Recrutement. « Le prochain défi sera celui des saisonniers » (Frédéric Toubeau, Pôle Emploi AURA)

ENTRETIEN. A 52 ans, il avait pris ses fonctions le 1er février dernier, dans un contexte à la fois marqué par la crise sanitaire, mais aussi par les événements tragiques qui s’étaient déroulées fin janvier dans deux agences de la Drôme et l'Ardèche. Frédéric Toubeau est désormais aux commandes de l’antenne Auvergne Rhône-Alpes, avec une feuille de route marquée par une reprise forte, des difficultés de recrutement accrues sur certains secteurs, mais également la poursuite du PIC et du nouveau Plan de réduction des tensions de recrutement annoncé par le Premier ministre.
Alors que la reprise est légèrement plus forte en Auvergne Rhône-Alpes qu'à l'échelle nationale, le recul du chômage le plus marqué se situe chez les jeunes de moins de 25 ans, dont le taux recule de -23,7%, rapporte le nouveau directeur régional de Pôle emploi, Frédéric Toubeau.
Alors que la reprise est légèrement plus forte en Auvergne Rhône-Alpes qu'à l'échelle nationale, "le recul du chômage le plus marqué se situe chez les jeunes de moins de 25 ans, dont le taux recule de -23,7%", rapporte le nouveau directeur régional de Pôle emploi, Frédéric Toubeau. (Crédits : DR)

LA TRIBUNE - Vous avez succédé en début d'année à Pascal Blain, nommé directeur régional Pôle emploi en Paca après avoir occupé les fonctions de directeur régional de Pôle emploi Auvergne, Midi-Pyrénées, Aquitaine puis Nouvelle Aquitaine. A l'occasion de votre entrée en fonctions, vous aviez affirmé « prendre la direction de de Pôle emploi Auvergne-Rhône-Alpes dans un contexte sans précédent ». Aujourd'hui, l'heure semble plutôt à la reprise, quelles sont les indicateurs en Auvergne Rhône-Alpes ?

FREDERIC TOUBEAU - La tendance est aujourd'hui bonne sur le marché du travail, et toutes nos équipes sont actuellement mobilisées pour accompagner le recrutement, qui demeure la priorité du moment. Nous sommes sur le pont. Selon les données officielles disponibles sur la situation des demandeurs d'emploi à la fin juin, nous enregistrons un recul de - 3,5 % par rapport au premier trimestre, et même de -16,1% en l'espace d'un an à l'échelle des 12 départements d'Auvergne Rhône-Alpes.

Le taux de chômage publié par l'INSEE récemment vient conforter ce portrait de la situation, puisqu'on constate qu'au deuxième trimestre, le taux de chômage au sens du B.I.T. atteint 7,1 %, contre 7,8 % à l'échelle nationale. Les prévisions vont aujourd'hui dans le bon sens.

A l'intérieur de ces chiffres, quelles sont les populations qui ont le plus bénéficié de cette embellie de l'emploi à l'échelle régionale ?

La diminution la plus marquée se situe chez les jeunes de moins de 25 ans, dont le taux de chômage recule de -23,7%.

Le marché est reparti à la hausse, et toutes les actions menées au cours des derniers mois portent désormais leurs fruits, comme le lancement du plan 1 jeune 1 solution, les contrats initiative emploi, ainsi que des formations spécifiquement destinées aux jeunes, ou encore des dispositifs comme les emplois francs.

On voit également que les aides à l'apprentissage ont contribué à cette amélioration, pas au niveau de Pôle emploi uniquement, mais également de toutes les structures qui accompagnent également les jeunes.

Concernant le chômage de longue durée notamment, comment se porte-t-il à l'échelle régionale ?

Le chômage de longue durée (pour les demandeurs référencés depuis plus d'un an, ndlr) représente 49,2 % des demandeurs d'emplois à l'échelle régionale, et a augmenté de +0,8 points sur un trimestre, et de 5,3 points sur un an, selon les données des statistiques du marché du travail (STMT). Cela reste cependant légèrement inférieur aux chiffres enregistrés à l'échelle nationale (50 ,3%).

On parle beaucoup des tensions sur le terrain du recrutement dans une large palette de secteurs, mais cette question n'est pas nouvelle...

Fin 2020, les employeurs anticipaient en effet déjà des difficultés de recrutement à hauteur de 47 % en Auvergne Rhône-Alpes, contre 45 % à l'échelle nationale.

Aujourd'hui, cette situation est en effet un paradoxe où coexistent, d'un côté les entreprises qui ne parviennent pas à recruter, et de l'autre, des demandeurs d'emploi qui ne parviennent pas à trouver une place sur le marché du recrutement.

Cependant, lorsque l'on regarde les déclarations préalables à l'embauche, le nombre de contrats durables, en CDI ou CDD de plus de 6 mois, dépasse largement le niveau d'avant crise à + 15 % (sur la période de mai à fin août 2021, versus mai à fin août 2019, ndlr).

Comment expliquez-vous cette reprise particulièrement forte en Auvergne Rhône-Alpes ? Est-ce notamment en raison de la place de l'industrie ?

Ce n'est pas l'unique raison, car le premier secteur où nous enregistrons le plus de déclarations préalables à l'embauche est l'hôtellerie-restauration. Cela est compréhensible, car c'est un secteur qui a réouvert et où les besoins sont forts (+25% de déclarations préalables à l'embauche).

On retrouve aussi cette situation dans le domaine du transport et de la logistique ou dans le commerce (+19%), dans l'industrie effectivement (+15%), ainsi que dans le domaine de la santé (+14%)...

Bien entendu, l'industrie reste fortement marquée dans notre région et d'autres secteurs sont tirés vers le haut par la conjoncture actuelle, et notamment la réouverture de plusieurs secteurs post-confinement.

Dans un tel contexte, comment se comporte aujourd'hui l'intérim, qui demeure souvent une variable d'ajustement en temps de crise ?

Le marché de l'emploi temporaire est également dans une bonne dynamique, les deux segments reprennent ainsi en même temps, car il existe plus globalement un besoin de main d'œuvre et de compétences au sein des entreprises.

A l'heure où nous nous parlons, nous avions plus d'un million d'offres d'emploi sur le site Poleemploi.fr, dont plus de 150.000 en région Auvergne Rhône-Alpes, ce qui nous donne une proportion de 15 % : soit un chiffre bien plus important que le poids régional, estimé habituellement à 10% en moyenne.

Ce qui est positif, c'est que 58 % des offres affichées sont aujourd'hui en CDI, avec dans presque la totalité des domaines professionnels, un nombre d'offres qui augmente : +37,1% santé, +28,4 % dans le domaine de l'hôtellerie restauration et du tourisme, +8,2 % dans le bâtiment et le TP, +6,3% dans le commerce, ou encore +4,2% dans le transport et +3,8% dans l'industrie...

Peut-on cependant y voir un simple « effet de rattrapage » du nombre d'emplois détruits durant cette crise ?

Nous observons au contraire une création d'emplois nette qui s'avère beaucoup plus importante que celle du nombre d'emplois détruits au cours des derniers mois, à l'échelle du territoire mais aussi au niveau national.

Au 2ème trimestre 2021, l'emploi salarié augmente de 1,1 % (+289.400 emplois) après +0,6 % (+148.500) au trimestre précédent, lui permettant ainsi de dépasser son niveau d'avant crise avec 145.400 emplois supplémentaires à l'échelle nationale.

Cependant, nous voyons également un phénomène de "vases communicants" sur certains secteurs d'activité, dont un qui a été particulièrement impacté dans notre région, du fait de la saison blanche hivernale : le tourisme.

La demande des employeurs est d'un côté très forte pour assurer la reprise de la saison d'hiver, tandis que de l'autre, des saisonniers se sont entre temps réorientés vers d'autres secteurs. Tous ne reviendront pas, et il est encore difficile d'en estimer la proportion aujourd'hui.

A l'aube de l'ouverture des stations, le prochain secteur en tension sera donc celui des saisonniers ?

Il s'agit d'un enjeu très fort et nous avons déjà constitué un groupe de travail avec le Conseil régional, l'État, ainsi que les principales fédérations et branches professionnelle (GNI, UMIH, etc) afin que les offres d'emploi disponibles soient pourvues et que la saison d'hiver puisse se tenir.

Nous avons déjà engagé un grand nombre d'opérations à l'échelle du sillon alpin ainsi que dans le Massif Central, et nous avons mis sur pied des sessions de formation actuellement pour préparer des demandeurs d'emplois disponibles afin qu'ils soient opérationnels d'ici la fin novembre.

Nous anticipons la réalisation de 1.000 formations dans le domaine de l'hôtellerie-restauration, et notamment des métiers de commis de cuisine, serveurs, employés d'étage...

Quelles sont plus largement les actions concrètes que peut mettre en place Pôle emploi, pour faire face à ce besoin de main-d'œuvre ?

Nous avons différents moyens à notre disposition : à commencer par l'identification, avec les fédérations professionnelles, des compétences et métiers dans lesquels il existe des besoins, afin de balayer ensuite notre fichier de demandeurs d'emplois pour réaliser des mises en relation.

Nous avons déjà fait ce travail pour des secteurs comme la santé ou le bâtiment -qui est le second domaine où l'on rencontre aujourd'hui le plus de difficultés de recrutement-, ainsi que l'hôtellerie-restauration et les cafés, depuis leur réouverture. Nous avons également mis en place des manifestations propres aux métiers en tension à travers plus d'une centaine d'agences, avec le hashtag « Tous mobilisés ».

Cette démarche nous a conduit à tenir près de 5.600 événements depuis le début de l'année (jobs datings, etc). Enfin, nous pouvons également mener des actions plus ciblées en matière de formation afin de combler les difficultés de recrutement, notamment en Auvergne Rhône-Alpes où nous portons nous-mêmes la mobilisation au sein du plan d'investissement dans les compétences (PIC).

Face au défi actuel de la formation, cette crise vous incitera-t-elle aussi à développer ou tester certaines méthodes, jugées plus innovantes ?

Nous devons bien entendu être également présents dans le champs de l'innovation, c'est ce que nous faisons en proposant à des profils du domaine de la santé et du secteur social des offres qui allient une formation au métier d'auxiliaire de vie, à l'examen du permis de conduire et au financement, dans le cadre du PIC. Car ce sont des métiers où il est nécessaire de pouvoir se déplacer, parfois même avec des véhicules de service, mis à disposition par l'entreprise.

Du côté des métiers de bouche, nous proposons aussi de mêler de la formation professionnelle avec des activités sportives, afin de développer certains savoir-être, comme le travail en équipe. Aujourd'hui, la reconversion professionnelle nous conduit à devoir être en capacité d'innover avec les organismes de formation sur la pédagogie.

En région Auvergne Rhône-Alpes, le Conseil régional a choisi de laisser Pôle Emploi seul aux commandes du PIC, un programme de formation professionnelle qui coure sur 4 ans et qui est doté de plus de 600 millions d'euros. Son démarrage avait eu lieu juste avant la crise en 2019 : quel premier bilan de ce dispositif tirez-vous ? Allez-vous l'adapter aux enjeux de recrutement actuels ?

Depuis son démarrage, ce programme nous a déjà permis de financer 84.158 formations à l'échelle régionale, selon le dernier bilan que nous avons communiqué début juillet. Nous allons bien entendu capitaliser sur les actions mises en place durant la période de crise, et notamment sur le nouveau volet annoncé par le Premier ministre à travers le plan de réduction des tensions de recrutement.

A l'intérieur de ce nouveau plan, un financement spécifique est prévu à nouveau autour de la montée en compétences dans le cadre des dispositifs du PIC, et en particulier sur les métiers en tension.

Ce plan de réduction des tensions de recrutement va permettre d'abonder l'enveloppe existante et prévoit notamment un nouvel objectif de 50.000 formations supplémentaires, à l'échelle nationale. On parle donc d'une amplification du PIC.

De premières pistes sur la manière dont ce nouveau plan de réduction des tensions de recrutement va se décliner à l'échelle locale ?

Nous retenons notamment l'arrivée de moyens complémentaires concernant le recours à deux dispositifs qui présentent actuellement les meilleurs résultats en matière de retour à l'emploi, et qui sont la Préparation opérationnelle à l'emploi individuelle (POEI) ainsi que l'Action de Formation Préalable au Recrutement (AFPR), qui comptabilise déjà 15.000 actions à l'échelle nationale.

Il s'agit de deux dispositifs assez proches, et dont les moyens vont être augmentés, en ciblant notamment les demandeurs d'emploi de longue durée.

Le président de la région Auvergne Rhône-Alpes a quant à lui annoncé récemment un nouveau plan, qui comprend notamment une enveloppe de 100 millions d'euros à l'égard de sept secteurs en tension. Partagez-vous le même constat ? Comment allez-vous travailler ensemble ?

L'ensemble de ce plan est en train de se construire, et a été bâti en partie sur des chiffres fournis par Pôle emploi. A travers cette enveloppe, le Conseil régional va notamment réorienter un certain nombre de financements sur les dispositifs annoncés, et ces 100 millions d'euros comprendront également des financements provenant de l'État.

Le premier secteur où nous travaillons de concert avec la Région est par exemple celui de l'hôtellerie-restauration, à propos de l'objectif des 1.000 formations pour la saison d'hiver. Il s'agit d'un travail que nous aurons à mener en complémentarité.

Le système proposé par la Région repose toutefois sur une base de « droits et devoirs » : 400 millions d'euros par an seront mobilisés chaque année par la Région et Pôle emploi pour la formation. Mais si les demandeurs abandonnent avant, Laurent Wauquiez a affirmé qu'ils « n'auront plus accès aux formations proposées et financées par la Région pour une durée de 3 ans. Est-ce un élément que vous soutenez ?

Comme la Région a pu le préciser auparavant, il s'agit d'une discussion qui va devoir s'opérer directement avec le Ministère du travail, et sur laquelle nous ne ferons pas de commentaires. Aujourd'hui, aucun dispositif de ce type n'existe encore.

Cette année sera marquée par l'élargissement du dispositif territoire Zéro Chômeur à une soixantaine de territoire, alors que Villeurbanne Saint-Jean fait déjà partie de l'expérimentation (avec l'EBE EmerJean). Quel premier bilan tenez-vous de cette expérimentation à laquelle vous êtes associé ? Est-ce un bon levier ?

Aujourd'hui, nous avons plusieurs territoires Zéro Chômeur candidats au niveau régional, et une mission d'évaluation est en cours concernant la mise en place de ce dispositif et de son efficacité.

Même si, en termes de nombre de demandeurs concernés, les volumes engagés demeurent relativement faibles, il s'agit pour nous d'un outil complémentaire à d'autres dispositifs, qui permet notamment d'adresser un public très éloigné de l'emploi.

Il faut également laisser à ce dispositif le temps de vivre.

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