La French Tech mise en danger par une directive européenne

Alors que le projet French Tech, lancé par Fleur Pellerin, diffuse une atmosphère positive sur l'écosystème numérique français, un grave danger, largement passé inaperçu jusqu'alors, menace toutes les initiatives numériques qui fleurissent ça et là, et risque de faire retomber l'enthousiasme des acteurs de la French Tech.

Depuis le 27 juillet 2013, la directive européenne AIFM a été transposée en droit français par ordonnance. Le but, louable, de la directive est de mieux protéger les épargnants en créant un cadre harmonisé pour les fonds d'investissement dans les pays de l'Union. Elle a été impulsée lors du sommet du G20 en 2009, dans un contexte de crise systémique, particulièrement marqué par la chute de la banque Lehman Brothers et le scandale Madoff.

Une contrainte plus forte

La directive AIFM introduit la définition de FIA (Fonds d'Investissement Alternatif), notion absente en droit français auparavant. Est considéré comme FIA tout véhicule juridique (SA, SAS, SARL, SCR, SCI, holding, etc...) qui n'est pas un OPCVM et qui lève des capitaux auprès d'investisseurs, en vue de les investir selon une politique d'investissement.
L'intégralité de la directive s'applique aux fonds qui gèrent plus de 500 millions d'euros d'actifs, ou 100 millions en cas de recours à l'effet de levier.

Mais à y regarder de plus près, la transposition en droit français apporte une contrainte plus forte, fatale à de nombreux acteurs de l'économie numérique. En effet tout FIA, peu importe sa taille, doit absolument obtenir un agrément AMF (Autorité des Marchés Financiers) de droit commun, avant le 22 juillet 2014.

Une entité est considérée comme un FIA si elle lève des capitaux auprès d'au moins 2 investisseurs, dont un non professionnel, et qu'elle les investit selon une politique définie.

De nombreux acteurs concernés

Les acteurs concernés sont vastes et nombreux: les accélérateurs qui financent des startups, tous les fonds d'amorçage de taille petite et moyenne, les fonds de proximité et les fonds régionaux, les sociétés d'investissement de business angels, les fonds d'investissement d'écoles et d'incubateurs, certaines holdings, les structures d'investissement d'entreprise si elles lèvent des capitaux, toutes les initiatives innovantes qui aident les startups à se développer et qui les financent...

Les mesures imposées sont disproportionnées: les structures citées précédemment sont de faible taille, gèrent peu de capitaux et pour un nombre restreint d'investisseurs. Leurs opérations se limitent très souvent à la gestion de titres non cotés, qui représentent une part plus que minoritaire dans la liste de toutes les opérations de placement et d'investissement complexes couvertes par la réglementation AMF et dont ces structures doivent néanmoins avoir la maîtrise si elles souhaitent obtenir l'agrément.

Des mesures disproportionnées

Ces mesures sont inadaptées: les investisseurs que la directive vise à protéger est un public d'épargnants, proches du consommateur, alors que ces structures fédèrent le plus souvent des chefs d'entreprise éclairés, parfaitement conscients des risques inhérents à leur placement en capital dans des sociétés de proximité et à même de suivre très directement les évolutions de ces sociétés (et pas forcément considérés comme investisseurs professionnels par l'AMF).

Que faut-il mettre en place pour obtenir un agrément AMF ? Les contraintes sont une montagne administrative qui font perdre toute agilité à de petites structures:

  • 125.000 euros de capitaux propres placés en permanence de façon prudentielle
  • Au moins 2 gérants financiers à temps plein ayant l'honorabilité et les compétences pour gérer de l'épargne collective
  • Un responsable du contrôle interne et de la conformité
  • Constitution d'un programme d'activité
  • Mise en place de procédures de lutte contre le blanchiment d'argent et le terrorisme
  • Passage d'une certification AMF des gérants
  • Procédure de gestion des risques
  • Nomination d'un dépositaire pour le suivi du flux de liquidités, la garde des actifs et le contrôle, dont les frais sont dissuasifs pour une petite structure

L'obtention de l'agrément est longue, complexe et coûteuse, et attribuée au compte-goutte.
La position de l'AMF est claire: au 22 juillet 2014, tous les FIA qui n'auront pas d'agrément devront fermer, ou risqueront 3 ans de prison et 375.000 euros d'amende.

De nombreux acteurs ignorent être dans l'illégalité

Il est surprenant de constater la contradiction entre l'initiative French Tech qui vise à faire émerger des champions du numérique en facilitant les projets innovants, et la directive AIFM, dont les contraintes vont faire disparaitre les petits acteurs, et paralyser le financement des entreprises en amorçage. Les très gros fonds sont en effet peu actifs dans le financement de startups en early stage.

De nombreux acteurs découvrent seulement maintenant les ravages de la directive, de nombreux fonds ont décidé d'arrêter leur activité en l'absence de solution, des projets d'accélérateurs sont découragés. Certains n'ont même pas connaissance du fait qu'ils seront bientôt en totale illégalité.Nous ne pouvons qu'être favorable à une meilleure régulation et une harmonisation européenne de la réglementation. Mais le législateur ne peut pas traiter de la même façon les gros fonds d'investissement qui interviennent sur les marchés boursiers, et les acteurs locaux qui apportent du financement aux jeunes pousses.

Une des solutions serait la mise en place d'une procédure d'agrément allégée pour les acteurs de petite taille, mais les pouvoirs politiques seront-ils suffisamment agiles pour le comprendre rapidement ?



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Commentaires 17
à écrit le 14/07/2014 à 14:36
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ça y est, d'un système capitalisme libéral, dans lequel nos amis socialistes ont surtout vu le loup dans le mot capitalisme, nous allons directement dans un socialisme soviétique où finalement la notion de libre entreprise, oubliée comme moteur écono...

le 29/12/2014 à 15:49
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en remplaçant les étrangers qui font nos sales boulots par des "gaulois" qui glandent....

à écrit le 10/07/2014 à 20:26
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Pour rassurer tout le monde c'est loin d'être passé inaperçu!

à écrit le 10/07/2014 à 16:30
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Tous les acteurs du capital investissement connaissent cette directive depuis longtemps. Il ne s'agit ni plus ni moins que de la transposition d'une partie des régles imposées par l'AMF pour agréer des intervenants en capital. Bien sur c'est difficil...

à écrit le 10/07/2014 à 7:24
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C'est un vrai problème qu'il faut résoudre rapidement. Comme quoi, la lourdeur administrative n'est pas l'apanage du gouvernement français.

à écrit le 09/07/2014 à 20:52
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Il faudrait dire "... par la transposition française d'une directive européenne". Le texte est clair : "la transposition française apporte une contrainte plus forte".:

à écrit le 09/07/2014 à 20:18
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et les "gens sérieux" c'est vous JJ n'est-ce pas ? On est tout de suite rassuré sur ce qui nous attend. Ouf, ca va mieux là ! Sérieux...

à écrit le 09/07/2014 à 19:08
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Faites comme moi et de nombreux entrepreneurs francais: allez vous installer à l’étranger. Le Royaume Uni et les États-Unis (particulièrement le Texas) offrent des formalités de constitution simples, rapides et peu coûteuses et -- avec un travail sér...

à écrit le 09/07/2014 à 18:55
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Beaucoup d'approximations dans cet article, c'est bien dommage, aborder ce genre de sujets mérite un travail documentaire qui n'a pas été fait hélas. Et puis ... découvrir en juillet 2014 une Directive qui a plus de deux ans ... Laissez les gen...

le 09/07/2014 à 20:17
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Qui est sérieux, qui ne l'est pas ? ce qui est certain, c'est que l'AMF s'est réveillée au dernier moment et que le nb d'opérateurs reconnus qui s'offusquent et militent pour un assouplissement témoigne de l'importance de l'enjeu.

le 09/07/2014 à 20:23
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Cher anonyme JJ peut être avez vous raison, peut être pas... MAIS... Quoi qu'il en soit j'adore les "gens sérieux"... d'ailleurs vous nous sortez quand de la mouise dans laquelle vous avez plongé la France vous autres,les "gens sérieux" ? Nan mais s...

à écrit le 09/07/2014 à 18:25
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Attention à la lecture de l'article : il ne faut pas confondre la directive européenne et la transposition en droit français. En France, nous avons souvent la mauvaise habitude de durcir les directives européennes et de mettre tout sur le dos de l'Eu...

le 09/07/2014 à 18:59
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La transposition de la Directive AIFM en droit français n'a pas donné lieu à un durcissement, pour une très simple raison, cette Direçtive s'est inspirée de la réglementation AMF. Exemple: les fonds propres minimaux. Merci de vous renseigner avant...

le 09/07/2014 à 19:19
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Je me basais uniquement sur le contenu de l'article qui n'était pas clair, d'où ma question. Je viens de lire par ailleurs votre commentaire plus haut qui explique la confusion que fait l'article

à écrit le 09/07/2014 à 18:00
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La situation décrite n'est pas malheureusement pas très étonnante. Plus les moyens de communication et d'information se développent, moins les personnes "compétentes" situées dans des organisations différentes (et au cas présent, il s'agit de l'Europ...

à écrit le 09/07/2014 à 15:22
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Et vous croyez encore que nos élites sont incompétentes et que les effets pervers issus des législations idoines sont le fruit du hasard? Autant de maladresse et d'erreurs ne peuvent à se niveau que relever d'une volonté, en tout cas d'une partie de...

à écrit le 09/07/2014 à 14:24
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C'est bien d'agilité mentale dont il est question ici ?

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