Antoine Lacroix  (Maped) : "Nous n'avons pas peur d'investir sur le long terme"

Fabricant de fournitures scolaires et de bureau, basé à Argonay (Haute-Savoie), Maped vient d'acquérir Heller Joustra, spécialiste normand des loisirs créatifs. Ce rachat illustre l'ambition de l'entreprise familiale de s'étendre sans cesse sur de nouveaux marchés. Entretien avec Antoine Lacroix, directeur Europe, Moyen-Orient et Afrique de l'est pour Maped (2 050 collaborateurs, dont 220 en Haute-Savoie), qui incarne la troisième génération de dirigeants familiaux avec son frère Romain.

Acteurs de l'économie - La Tribune. Comment l'entreprise mono-produit qu'était Maped est devenue une multinationale présente dans 125 pays ?

ANTOINE LACROIX. Mon grand-père paternel Claude Lacroix a fondé Maped dans la vallée de l'Arve en 1947. L'entreprise fabriquait alors des compas de géomètre pour les bureaux d'études et les architectes.

Ces compas en laiton sont restés les seuls produits de Maped jusqu'au début des années 1980, quand mon père Jacques Lacroix a pris les rênes de l'entreprise. Il a alors commencé à vendre des ciseaux en négoce, avant de racheter Mallat, le fabricant de gommes à effacer.

C'est aussi votre père qui a lancé un site de production en Chine...

C'était en 1993, et Maped était alors une des premières PME françaises à s'y implanter, en y réalisant la fabrication de ciseaux. Une usine a été basée à Shanghai pour la découpe et l'emboutissage du métal. En effet, nous demeurons des industriels : aujourd'hui, 70 % de nos produits sont fabriqués dans nos usines.

Par exemple, la production de gommes est demeurée sur le site de Pringy (Haute-Savoie), où les process ont été automatisés, ce qui nous permet de fabriquer 50 millions de gommes par an, vendues partout dans le monde, y compris sur des marchés à faible pouvoir d'achat, comme l'Inde.

Quelle est la stratégie derrière cette diversification?

Chaque année, nous lançons une nouvelle famille de produits. Nous procédons surtout par des extensions de gammes, plutôt que par une diversification tous azimuts. Cela a fait de Maped un généraliste de la papeterie dès le milieu des années 2000, car nous couvrons presque l'ensemble des segments dans les accessoires scolaires et de bureau.

Ce lancement continu de nouvelles gammes est-il indispensable?

C'est au cœur de notre modèle d'affaires ! Nous pensons que cette stratégie de conquête est absolument nécessaire sur des marchés qui ne croissent plus au niveau mondial. Nous prenons ainsi des parts de marché sur les marchés matures d'Europe de l'ouest, mais aussi sur des marchés émergents, où la croissance est à deux chiffres.

Dans l'écriture, par exemple, nous jouons un rôle d'aiguillon du marché. Nous proposons des produits malins, répondant à des usages précis, comme le stylo conçu avec une préhension facilitée pour les jeunes gauchers qui sont en apprentissage de l'écriture.

Nous avons aussi repensé le stylo quatre couleurs. Ces innovations apportent de la valeur au marché sans cannibaliser la concurrence, ce qui complète la gamme du circuit de vente. Nous aimons bien cette démarche.

Quels sont les résultats de cette stratégie?

En 2008, nous avons lancé une gamme de produits en coloriage. Huit ans plus tard, le coloriage est devenu la première famille de produits du groupe, en réalisant notamment 20 % du chiffre d'affaires à l'international. Nous sommes les troisièmes sur le coloriage en France. Et nous nourrissons de grandes ambitions sur ce marché. Nous voulons encore élargir cette gamme en direction des jeux et des jouets.

L'acquisition de Heller Joustra entre donc dans cette démarche?

En effet, nous complétons notre offre avec des produits reconnus dans l'univers des loisirs créatifs. Nous dépassons la frontière du jeu et du jouet. Nous visons des synergies dans le coloriage, en étendant notre gamme. Et les produits Heller Joustra pourront être diffusés au travers de notre réseau commercial international.

Comment envisagez-vous l'avenir de vos gammes de produits alors que le numérique prend de plus en plus de place?

Tout d'abord, j'espère que dans dix ans tout ne sera pas numérisé ! Bien sûr, nous sommes très attentifs aux nouveaux modes d'apprentissage. Mais nous croyons que les parents doivent avoir des alternatives à la tablette. Certes, la conception numérique a des avantages... mais elle ne favorise pas tous les gestes de l'éveil.

L'avenir du coloriage ne sera pas numérique, je n'y crois pas une seconde. L'avenir est fait d'un équilibre bien dosé, dans lequel les enfants doivent pouvoir s'essayer à la sculpture, aux jeux d'assemblage, à la couture, à la fabrication de savons et à la pâte à sel.

Vous ne comptez donc pas lancer d'applications mobiles...

Il en existe une de coloriage sur Android. Mais ce type de produits n'est pas au cœur de notre modèle d'affaires. Nous avons une histoire ; et nous avons vocation à être les meilleurs sur nos marchés. De ce point de vue, il y aura toujours de la place sur les marchés d'écriture et de coloriage. Peut-être moins...

Je prends l'exemple d'une entreprise familiale que nous avions rachetée au Mexique, et qui ne fabriquait que des règles en T. Nous avons conservé ce produit à forte valeur unitaire malgré une baisse importante des ventes. Nous sommes désormais les derniers à en proposer... et on n'en a jamais fait autant !

Qu'est-ce qui vous permet d'être les derniers des Mohicans sur ce type de produits abandonnés par vos concurrents?

Nous maîtrisons nos coûts, parce que nous sommes des industriels. Cela fait en sorte que nous tirons mieux notre épingle du jeu comparativement à des confrères qui ont une stratégie de négoce, sans avoir la main sur les produits qu'ils vendent.

Cela nous donne davantage de perspectives sans nous empêcher de réfléchir à d'autres marchés.

Aussi, notre actionnariat majoritairement familial nous permet d'être maîtres de notre destin. Cette autonomie est au cœur de la philosophie de l'entreprise : nous pouvons prendre les meilleures décisions sur un horizon lointain. Nous n'avons pas peur d'investir à long terme dans des familles de produits, sans en tirer de bénéfices immédiats. Cela fait une différence fondamentale avec une stratégie de quête de revenus à court terme. J'ai vu cela dès mon arrivée dans l'entreprise en 2009....

Que s'est-il passé?

L'année 2009 a été rude. La grande distribution déstockait et réduisait ses commandes... Mais nous avons continué à sortir des nouveautés. Les acheteurs de la grande distribution étaient éberlués de notre stratégie qui allait à l'encontre de la tendance du marché.

Si nos actionnaires avaient exigé des rendements par action, nous n'aurions jamais pu maintenir une capacité d'investissement de 10 % de notre chiffre d'affaires. Et dès 2010, nous étions revenus au niveau de ventes de 2008, soit 100 millions d'euros. Nous finirons 2016 à 210 millions d'euros, hors acquisitions.

Quel est le fil conducteur de vos innovations?

Nous acceptons les mutations de nos métiers. Nous n'allons pas contre le progrès. Nous souhaitons trouver et investir de nouveaux terrains. Aujourd'hui, avec l'acquisition de Heller Joustra, nous nous tournons vers les jeux et les jouets.

Demain, d'autres domaines nous intéresseront. Et sur chacun de ces segments, nous voulons apporter notre ADN, c'est-à-dire la volonté de se démarquer, de penser différemment et d'apporter des solutions intelligentes à des préoccupations du quotidien.

Avec votre frère Romain, directeur du développement des affaires dans les Amériques et en Asie, vous incarnez la troisième génération de la famille Lacroix aux commandes de Maped. Quel est votre regard sur les entreprises familiales françaises qui se vendent à des acheteurs externes, voire étrangers?

En Allemagne comme en Italie, la majorité des entreprises familiales sont transmises à la génération suivante. Ce n'est pas le cas en France, pour une seule raison : l'impôt sur la succession, qu'il faut verser y compris dans le cadre de l'héritage d'un outil de travail. Comme pour l'Impôt sur la fortune (ISF), on est dans le dogme de taxer les entrepreneurs.

Chez Maped, certaines transmissions ont été opérées. Cela a été un casse-tête épouvantable. Et quand vous savez à quel point il est compliqué de former ses successeurs... Il est tellement plus facile de revendre ! Comment peut-on ne pas encourager la transmission d'entreprise? C'est un non-sens absolu.

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Commentaires 2
à écrit le 21/05/2016 à 9:42
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Bonjour Monsieur LACROIX et suis interessé avec votre activité Me contacter au 00243 34 00000 MERCI

à écrit le 02/05/2016 à 20:07
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bonjour, la société MAPED fait partie des très belles réussites des entreprises patrimoniales. j'ai eu la chance et le plaisir de travailler à l'implémentation d'un ERP leader au sein de l'entreprise et de sa filiale chinoise. Une grande aventure et...

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