé les Italiens, Espagnols, Portugais, allait aussi digérer les Maghrébins. Ce ne fut pas le cas.

En 1983, la politique était un recours

Au début des années 1970, alors que l'économie subissait ses premiers chocs, à Vaulx-en-Velin, à la Grappinière, les premières rixes entre jeunes et policiers débutèrent. Elles se répétèrent régulièrement. L'emprisonnement des délinquants, puis leur expulsion au Maghreb, débouchèrent sur la première manifestation collective des jeunes issus de l'immigration en 1983, initiée par l'église catholique de Lyon. De la province jusqu'à Paris, la Marche avait été conduite dans une forte volonté d'intégration. Il n'était alors plus question de retour au pays d'origine. Le pays, c'était maintenant la France : on y est, on y reste ! Les jeunes franco-maghrébins étaient engagés « Pour l'égalité et contre le racisme » et s'étaient fait à l'idée que ce n'était pas par l'anarchie et la violence, mais par l'action politique qu'ils allaient faire leur place en France. La politique était leur recours, une découverte de la citoyenneté.

Des changement vainement attendus

La mémoire était à ce moment-là un enjeu majeur de la construction de leur identité collective. D'autant qu'il n'y avait pas de communauté au sens propre du terme, entre Algériens, Marocains, Tunisiens, Sénégalais, Maliens, Turcs... La Marche, devenue « Marche des beurs » dans les médias, aurait pu jouer ce rôle de catalyseur, mais ce mouvement de la base, lyonnais, a été récupéré par les idéologues de Gauche, pros de la politique, importé à Paris et transformé en « Sos Racisme ». Ainsi, les jeunes des banlieues furent-ils spoliés de leur propre histoire. C'est l'une des explications à leur errance identitaire contemporaine, à leur colère, aussi, voire leur haine contre le système. A partir de 1985, tandis que les nouveaux leaders de Sos Racisme prospéraient dans les médias, les jeunes des cités attendaient vainement les changements espérés de la Marche. Rien ne vint.

En 1995, dix ans plus tard, la mort du jeune terroriste Khaled Kelkal, 21 ans, lycéen de Vaulx-en-Velin, abattu près de Lyon par les forces de l'ordre, inaugurait un redoutable tournant. L'opinion publique découvrait qu'un jeune de chez nous, un voisin, pouvait donc se transformer en terroriste après son passage en prison où il s'était radicalisé. La stupeur et l'effroi des citoyens s'installèrent dans les esprits. Ils n'en sont jamais sortis depuis.

Le happening meurtrier devenu une forme d'expression individuelle

En 2005, dix ans plus tard, les émeutes inédites des cités mettaient encore le feu aux poudres et déboussolèrent davantage l'opinion publique. Aux yeux du monde, elles démontraient l'échec de la France quant à l'intégration de ses minorités, mais signalaient aussi un vide inquiétant : beaucoup de jeunes des cités ne réclamaient plus l'intégration. Ni rien du tout. Désabusés, ils n'avaient plus rien à perdre dans une société où ils n'avaient pas leur place. Ils cassaient, brûlaient, provoquaient pour capter l'attention des médias. L'évènement spectaculaire et dramatique les sortait de l'anonymat. Faire peur au système, tel était le leitmotiv de ces révoltes.

Souvent, l'islam était utilisé comme porte-identité contre la société d'exclusion, parce que les jeunes savaient que cette religion inquiétait la société française. Ils l'ont alors brandie comme étendard de nouvelles revendications identitaires, confuses, inquiétantes. Les provocations allèrent crescendo, d'autant qu'au sein de leur quartier, ils revendiquaient aussi leur marginalisation sociale et spatiale : ici, on est chez nous !, empêchant les forces de l'ordre d'y entrer. Depuis plusieurs années, nous sommes dans cette spirale tragique, avec des jeunes congestionnés dans ces cités, sans perspective, ne pouvant se libérer que par l'explosion, le happening meurtrier devenu une forme d'expression individuelle, mimant une sordide contagion psychique que l'on voit souvent aux États-Unis.

Le glas d'une république qui faisait l'autruche

En 2015, les attentats de Charlie Hebdo ont sonné le glas d'une république française qui faisait l'autruche sur ce qui se jouait dans les barres et les tours de l'autre côté du périph'. La stupeur et l'effroi montaient d'un cran. La France, après Charlie, ne serait plus jamais celle d'avant. Le caractère effrayant des tueries venait du fait qu'elles étaient perpétrées par des jeunes d'ici animés par le seul désir de détruire la France, pour se venger, au nom de leur islam, mitraillant à l'aveugle. Leur première victime ne fut-elle pas le policier français Ahmed Merabet, jeune musulman d'origine algérienne ?

La France est dans une séquence tragique. L'ascenseur social est en panne. La démocratie est en panne. Les politiques discrédités. L'économie en panne. Les valeurs républicaines galvaudées. Les angoisses aiguisées. D'aucuns, pompiers pyromanes, en profitent pour surfer sur le malaise et prétendent sauver la race « blanche et judéo-chrétienne » contre l'invasion islamique... A l'aube de l'élection présidentielle de 2017, on peut s'attendre à d'autres happening meurtriers associant l'islam et les banlieues. Le dernier carnage à Paris nous redit qu'autour de nous, là où l'inutilité sociale, l'ennui, l'immobilité, l'absence de culture, le racisme prospèrent, là où les enfants savent ce qu'est une kalachnikov... des kamikazes sont en embuscade. Leur vie ne compte pas. Les nôtres encore moins. Ils ont assassiné indistinctement des citoyens, Juifs, Chrétiens, Musulmans, Athées... Ils voulaient frapper la France. Mais ils ne savaient pas que la France, c'est nous. Tous. Bien sûr, aujourd'hui nous avons peur, tous, ensemble, mais déjà nous faisons face, tous, ensemble.

La fraternité doit nous servir de bouclier

Il y a quelques années, à Molenbeek, près de Bruxelles, lors d'un débat sur les banlieues avec le cinéaste de La Marche, Nabil Ben Yadir, une dame Belge, me demanda : « Pouvez-vous comprendre que les gens comme moi ont peur de vous ? ». Quand je lui dis que j'avais peur moi aussi, elle parut étonnée. Ce vendredi 13, elle a vu que tous les Français sont à égalité face aux balles du terrorisme. La fraternité doit nous servir de bouclier. Si la démocratie protège la liberté d'expression, aucune société ne peut garantir sa sécurité contre des gens qui ont décidé de tuer pour mourir.

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Commentaires 2
à écrit le 19/11/2015 à 14:17
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Chaque chose en son temps. On reparlera de tout ça quand on aura détruit Daech et éliminé ses complices en France. C'est l'angélisme de la gauche qui est responsable des 129 morts. Quant à l'explication économique, elle ne vaut rien, les asiatiques q...

à écrit le 19/11/2015 à 12:53
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Une analyse. Ce n'est pas un problème d'islam mais un problème d'exclusion. Nous vivons dans une société qui exclut les économiquement faibles sans distinction de race, ou de religion. Face à cette violence destructrice l'islam fondamental se nourri...

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