Réservations au plus haut, pénurie de saisonniers : une saison estivale sous tension dans les Alpes

Après deux étés placés alimentés par un fort engouement pour le tourisme "nature", les Alpes françaises s'apprêtent à reconduire et même à transformer l'essai, puisqu'à l'aube de la saison d'été, les taux de réservation et les intentions de départ sont au beau fixe. Un climat qui pourrait même permettre au tissu local de dépasser à nouveau, après deux années de pandémie, ses scores d'avant-crise. Sous réserve que cette embellie ne soit cependant pas perturbée par une pénurie de main d'oeuvre qui s'accroît fortement à l'échelle régionale, et qui risque désormais de peser sur les conditions d'ouverture.
Alors que l'engouement pour la montagne et sa ruralité pourraient atteindre de nouveaux sommets cet été, le manque de saisonniers est vu comme une épée de Damoclès sur la saison : il est fort possible que certains établissements n'ouvrent que 3 à 4 soirs par semaine, au lieu de 7 en saison estivale, ou encore que des hôtels ne puissent pas proposer l'ensemble de leurs lits, met en garde l'UMIH.
Alors que l'engouement pour la montagne et sa ruralité pourraient atteindre de nouveaux sommets cet été, le manque de saisonniers est vu comme une épée de Damoclès sur la saison : "il est fort possible que certains établissements n'ouvrent que 3 à 4 soirs par semaine, au lieu de 7 en saison estivale, ou encore que des hôtels ne puissent pas proposer l'ensemble de leurs lits", met en garde l'UMIH. (Crédits : DR)

A quelques semaines du coup d'envoi de la saison d'été, tous les voyants sont au beau fixe, ou presque. Car sur le terrain des réservations, comme des intentions de départ, les Français ont répondu présent, de même qu'une portion de la clientèle étrangère, qui recommencerait se projeter à nouveau, après deux années de pandémie.

Selon le dernier baromètre des intentions de départ mené par l'Agence Savoie Mont-Blanc qui regroupe 112 stations de ski à l'échelle des Deux Savoie, en collaboration avec le cabinet Contours, les Français seraient plus nombreux que l'an dernier à partir en vacances (4 sondés sur 10, soit une hausse de 7 points par rapport à la même période l'an passé), tandis que la même proportion se dit encore indécise. Pour l'heure, 10% des Français affirment d'ores et déjà qu'ils partiront à la montagne, et la filière compte encore sur les indécis mais aussi sur le retour de la clientèle étrangère (Belges, Néerlandais et Britanniques) pour faire le plein.

Les premières remontées des réservations sont d'ailleurs particulièrement encourageantes, comme le résume Michaël Ruysschaert, directeur général de l'Agence Savoie Mont-Blanc :"Nous avons le sentiment que l'on repart sur le rythme et les normes d'avant-crise. Cela se confirme déjà à travers les chiffres que nous avons, et surtout à travers une progression de 10 points des marchés étrangers qui n'ont pas oublié la montagne".

Un climat favorable aux stations-villages

D'ailleurs, dans le baromètre des intentions de départ, "on constate que les villes arrivent en quatrième position pour les vacances d'été derrière le littoral, la campagne et la montagne. Cela est favorable à nos destinations, et notamment aux stations-villages qui ont une culture certes alpine mais aussi campagnarde", estime Michaël Ruysschaert.

A l'aube d'un été où la plupart des destinations méditerranéennes et plus longs courriers réouvrent enfin leurs portes aux touristes étrangers avec des conditions sanitaires allégées, les stations de ski (dont la saison estivale ne représentait jusqu'ici qu'une faible portion de leur activité annuelle), ne semblent pas prête à souffrir de la concurrence. Elles espèrent même dépasser pour la première fois leur niveaux d'avant-crise enregistrés lors de l'été 2019.

"On voit que la réouverture des marchés étrangers ne vient pas impacter l'évolution des réservations en Savoie et en Haute-Savoie", confirme Michaël Ruysschaert. D'ailleurs, les deux territoires alpins avaient mis le paquet de l'an dernier, par le biais de leurs deux offices départementaux, pour ne pas se faire oublier si vite : une campagne de communication XXL avait été déployée, avec, rien que sur la saison 2021-2022, une enveloppe de 2,6 millions d'euros allouée rien qu'à la promotion des 112 stations des Deux Savoie.

Et ce n'est pour l'heure ni la question sanitaire (qui n'inquiète plu que 17% des sondés), ni la question plus incertaine des répercussions de l'inflation et de la hausse des prix des carburants, qui semble à ce stade peser sur les intentions des Français.

"Bien qu'il faille rester attentif sur ce terrain, il faut aussi remettre en contexte l'impact de la hausse du prix des carburants : un surcoût de 30 euros sur un plein ne sera pas nécessairement de nature à freiner les départs en vacances, mais cela pourrait avoir un impact sur les projets d'itinérance, en recentrant certains séjour sur une station village par exemple", évoque Michaël Ruysschaert.

Les gîtes et chambres d'hôtes, toujours plébiscités

Avec, comme grands gagnants sur ce terrain, les hébergements de petite taille et qui répondent à la quête de nature et d'authenticité des vacanciers, au premier rang desquels on retrouve les gîtes et chambres d'hôtes, qui resteront probablement "le grand hit" de l'année 2020, 2021... et même 2022.

"Le coup de projecteur qui s'est produit sur les gîtes et chambres d'hôtes durant la crise a été fort et cette sensibilité a est encore présente cette année", souligne Michaël Ruysschaert.

Résultat ? Eric Appolinari, directeur des Gîtes de France en Haute-Savoie, s'attend à ce que la saison estivale 2022 puisse être encore meilleure que les deux étés précédents. Une tendance appuyée par la digitalisation de l'offre, menée au sein du réseau depuis 2018, et qui a permis de faire grimper la part de réservations par internet au sein du réseau à 69% des transactions, tandis que 80% de ses clients se seraient, à une étape ou une autre de leur réservation, rendus en ligne.

"On s'aperçoit même que du côté des gîtes, les clients ont toujours une envie très forte de nature et ont même anticipé beaucoup plus que les années précédentes leurs réservations. Là où ils avaient attendu des signaux du gouvernement l'an dernier pour pouvoir réserver, nous avons assisté au contraire à une montée en flèche dès la fin janvier, après le variant Omicron".

Un niveau de réservations jugé "rouge vif" dès la fin janvier donc, et qui se concrétise déjà dans les chiffres du coeur de la saison pour les gîtes et chambres d'hôtes : en Haute-Savoie, le début de la saison d'été à compter du 9 juillet se situe déjà à 70 % de remplissage, tandis que la période centrale du 16 juillet au 27 août tutoie déjà des sommets avec une moyenne comprise entre 95 et 79%...

Seule la semaine de la rentrée plafonne encore à 50%. "Et la tendance est la même en Savoie, et dans une moindre mesure en Isère car le département est moins tiré par les locomotives que sont Annecy, La Clusaz ou encore Chamonix", ajoute Eric Appolinari.

Avec d'ailleurs, un renforcement notable des positions prises par la haute et moyenne montagne durant la saison estivale, deux secteurs qui semblent gagner encore quelques parts de marché et faire la preuve de leurs atouts "grand air", tandis que la demande en faveur des villes alpines comme Annecy demeure stable.

Pendant ce temps, les recrutements saisonniers patinent

Malgré ces projections optimistes, les professionnels du tourisme se veulent prudents car ils savent déjà que le principal nerf de la guerre, sur l'été à venir, sera une nouvelle fois l'épineuse question des recrutements.

Car à l'issue des deux années de crise sanitaire, les réserves de salariés qualifiés du monde du tourisme ont fondu comme neige au soleil, et se sont massivement réorientés vers d'autres domaines : reconversion professionnelle et reprise de formations, créations d'entreprises, etc... Il semble toujours difficile pour l'heure de savoir où la main d'œuvre du secteur est partie, mais une chose est certaine, selon Alain Grégoire, président régional de l'UMIH : "ceux qui sont partis ont fait d'autres choix de carrière et ne reviendront pas. il faut désormais se tourner vers l'avenir et attirer de nouvelles ressources".

La question semble d'autant plus délicate que le volume attendu reste important : en plus de 110.000 salariés permanents employés par la filière régionale, près de 40.000 saisonniers venaient jusqu'ici gonfler les effectifs chaque année.

"Souvent, il s'agissait en partie des mêmes ressources été comme hiver, mais pas toujours", reprend Alain Grégoire, qui rappelle qu'en parallèle, la crise a produit de fortes coupes au sein des effectifs permanents de la filière (environ 200.000 postes auraient disparu sur un total d'un million de salariés à l'échelle nationale). Et ces départs n'ont pas pu être remplacés eux non plus, créant une tension additionnelle et un besoin accru de salariés saisonniers.

Habituellement, les embauches de saisonniers étaient d'ailleurs bouclées "au plus tard à la fin avril" : cette année, une large portion des recrutements sont toujours en cours à la fin mai. "Nous pourrions arriver, au mieux, à 80 % des postes comblés d'ici l'ouverture de la saison", estime le président régional de l'UMIH.

Jusqu'à une réorganisation des horaires d'ouverture ?

Or, un tel cas de figure ferait peser le risque d'une activité réduite qui serait imposée à la filière, en raison du manque de main d'oeuvre.

"On ne parle pas seulement de main d'oeuvre qualifiée, mais de main-d'œuvre tout court, résume Alain Grégoire. Et ce, dans l'ensemble des métiers du tourisme, et notamment des postes d'accueil, ou de la restauration à travers la cuisine ou le service. Car notre filière est en mesure de former ensuite des jeunes qui seraient motivés à nous rejoindre sur l'ensemble de la saison, mais on se rend compte que le volume n'est pas là".

Il cite en exemple un volume moins important volume de contrats étudiants contractés cette année, avec des jeunes qui ne souhaitent pas nécessairement s'engager non plus sur deux mois de travail d'affilée.

Face à une telle situation, le secteur du tourisme se trouve donc en pleine réorganisation, et ce à plus d'un titre : en plus d'avoir conclu, au printemps dernier, une revalorisation de l'ensemble des salaires de 16,5 % à l'échelle de la filière, "la plaçant désormais à 7% au dessus du SMIC", le président régional de l'UMIH affirme que les patrons d'établissements ont désormais pris en main la question des conditions de travail, et notamment des amplitudes horaires et des jours de repos.

"La crise a rebattu les cartes et les professionnels de la filière se sont rendus compte qu'il fallait devenir attractifs s'ils voulaient recruter. On constate ainsi sur le terrain de réelles mutations organisationnelles, avec des restaurants qui étaient jusqu'ici ouverts 7 jours/7 et qui passent à 5 jours semaine, des offres d'emploi qui annoncent n'avoir plus de coupures ou seulement deux par semain".

Si bien qu'aujourd'hui, on verrait selon lui des postes affichés à 35 heures et des heures supplémentaires payées dans leur majorité, ou encore la prise en charge de 2 pleins par mois pour accompagner leurs salariés. "Les employeurs ont fait leur révolution intellectuelle à ce sujet", concède Alain Grégoire.

Agir aussi sur le terrain du logement

La question du logement des saisonniers, qui a pu donner lieu à différents incidents et débats autour du logement indigne au cours des dernières années, a elle aussi été placée au rang des préoccupations de la profession.

L'UMIH s'est elle-même saisie de la question, avec la création de deux premières résidences dédiées aux travailleurs saisonniers, d'abord en Région Sud, à Juan-les-Pains et bientôt à Arcachon. Trois projets seraient également en cours dans des stations de montagne de la région, dont le nom n'est pas communiqué à ce stade.

"À chaque fois, le modèle étant d'associer à la fois la commune concernée, qui est le département, la région, le 1 % logement, les banques régionales, et l'UMIH". Mais il nuance : "Cela ne constituera qu'une solution parmi tant d'autres. Il faut que l'État se saisisse de la question, notamment dans des stations où les lits froids et la présence de grands plateformes comme Airbnb demeure une problématique majeure et fait grimper les prix. A tel point que sur ces stations comme Tignes ou Val d'Isère, loger des saisonniers est devenu impossible, à moins que l'employeur n'achète ou ne loue lui-même des logements".

Si ces évolutions devront donc faire leur chemin dans la tête des candidats, Alain Grégoire s'attend à ce que les tensions subsistent encore "2 ou 3 années" sur le marché de l'emploi, en raison de la remontée des taux du chômage, qui pourrait exercer une pression supplémentaire sur les profils disponibles. En attendant, "il est fort possible que certains établissements n'ouvrent que 3 à 4 soirs par semaine, au lieu de 7 en saison estivale, ou encore que des hôtels ne puissent pas proposer l'ensemble de leurs lits"...

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