Gilles Kepel : "L’avenir du monde arabe conditionne celui de la France"

Il est le plus fin connaisseur du monde arabe, dont il étudie les civilisations, les cultures, les religions, les sociétés depuis trente-cinq ans. Le politologue, auteur de Passion arabe (Gaillimard) l'examine dans ses entrailles les plus inaccessibles, là où se nichent la singularité, les espérances, les spectres qui donnent lecture de son récent passé et surtout de son avenir.

C'est au milieu des années 70 que vous avez commencé d'ausculter le monde arabe. Aujourd'hui, à la lumière de la progression de vos recherches et de l'évolution économique, sociale, identitaire, religieuse, géopolitique desdits pays concernés, aimez-vous ce monde plus que jamais ? Le redoutez-vous plus que jamais ?

Cette région du monde, je l'aime autant que toujours et plus que jamais. Le titre de mon livre résume bien ce sentiment : dans Passion (arabe) sont concentrés l'extraordinaire enthousiasme de l'amour, mais aussi la dimension christique que l'on rebaptise souffrance. Cette ambivalence émotionnelle, chaque événement révolutionnaire depuis 2011 la nourrit : aux heurts, aux massacres, aux désespérances répondent la conquête de nouveaux droits, l'aspiration à vivre autrement, la volonté de récupérer une liberté d'expression, de création, qui avait été confisquée depuis plusieurs décennies par les régimes despotiques issus de l'indépendance et/ou maltraitée par les prédications des radicaux religieux. Bien sûr, le chemin vers cet affranchissement est nécessairement tortueux et chaotique, mais connait-on des métamorphoses d'une telle ampleur qui se sont déroulées de manière linéaire ? Malgré les tribulations, parfois dramatiques, qui traversent ces sociétés, malgré les obstacles sociaux, religieux, économiques, géopolitiques, belliqueux qui ne manque(ro)nt pas d'entraver la mutation, rien ne devrait arrêter la marche en avant vers l'accomplissement du plus précieux des biens : la liberté. L'histoire est en train de se produire : laissons-lui le temps de se réaliser.


Peut-on d'ores et déjà s'aventurer à situer dans l'histoire du monde arabe la portée de ces révolutions qui s'expriment depuis 2011 ?

Il est trop tôt pour extraire des enseignements définitifs. Ce qui se passe en Egypte impose une grande prudence : en deux ans, ce pays tour à tour mobilise formidablement la société, provoque la chute du régime, procède à des élections, fait un triomphe aux Frères musulmans, puis obtient le départ de ces derniers coupables d'une gestion catastrophique et d'une propension à s'emparer de tous les rouages du pouvoir, et dont la résonance du discours politico-religieux se délite. Rien n'est stable. Toutefois, la dialectique de la liberté apparait commune à ces « révolutions », et dès lors l'ampleur historique de ce mouvement peut être comparée à celle du bouleversement dit Nahda qui vit le jour au XIXème siècle. Il signifiait la renaissance du monde arabe, le passage de ce dernier vers une « modernité » exprimée aux plans littéraire, culturel, politique, et religieux. Passage ou plutôt tentative avortée de passage, car in fine les épousailles du Levant et du Maghreb, de la tradition arabe et de la modernité européenne, accouchèrent non de sociétés démocratiques mais de captures coloniales puis, après l'indépendance, de régimes autoritaires ou despotiques. Les révolutions auxquelles nous assistons semblent accomplir, un siècle et demi plus tard, l'aspiration originelle de cette renaissance.

Le foisonnement artistique semble en témoigner...

Absolument. Il traduit bien les mutations profondes et les nouveaux desseins de la société, et d'ailleurs même le marché de l'art salue la jeune création.

 

 

Le système Ben Ali que l'on croyait insubmersible balayé en quatre semaines, les pouvoirs de Kadhafi et de Moubarak que l'on pensait eux aussi irréductibles défaits en quelques mois, mais aussi des directions en Algérie ou en Iran que l'on devinait au contraire très vulnérables et qui finalement sont immuables, et bien sûr la résistance dans la durée du régime Al Assad en Syrie... Existe-t-il une explication commune à ces scénarii qui déjouent les pronostics ?

 

 

On « comprend » 2013 en remontant au 11 septembre 2001. Au lendemain des attentats, plusieurs régimes arabes apparaissent comme formant un rempart au terrorisme religieux. L'occident privilégie à la gravité de leur despotisme et de leur corruption l'utilité de leur combat intérieur contre le spectre djihadiste. C'est le cas de l'Algérie, et bien sûr de la Tunisie. « Mieux vaut Ben Ali que Ben Laden », décide-t-on alors. Au nom de cette convergence d'intérêts, les Etats-Unis et les chancelleries occidentales, prenant appui sur les classes moyennes domestiques, vont protéger et consolider lesdits régimes. Mais simultanément deux phénomènes vont s'imposer. D'une part ce comportement  entretient au sein des populations concernées le sentiment, désespérant, que la dictature est inexpugnable, d'autre part l'échec politique d'Al Qaïda en Irak - où il espérait imposer un Etat islamique - et la progressive relativisation du danger terroriste jusqu'alors considéré comme l'élément central de lecture de l'histoire contemporaine, vont peu à peu desserrer le soutien occidental jusqu'alors indéfectible.

D'autres explications peuvent être invoquées. Certaines sont peu rationnelles : pourquoi est-ce le geste de Mohamed Bouazizi qui déclenche la révolte tunisienne alors que des dizaines d'autres habitants au Maghreb s'étaient précédemment immolé ? Parce que des groupuscules vont se saisir de l'événement pour artificiellement composer un grand récit et façonner, même sacraliser un mythe révolutionnaire. Ainsi a-t-on brodé l'histoire d'un diplômé chômeur - en réalité le malheureux était un marchand ambulant sans éducation - « giflé » en public par une policière - et donc alors déshonoré par une femme représentant l'autorité de Ben Ali - un vendredi, veille de souk à Sidi Bouzid que rallie traditionnellement toute la population environnante... D'autres causes résultent de la crise économique. Ainsi en 2011 les prix des produits alimentaires de base, qui constituent une part substantielle des dépenses au sein des populations pauvres, avaient flambé après qu'en 2010 la production céréalière dans les pays de l'ex-Union soviétique avait été dévastée par les incendies - il ne faut jamais sous-estimer la contribution des conditions élémentaires de vie aux mouvements révolutionnaires ; l'épouvantable hiver 1788-1789 et ses conséquences agricoles ne furent pas étrangères à l'insurrection. Ce contexte d'ensemble va décider les peuples, qui jusqu'alors se satisfaisaient des régimes en place ou s'étaient résignés, à prendre conscience qu'il n'y a pas d'espérance, pour eux ou leurs enfants. Alors ils basculent dans la révolte. La mécanique provocation-mobilisation-répression-solidarité, bien connue des mouvements gauchistes, peut alors se déployer.

 

 

Dans ce même registre de la relativisation, on constate que quelles que soient les exactions ou l'entrave à l'exercice démocratique qu'elles commettent, les armées si présentes dans certains pays arabes apparaissent, aux yeux des occidentaux, comme un moindre mal car non seulement elles font rempart à l'islamisation du pouvoir mais en plus elles garantissent une stabilité préférée à l'incertitude des révolutions et à l'immaturité démocratique. La forte réticence des opinions publiques occidentales, relayées par la classe politique, à frapper militairement le régime syrien a d'ailleurs pour ferment leur préférence pour une dictature laïque au spectre islamiste. A quelles conditions peut-on dépasser cette vision, réductrice et irrespectueuse des libertés ?

 

 

Le cas syrien illustre la complexité du sujet. France et Etats-Unis avaient bâti leur argumentaire sur une posture morale, qui s'est retournée contre eux. En effet, quand bien même l'exercice liberticide et même tortionnaire de Bachar Al Assad était unanimement reconnu - à l'exception de la Russie et de quelques autres rares soutiens -, même le Pape avait appelé à ne pas frapper militairement la Syrie, considérant sans doute le régime comme le meilleur soutien des chrétiens minoritaires au Moyen-Orient face au rouleau compresseur sunnite. Lorsque Vladimir Poutine et son ministre des Affaires étrangères Sergueï Lavrov accomplirent leur coup de maître et obtinrent le démantèlement des armes chimiques contre l'abandon des frappes militaires, François Hollande fut contraint tout à la fois de condamner le comportement épouvantable du dictateur syrien et de justifier sa position par la nécessité de ne pas faire le jeu des djihadistes. La marge de manœuvre était très étroite pour expliciter la décision au sein de l'opinion publique française.

 

 

En France, la séparation de l'Eglise et de l'Etat a sanctuarisé la laïcité et enraciné la démocratie. Cette vision, que seule la Turquie kémaliste a inscrite dans sa constitution dès 1924, semble aujourd'hui peu imaginable dans les pays musulmans du monde arabe. L'incompréhension de l'occident à l'égard des pays arabes en révolution depuis 2011 tient à l'idée qu'ils devraient instaurer une démocratie telle que ledit Occident la circonscrit. Or, ni l'histoire, ni les particularismes culturels ou religieux, ni le lourd fardeau des despotismes qui s'y sont succédé, ne destinent les pays arabes à calquer ce modèle démocratique. Il leur appartient de définir leur propre schéma. Quels peuvent en être le périmètre, les ressorts, mais aussi quels en sont les obstacles ? A quelles conditions islam et démocratie sont-ils solubles ? Existe-t-il les voies d'un islam politique démocratique ?

 

 

Le 5 juillet à Tunis, devant l'Assemblée nationale constituante, François Hollande a publiquement affirmé qu'islam et démocratie étaient compatibles. Cette déclaration est pour le moins curieuse provenant du Président d'une République laïque qui n'est pas habilité à juger des conditions de correspondance de toute religion, quelle qu'elle soit, avec la démocratie. N'est-ce pas aux musulmans eux-mêmes d'en décider ? Surtout qu'en la matière, les interprétations sont multiples, et même antagoniques. Certains considèrent la démocratie consubstantielle à leur identité, d'autres, oulémas saoudiens, islamistes ou radicaux jugent au contraire la démocratie absolument inconcevable ; à leurs yeux, elle incarne en effet l'impiété et le sacrilège absolus puisqu'elle octroie au demos - le peuple constitué et donc faillible - d'être souverain, et donc de pouvoir contredire par la majorité populaire ce que les textes sacrés dictent. Les propos de François Hollande, sans doute destinés à contenter le parti Ennahdha, majoritaire à l'Assemblée, ont suscité de vives polémiques, en Tunisie mais aussi en France, où l'on ne manqua pas de l'interroger sur la légitimité d'autoriser la naissance d'un parti islamiste...

L'occident est écartelé entre deux maladies intellectuellement transmissibles en provenance des Etats-Unis : le modèle américain va triompher, et les pays arabes et musulmans doivent se rallier à la démocratie telle qu'il l'a édictée. La manière, extraordinairement puérile, binaire, et réductrice dont l'examen des révolutions depuis 2011 a fait l'objet en occident en témoigne : les filles devaient défiler dans la rue armées de leurs ipod, iphone, et ipad symbolisant le matérialisme occidental et l'émancipation, la population devait manifester en anglais, les « barbus » devaient avoir disparu, la démocratie et les partis républicains devaient s'imposer naturellement... Puis à la métaphore inepte du « printemps victorieux » s'est substituée celle, tout aussi inappropriée, de « l'hiver islamiste ». Avant que ne surgisse le concept de clash of civilisations et que ne domine le constat que « finalement, ces pauvres pays arabes ne seront jamais que hijab, dictatures, islamisme, terrorisme »...

 

 

La réalité est éminemment plus complexe et nuancée, comme l'atteste dans votre ouvrage la narration, à la fois nécessairement subjective et bordée par les faits, de ces trente-cinq séjours et de ces centaines de rencontres orchestrés depuis 2011 et mis en perspective de trente premières années d'investigation...

 

 

A l'image de l'ambition de ce livre, il est essentiel de chercher à comprendre l'immense variété des pensées et des convictions, et l'étendue des contradictions. Ce monde musulman n'est plus uniforme, il n'est plus isolé ou recroquevillé. La prolifération des outils de communication l'a désenclavé, et l'inonde d'informations et d'images occidentales, notamment au Maghreb où la langue française est extrêmement répandue et permet d'avoir accès à un autre univers. Les populations sont au croisement d'un mouvement antagonique : une verticalité issue de la culture locale et de l'héritage traditionnel, et une horizontalité née de l'ouverture irréversible au monde. Notamment les jeunes, ces populations sont désormais citoyens du monde global, et d'ailleurs les Etats immensément riches du Golfe répandent sur les autres pays arabes une autre vision d'eux-mêmes, bien loin de celle inféodée au diktat occidental qui caractérisait l'époque coloniale. Les nouveaux maîtres du monde des jeunes Maghrébins ne sont plus la France ou les Etats-Unis mais Qatar ou Dubaï où l'on parle arabe et est musulman.

 

 

Le monde arabe forme une mosaïque de 22 identités aussi hétérogène que celles constituant la sphère occidentale. Peu semble faire lien entre l'Iran des mollahs chiites, Dubaï l'arrogante, les contrastes de l'Egypte, l'arrivisme et les paradoxes des pétromonarchies. Croyez-vous en l'émergence d'un nationalisme arabe capable de dominer les dissensions théologiques ? Quels pourraient en être les ressorts et les perspectives ?

 

 

Par le passé, plusieurs expériences ont été entreprises. Elles ont été élaborées pour riposter successivement à l'empire Ottoman, au colonialisme européen, puis à l'Etat d'Israël. Certaines, comme celle de Nasser et du parti Baas - créé par les minorités alaouites en Syrie ou sunnites en Irak -, promouvaient un nationalisme arabe à fondements principalement laïcs, c'est-à-dire distinguant les identités arabe et musulmane. L'échec face à Israël lors de la Guerre des six jours en 1967 a scellé ces tentatives. S'y sont alors progressivement substitué une revendication islamiste erratique et une aspiration à l'identité arabe auxquelles la chaine de télévision qatarie Al Jazeera offrit une formidable caisse de résonance, aujourd'hui en retrait.
Deuxième gazo-monarchie du monde, le Qatar, petit royaume de 200 000 ressortissants, avait besoin d'« exister » et de nouer des alliances. Ses dirigeants ont alors « travaillé » à ce que le pays soit identifié « porteur » et « promoteur » d'une identité arabe, et pour cela ont créé ce canal télévisuel censé proposer à toutes les formes de pensée de s'exprimer. N'oublions pas le désert médiatique, extrêmement formaté et tout à la solde des régimes en place, qui alors caractérisait le monde arabe. L'irruption d'Al Jazeera fut accueillie comme une bouffée d'oxygène, d'ouverture et de liberté unique. Mais aussi illusoire, factice. Certes, contrairement aux chaines nationales dominées par les dialectes, la langue était celle de l'arabe standard, et cela participa à homogénéiser les consciences et les perspectives des téléspectateurs. Mais elle devint une scène de cirque, où pouvaient débattre un salafiste jusqu'au-boutiste et une lesbienne syrienne vivant en Californie... Et les révolutions l'entraînèrent dans la débâcle, car la direction fit le choix de les traiter partialement, du côté des Frères musulmans à ses yeux seuls détenteurs de « l'intellectuel organique des révolutions » et de la vérité.

 

 

Justement, l'une des clés de l'avenir du monde arabe réside dans la lutte que se livrent non seulement chiites et sunnites, mais aussi dans celle qui oppose les deux courants extrémistes salafistes et Frères musulmans. Les premiers sont financés par « l'éléphant » Arabie saoudite, les seconds par « le tigre » Qatar. L'avenir politique du Proche et du Moyen Orient se lisent substantiellement dans la guerre d'influence à laquelle se livrent ces deux pétromonarchies qui concentrent une grande partie des réserves gazières et pétrolières... Le contrôle du Golfe arabo-persique - auquel se joint l'Iran - par lequel transite l'essentiel de ces hydrocarbures, est en toile de fond des révolutions arabes. L'intérêt économique peut-il, dans la motivation des belligérants, prendre le pas sur l'enjeu théologique et idéologique ?

 

 

La région du Golfe concentre de tels enjeux énergétiques et financiers qu'elle est nécessairement clivée. Et ces enjeux s'imposent à tous les autres car leur propre issue conditionne l'étendue de l'influence idéologique. Le Qatar finance les Frères musulmans - tout comme la Turquie - dans toute la région quand, de son côté, l'intime opposant, l'Arabie Saoudite, soutient les rivaux salafistes. En Syrie, l'indéfectible soutien du Qatar aux groupes islamistes du djihad lui vaut désormais de s'être aliéné l'Iran, avec lequel il partage un gigantesque champ gazier et dont il a besoin pour se protéger de l'Arabie Saoudite.... Aveuglé par sa quête conquérante, le Qatar a commis un péché d'orgueil, et accumule désormais les adversaires. De zéro ennemi, le pays est passé à zéro ami.
De paradoxes, l'Arabie Saoudite ne manque pas, elle non plus. Le pays soutient le salafisme, interprétation extrêmement rigoriste de l'islam, et dont il a inventé la version contemporaine par haine des Frères musulmans qui constituent une sorte d'alternative politique et idéologique à son hégémonie. Cette répulsion est devenue si vive, au fur et à mesure que grandissaient le rayonnement du Qatar et son implication en leur faveur, que l'Arabie Saoudite préfère désormais soutenir les forces laïques lorsqu'elles s'opposent aux Frères musulmans. Ainsi, le général Sissi, aux commandes de l'Egypte depuis l'éviction des Frères musulmans, a reçu 12 milliards de dollars de crédit en provenance de l'Arabie saoudite, des Emirats Arabes Unis et du Koweït.

 

 

Ce qui fracture le monde arabe au plus profond de ses entrailles, c'est le schisme théologique entre chiisme et sunnisme mais donc aussi, sousjacent, la variété conflictuelle des expressions cultuelles et culturelles du sunnisme. L'Europe est parvenue, au cours des siècles, à réconcilier les courants de la chrétienté. Protestants, catholiques, orthodoxes cohabitent paisiblement. Cette perspective est-elle réaliste au sein de l'Islam ?

 

 

Je ne crois pas. Ou plus exactement le moment de l'histoire que traverse le monde arabe n'est pas propice. Ce dernier voit s'entrechoquer croissant chiite et bloc sunnite - ce dernier aujourd'hui fissuré par l'antagonisme Frères musulmans - salafistes. Un croissant chiite qui a pour capitale Téhéran, coiffe Bagdad, couvre Damas, s'étend jusqu'aux terres libanaises du Hezbollah et palestiniennes du Hamas... et qui effraye. En effet, s'il détient un jour l'arme nucléaire, l'Iran exercera une emprise considérable sur le Golfe persique. Ce que n'accepteront bien sûr ni les pétromonarchies locales ni les pays de l'OCDE importateurs de ce pétrole. Ce spectre chiite lié à la perspective d'une hégémonie iranienne, mobilise et solidarise une partie du bloc sunnite. Et en l'occurrence la guerre en Syrie sert de terrain de bataille détourné. Y compris pour encercler Israël, et pour Téhéran de disposer de terres amies - depuis le sud Liban, la bande de Gaza ou Damas - afin de braquer sur Tel Aviv des missiles sol-sol ou sol-air rappelant au régime israélien sa capacité à frapper et même à menacer l'existence du pays en cas d'attaque des centrales iraniennes....

 

 

L'atonie et l'impuissance de la communauté internationale rapprochent chaque jour un peu plus le régime iranien de son graal : l'arme nucléaire. Ce graal, s'il est accompli, bouleversera effectivement l'échiquier géostratégique et militaire de la région, notamment parce qu'il placera Israël dans une vulnérabilité et donc dans une position belliqueuse inédite. Quelle marge de manœuvre reste-t-il à la communauté internationale et au régime iranien ? Le départ de Mahmoud Ahmadinejad et son remplacement par Hassan Rohani, même sous la coupe du Guide Suprême Ali Khamenei, constituent-ils, à l'aune des tentatives concrètes de dialogue et d'apaisement, une espérance diplomatique ? Ou bien la frappe miliaire - aux répercussions inimaginables - est-elle inéluctable ?

 

 

Tout d'abord, les sanctions économiques ont eu leurs effets escomptés. La situation économique et sociale est extrêmement compliquée, et menace la pérennité même du régime des mollahs. Un rapport de force s'est noué entre les courants intérieurs, et il est trop tôt pour en pronostiquer l'issue. Mais elle concentre tout l'enjeu.
Avec le départ de Mahmoud Ahmadinejad sont apparus dans l'entourage de Hassan Rohani de nouveaux dirigeants - certains persécutés par l'ancien président - prompts à engager un virage. Ils empruntent, davantage par sincérité que par opportunisme, le sillage du prédécesseur d'Ahmadinejad, le réformiste Mohammad Khatami, et veulent bâtir pour l'Iran une nouvelle situation géopolitique et donc économique et sociale. Certes, le cœur du pouvoir demeure aux mains d'Ali Khamenei, qui délègue et orchestre, tour à tour autorise et rappelle à l'ordre, encourage et élimine selon les circonstances. Pour autant, gagnera-t-il toujours ? Rien ne l'assure. La nouvelle élite a connu les affres de la répression lorsqu'elle soutenait Mohammad Khatami, elle est rodée, expérimentée, et organisée. D'autre part, l'affaiblissement structurel auquel le pays est confronté ne peut que fragiliser l'exercice radical, jusqu'au-boutiste et même suicidaire du pouvoir qui a prévalu de 2005 à 2013.

 

 

L'organisation politique et l'histoire récente de l'Iran singularisent ce pays dans le monde musulman...

 

 

Effectivement. Les révolutions arabes ont une racine essentiellement culturelle, répondent à un besoin de liberté, et finalement ne changent pas fondamentalement leur structure sociale, économique, ou de production. En Iran, que domine le pouvoir clérical, les répercussions de la révolution de 1979 sont tout autres. Toute une frange de la population a été éliminée, et forme aujourd'hui une diaspora prospère aux Etats-Unis, la guerre avec l'Irak a laissé de profondes plaies, et le régime fonde l'essentiel de sa légitimité sur une base populaire symbolisée par les Pasdarans, ces Gardiens de la Révolution qui forment une puissante armée aux ordres directs du Guide suprême, et par les Bassidjis, qui veillent à la sécurité. De temps en temps, et c'est ce à quoi Mahmoud Ahmadinejad s'était employé avec zèle, le régime doit satisfaire idéologiquement cette base populaire quand bien même - ou surtout parce que - ladite politique détruit l'économie et paupérise la population. La stratégie nucléaire et la radicalisation des positions à l'égard de la communauté internationale épousaient cette logique. Mais combien de temps cela peut-il durer ?

 

 

Votre examen minutieux du monde arabe et de l'islam, des terreaux dans lesquels prospère tout ce qui fait conflits, rivalités, haines, dictatures, guerres au Proche et au Moyen Orient, a nécessairement éclairé votre appréhension personnelle et universelle de la religion. Votre connaissance du Coran, celle de l'histoire et de la substantifique moelle des peuples arabes apprennent-elles sur les processus qui amènent les Islamistes à interpréter des textes fondamentalement humanistes à des fins racistes, irrespectueuses de la femme, belliqueuses, ou sectaires ?

 

 

Quels qu'ils soient, tous les textes sacrés qui ont traversé l'histoire sont ambivalents. Ni les évangiles, ni la Torah, ni le Coran n'échappent à cette règle, grâce à laquelle ils sont lus et compris de manière plurielle et distincte selon les époques. Ce qui conditionne l'interprétation à un moment particulier de l'histoire de cette religion, ce sont outre le contexte historique, social et économique, l'identité de celui ou de ceux qui la gouvernent. Au XIXème siècle, après que l'esprit des Lumières eut pénétré l'élite musulmane, d'aucuns exégètes cultivaient dans le Coran matière à faire entrer leur monde et leur peuple dans la modernité européenne et la démocratie ; au XXIème siècle, que domine la logique de l'affrontement, une partie de cette même élite pioche dans le Coran de quoi justifier la guerre, la haine, ou la réduction des libertés. Prenons pour exemple l'injonction coranique « la ikraha fiddini », qui signifie « nulle contrainte en religion » ; certains hiérarques de l'islam y lisent une très grande tolérance - au contraire de l'Eglise catholique « coupable » d'avoir instauré l'Inquisition -, d'autres en revanche y décèlent l'exhortation à pourchasser les impies - la définition de ces derniers faisant elle-même l'objet de divisions et d'interprétations d'une grande plasticité selon les situations : s'applique-t-elle aux religions non monothéistes ? Juifs et chrétiens sont-ils intrinsèquement des mécréants ? etc. - jusqu'à leur conversion.

Autre exemple : le djihad. Comme l'explique si bien Alfred Morabia, juif égyptien arabisant auteur de Gihâd dans l'Islam médiéval, le djihad consiste à être simplement dans l'effort personnel à devenir un meilleur musulman et à respecter strictement des règles « morales » - sexuelles, alimentaires, etc. -, mais aussi à pouvoir prendre les armes lorsque « la communauté est attaquée ». Mais que signifie factuellement cette dernière situation ? On devine qu'il est aisé, pour quelques prédicateurs radicaux, de créer un contexte de victimisation « justifiant » à leurs yeux et donc à ceux de leur auditoire que l'islam est menacé, maltraité, honni par l'occident et donc qu'enfants, femmes, hommes s'obligent à œuvrer, par la violence y compris sacrificielle et sans même en référer à leur famille, à un djihad de défense. Djihad embrassant par ailleurs un système extrêmement décentralisé, autonome, atomisé. Les massacres perpétrés par Mohamed Merah à Toulouse ou l'engagement de jeunes Français aux côtés des rebelles syriens, l'illustrent.

 

 

Vous êtes un orientaliste, un « arabisant passionné », mais aussi un occidental non musulman. Ce que les salafistes radicaux détestent, eux qui d'ailleurs ont mis votre tête à prix sur internet....

 

 

Je ne suis pas croyant. Cette situation personnelle, cette neutralité religieuse m'ont permis de crédibiliser mon travail, d'avoir une parole légitime, mais elles me sont également reprochées par une frange radicale qui estime que seuls les musulmans croyants sont autorisés à s'exprimer. Une logique recourant aux mêmes veines que l'islamophobie. C'est d'ailleurs d'islamophobe que les sites salafistes me traitent...

 

 

Justement, la France et sa population d'origine arabe, maghrébine, musulmane entretiennent une relation complexe, fragile, emprunte de défiance ou de peurs que le prosélytisme islamiste dans les banlieues, le port croissant du voile, la radicalisation des comportements dans certaines familles, la déliquescence du Conseil français du culte musulman déchiré par les rivalités, mais aussi l'expression islamiste en Tunisie, en Egypte, en Iran, en Turquie, en Arabie saoudite, ou dans les territoires palestiniens, exacerbent. Quelles répercussions sur l'intégration de cette population mais aussi sur la montée en puissance du Front national dans l'électorat français les événements des printemps arabes font-ils redouter ? A quelles conditions, notamment en matière de règles républicaines ou de comportement de l'Etat français sur un plan domestique et auprès de ces pays, peut-on au contraire espérer ?

 

 

Je prépare la rédaction, pour l'Institut Montaigne, d'une étude conduite auprès d'une grande partie des candidats musulmans ou d'origine arabe aux élections législatives de 2012. Ils étaient près de 400, soit environ 8% de l'ensemble des postulants, ce qui est consistant. Nombre d'entre eux s'étaient engagé en politique dans le sillage des émeutes de 2005 afin d'apporter une réponse aux répercussions ou à la cristallisation sociétales que l'événement avait sécrétées. Pourquoi se présentaient-ils ? Quelles motivations cette incarnation inédite du peuple français poursuivait-elle ? Ces entretiens illustrent en premier lieu l'existence d'une grande porosité, y compris politique, entre la France et le Maghreb - dix des parlementaires tunisiens (dont quatre appartiennent au Parti Ennahdha) sont, par exemple, élus de France, qui abrite 8% de la population tunisienne (soit 600 000 personnes). Toute l'histoire de la fin des colonies, du déracinement, de l'immigration, du changement d'identité, des mutations culturelles, de l'intégration est concentrée dans cette motivation à porter « politiquement » une cause qui, si elle n'est bien sûr aucunement comparable à un quelconque djihad, ne peut être étrangère à ce qui se passe dans les terres d'origine. L'Algérie, le Maroc ou la Tunisie ne sont plus français « politiquement » mais la culture, les produits, les références, la langue de l'Hexagone innervent leurs classes moyennes et supérieures. Quant à la France, n'est-elle pas elle-même en partie algérienne, marocaine ou tunisienne ?

Ce constat sociologique et politique est essentiel pour comprendre que l'évolution idéologique ou théologique du monde arabe pénètre mécaniquement au sein de la population française qui en est originaire. C'est ainsi qu'aujourd'hui, l'influence la plus élevée est celle du salafisme. Lequel ne cesse d'étendre son « territoire » et de noyauter les banlieues. Entre 1987, date de parution de mon premier livre sur l'islam en France - Les banlieues de l'islam, Seuil, Ndlr - et 2011, lorsque je publiais l'enquête Banlieues de la république (Gallimard) conduite à Clichy et à Montfermeil, quelle transformation...  Les marqueurs de l'islam se font désormais nettement plus nombreux et visibles, l'ubiquité des enseignes hallal se développe, surtout le modèle salafiste érigé en « antihéros face aux élites » rencontre un écho croissant auprès de jeunes qui s'estiment définitivement écartés de l'ascenseur social. In fine, dans les cités prospèrent et cohabitent une double dialectique, un double modèle, un double spectre : celui du dealer de drogue, celui du salafiste. Ce dernier est appelé à poursuivre son extension dans un double sillage : le désenchantement pour les Frères musulmans, plombé par leur échec politique, auquel les salafistes constituent une alternative radicale, et un niveau de connaissances de plus en plus élevé parmi les salafistes en France. Il y a quelques années, l'analphabétisme caractérisait leur population et même leurs sites internet ; les conversions massives portent sur des jeunes mieux éduqués, davantage instruits, et qui produisent une littérature en langue française plus construite. Là encore, l'influence des révolutions arabes est palpable.

 

 

Autre pays dont sont originaires - dans de moindres proportions - nombre de Français : la Turquie. Les manifestations du printemps 2013 dénonçant les dérives autocrates et islamistes de l'AKP au pouvoir, interviennent dans un pays qui n'a jamais été aussi prospère au plan économique. Cette capacité de la population à dépasser le confort matériel et la performance économique semble traduire une grande maturité démocratique, une appréhension aiguë de ce que la démocratie est sensée apprendre : la citoyenneté. Cette Turquie de Recep Tayyip Erdogan a-t-elle sa place en Europe ?

 

 

La stratégie que le parti AKP a menée pour accéder puis se maintenir au pouvoir rappelle un peu celle du Parti communiste chinois : il s'est concentré sur les populations rurales, qu'il a d'abord encadrées puis « amenées » en ville et fait travailler docilement dans les usines dirigées par des séides de la formation politique. Ce système a longtemps fonctionné et permis à l'AKP d'étendre son influence. Mais le pays est à un tournant économique, car ce qui a nourri sa prospérité est menacé. En effet, son industrie manufacturière, compétitive grâce à de faibles coûts salariaux, fabrique et exporte vers l'Europe et le Moyen-Orient des produits peu sophistiqués. Elle est donc directement impactée par la disparition de la croissance en Europe et par l'ampleur de la crise dans des pays comme la Syrie ou l'Egypte jusqu'alors fortement consommateurs de ses produits.
Dans ce contexte « économique » mais aussi social et politique, il apparaît prématuré d'imaginer que le processus d'intégration progresse et dépasse le statu quo. Connait-on des dirigeants politiques européens prêts à accueillir cette Turquie islamique qui constituerait le pays le plus peuplé de l'Union ?

 

 

La Turquie tente de faire la preuve que libéralisme économique et éthique islamique peuvent faire un. D'autres régimes estiment au contraire qu'il existe là une incompatibilité. D'autres encore, à l'instar de l'Arabie Saoudite qui cultive d'importants liens commerciaux avec les mêmes pays occidentaux où se sont exprimées les dérives terroristes du wahhabisme qu'elle a imposé sur ses terres, font le grand écart. Est-ce par le marché et grâce au libéralisme que les pays arabes peuvent espérer la démocratie et que les camps occidental et arabe peuvent lorgner un rapprochement ?

 

 

Ce qui est sous-jacent au libéralisme économique, c'est qu'il favorise l'émergence d'une classe moyenne entrepreneuriale. Laquelle, parce qu'elle crée la richesse comme c'est le cas en Turquie, revendique simultanément d'être représentée au sein des instances démocratiques et donc de participer à la vie politique. Cette situation distingue les pays comme la Turquie, la Tunisie, ou l'Egypte, des pétromonarchies. Car ces dernières vivent d'une rente énergétique dont les élites dynastiques - mais aussi cléricales en Iran ou militaires en Algérie - se sont emparées, dont elles déterminent la répartition au sein de la population, et dont elles se servent pour faire rempart à toute aspiration populaire à la démocratie. Ces pays sont d'ailleurs plutôt hostiles au développement de certains secteurs marchands, synonymes à leurs yeux d'émancipation et d'autonomisation susceptibles de saper leur exercice du pouvoir.

 

 

Les pétromonarchies sont devenues des acteurs déterminants du capitalisme et de la géopolitique internationaux. Leurs investissements maintiennent à flot une partie de l'économie américaine et occidentale, et maillent des secteurs stratégiques majeurs. Le Qatar, pays des plus étonnants paradoxes - capable  de soutenir le Hamas palestinien et de commercer avec Israël, d'héberger le siège d'Al Jazeera et une base militaire américaine - inonde l'Europe et notamment la France d'investissements dans le sport, l'hôtellerie de luxe, mais aussi dans les banlieues. Quelle interprétation stratégique faut-il en faire ? Avec quelles précautions faut-il accueillir ce « trésor » ?

 

 

Dans un pays comme la France en souffrance économique, toute manne est accueillie avec bonheur. Pour autant, il ne faut pas s'épargner un examen approfondi, aux conclusions ambiguës. Celles-ci ont vu le jour lorsque fut mis en perspective desdits investissements la grande proximité entre le royaume qatari et l'ancien Président de la République, Nicolas Sarkozy. Proximité qui interrogea notamment la légitimité des contreparties accordées pour « remercier » le Qatar de sa présence - exonération d'impôts, etc. Puis, c'est la nature même de ces investissements, certains affectés à des secteurs stratégiques, qui fait débat. Exemple ? La bataille que le Qatar a livrée pour s'arroger les droits TV de retransmission du football affaiblit en premier lieu Canal +. Or cette chaîne puise en partie des recettes du football les ressources servant à financer le cinéma... enjeu de pouvoir, mais surtout secteur hautement symbolique de l'identité nationale et du rayonnement français. Ce cas de figure est emblématique du « Qatar bashing » que les dirigeants de la pétromonarchie ont dénoncé cette année.

Quant aux subventions et aux investissements dans les banlieues, ils sont en partie destinés à financer des associations islamiques proches de l'ancienne majorité, et à favoriser la possible naissance d'une sorte de... CRIF islamique. Vous imaginez les réactions qu'un tel enchevêtrement suscite au sein du nouveau ministère de l'Intérieur... Reste que le fond qatari est co-managé avec la Caisse des Dépôts, selon la règle du 1 pour 1 : chaque euro investi par le Qatar est renchéri par la CDC. Ce qui permet de juguler les risques d'opacité et de dérives.

 

 

Ces pétromonarchies ne sont pas à l'abri de troubles internes. L'Arabie Saoudite doit faire face à une jeunesse qui se paupérise, et au Qatar cette même jeunesse très minoritaire au plan ethnique se fourvoie dans l'oisiveté, l'alcoolisme, la toxicomanie ou la dépravation. Le possible renversement des pouvoirs dans ce type de pays aurait des conséquences géostratégiques insoupçonnables...

 

 

 La situation de la jeunesse mais aussi celle des retraités constituent leurs deux talons d'Achille. La première, « biberonnée à la rente pétrolière », est l'un des principaux sujets d'inquiétude chez les dirigeants les plus conscients de ces pays. Ceux notamment qui, à l'instar de Dubaï, comptent une population autochtone de l'ordre de... 5% et ne disposent d'aucune relève crédible pour faire face, y compris politiquement, à une écrasante population étrangère.

 

 

Davantage qu'en Irak ou au Liban, Bahreïn est le symbole de la guerre que se livrent chiites et sunnites. Une population majoritairement chiite mais une suzeraineté aux seules mains des sunnites, et un pays que le libéralisme des mœurs, unique dans le monde arabe, n'a pas permis de réconcilier. Vous demandez à une jeune révolutionnaire s'il est possible de maintenir l'universalisme des droits de l'homme à Bahreïn. Cette question peut être étendue à l'ensemble du monde arabe...

 

 

Ne pas se projeter dans cet ensemble pourrait signifier accepter que les Hommes ne sont pas tous égaux. Ce serait une condition philosophique, déontologique majeure. A laquelle je ne peux souscrire.

 

 

A l'aune de ce qu'il est advenu en Egypte ou au Liban, le christianisme a-t-il encore un avenir dans le monde arabe ?

 

 

En dépit des exactions que les salafistes perpètrent à son endroit, l'église Copte a retrouvé en Egypte un certain dynamisme. Et au nom de leur autoprotection et de la défense des églises prises pour cible, nombre de commerçants ont accumulé des stocks d'armes issus du pillage des arsenaux libyens. Au Liban, les chrétiens maronites « historiquement » combattants ont perdu leur esprit guerrier, ils se sont pacifiés et même « coptisés » depuis l'accord de Taef en 1989 qui mit fin à la guerre civile, élimina les chrétiens du champ politique, et propulsa les sunnites aux commandes. En filigrane, cette stratégie mise en œuvre sous l'égide de l'Arabie Saoudite visait également à bloquer l'ascension des chiites. Si bien que dans le pays « cohabitent », s'amuse-t-on facétieusement dans les rangs de la gauche, « chrétiens sunnites » et « chrétiens chiites » !

 

 

Vous enseignez dans les plus grands établissements (IEP Paris, Columbia et New York Universities, London School of economics). Vous connaissez donc particulièrement le pouvoir et la valeur de l'instruction, censée éclairer, ouvrir, faire mûrir. Humaniser. Qu'un grand nombre des dirigeants extrémistes musulmans soit issu de prestigieuses universités vous interroge-t-il sur la vocation de l'enseignement et sur les vertus de l'éducation ?

 

 

Ce phénomène, je l'ai remarqué dès 1991, lorsque je publiai La revanche de Dieu (Seuil). J'avais identifié le profil type de l'ingénieur islamiste, y compris sur le sol américain : il tirait des sciences appliquées, dont il était souvent issu, matière à saisir les particularités techniques et technologiques de la société occidentale. En revanche, il n'en comprenait pas les rouages sociologiques, culturels, religieux. Et c'est là qu'intervient l'articulation avec l'ancrage théologique, qui donne à cette maîtrise technologique et à cette logique de démonstration scientifique un éclairage idéologique et une justification fondamentaliste. La concrétisation, on peut la lire sur les sites salafistes.

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