Faut-il relancer la liaison aérienne entre Clermont-Ferrand et l’aéroport d’Orly ?

Dans un récent sondage lancé par l'association Objectif Capitales, 250 chefs d’entreprise de l'agglomération de Clermont-Ferrand et du Puy-de-Dôme jugent à 67% que le rétablissement de cette desserte est importante voire capitale. La future connexion au centre de Paris par la ligne 14 du métro et surtout les difficultés rencontrées sur la ligne ferroviaire sont, pour eux, autant d’arguments pour une reprise. Une décision est attendue d’ici à la fin de l’année. Mais les acteurs du dossier, et notamment la compagnie aérienne Chalair, avancent avec prudence car la ligne avait été supprimée à l’automne 2021 faute de rentabilité.
L'association Objectif Capitales, regroupant le milieu économique et les décideurs publics clermontois, milite pour une reprise de la ligne entre Clermont-Ferrand et Paris Orly, à l'arrêt depuis 2021. La balance des coûts, économiques, en temps et en carbone, pose question.
L'association Objectif Capitales, regroupant le milieu économique et les décideurs publics clermontois, milite pour une reprise de la ligne entre Clermont-Ferrand et Paris Orly, à l'arrêt depuis 2021. La balance des coûts, économiques, en temps et en carbone, pose question. (Crédits : Laurent Cipriani.)

Elle permettrait de rejoindre le centre de Paris depuis Clermont-Ferrand en 1h30. La ligne aérienne entre la capitale auvergnate et Orly refait parler d'elle. Certes, il existe déjà une liaison entre Clermont-Ferrand et Roissy, l'aéroport situé au nord de Paris, mais elle ne permet pas, ou difficilement, de faire un aller-retour dans la journée.

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Alors l'association Objectif Capitales, qui mobilise les décideurs publics et privés autour de la question de l'enclavement du territoire et des transports, travaille sur ce projet de desserte depuis un an pour permettre au territoire d'être mieux connecté. Elle vient d'interroger dans un sondage 250 chefs d'entreprise, des dirigeants de TPE, PME et ETI, afin de mesurer leur intérêt pour une telle ligne et s'assurer de l'existence d'un marché potentiel. Elle avait déjà réalisé cet exercice, avant l'été, auprès des cinq plus grandes entreprises du Puy-de-Dôme : Michelin (9.000 salariés à Clermont-Ferrand), le semencier Limagrain (1.600 salariés en Auvergne), la laboratoire pharmaceutique Théa (1.800 salariés), le fabricant de câbles Omerin (1.700 salariés) et le groupe d'ingénierie et de Conseil Ingérop.

« Nous aurons dans les deux mois qui viennent des réunions décisives avec les collectivités, la compagnie Chalair qui est intéressée et le monde économique, universitaire, scientifique pour décider s'il est pertinent de relancer cette ligne. Une décision doit être prise d'ici la fin de l'année. Nous n'avons pas le droit à un deuxième échec. Car si cela ne fonctionne pas, ce sera fini. Il faut donc prendre toutes les précautions », explique Patrick Wolff, président d'Objectif Capitales.

30% des répondants prendraient la ligne au moins une fois par mois

Car cette ligne Clermont-Orly a été, un temps, reprise à l'automne 2021 par la compagnie Amélia, mais a vite été abandonnée faute de passagers. Et ce, malgré l'envoi par la CCI du Puy-de-Dôme de quelque 30.000 courriers pour inciter les dirigeants locaux et leurs salariés à emprunter cette desserte. Avant cela, la liaison avait été exploitée par Air France, mais avait été fermée au début de la crise Covid. D'où la prudence qui règne autour de ce dossier. Dans le sondage lancé par Objectif Capitales, les chefs d'entreprise semblent pourtant très intéressés, puisque 67% des répondants disent que le rétablissement de la ligne serait important et même capital (45% des sondés).

« Il y a une forte appétence du monde économique. 17% des sondés prendraient cette ligne a minima une fois par semaine et 30% une fois par mois. Plus globalement, 80% des répondants utiliseraient cette liaison au moins quatre fois par an. Et si l'on rajoute les grandes entreprises, on estime que ce transport d'affaires pourrait apporter entre 38.000 et 43.000 passagers à l'année, dont 15 à 20.000 rien que pour Michelin », précise Samuel Evrard, secrétaire général d'Objectif Capitales.

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Ainsi, Michelin, qui dispose aussi de sa propre flotte aérienne, pourrait être l'un des plus gros contributeurs de la ligne. Mais selon l'association, des chefs d'entreprise de Vichy, dans l'Allier, ou même de Montluçon, à une heure de Clermont-Ferrand, seraient intéressés par cette desserte aérienne, qui serait une alternative au train ou à la voiture. Pour Thierry Cézard, directeur général de TTH Holding, cette liaison aurait en effet du sens. Son groupe détient notamment ACC M, une entreprise située à Clermont-Ferrand et spécialisée sur le marché de la rénovation des matériels ferroviaires.

« Notre siège social est à Lisses, au sud de Paris, quasiment en bout de pistes d'Orly. Alors cette liaison serait intéressante pour mes salariés, notamment les commerciaux, et pour moi. Je passe 90% de mon temps à Clermont-Ferrand, mais je gère différentes sociétés du groupe donc je dois régulièrement me rendre à Paris. Cette semaine, j'ai dû faire 2.000 kilomètres. J'effectue l'essentiel de mes déplacements en voiture. En train parfois, quand j'ai le courage et le temps, mais je ne fais plus confiance à la SNCF en termes d'horaires », explique Thierry Cézard.

Vétusté de la ligne ferroviaire

La liaison ferroviaire entre Clermont et Paris dure aujourd'hui entre 3h10 et 3h30, mais la ligne est vétuste et affiche souvent des retards. Des travaux de régénération de la voie sont en cours et un renouvellement du matériel roulant est prévu entre 2025 et 2027 pour améliorer le service. Pas de quoi satisfaire Thierry Cézard. « On va avoir de nouvelles rames mais elles vont nous faire gagner un quart d'heure seulement, c'est ridicule. A vrai dire, plus qu'une ligne aérienne Clermont-Orly, je préfèrerais un train qui aille plus vite car cela serait moins cher », souligne le chef d'entreprise qui compte 320 salariés à Clermont-Ferrand.

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Mais le TGV n'est pas à l'ordre du jour. Des études vont être, en revanche, lancées pour tenter de rapprocher Clermont de Paris en 2 h 30. Ces travaux devraient figurer dans le plan ferroviaire 2040 du gouvernement. Rien d'imminent donc. C'est pourquoi, en attendant, Objectif Capitales essaye de faire bouger les lignes. Et l'association se défend : il n'y a pas de risque de faire concurrence à Air France qui assure la liaison avec Roissy. « Les statistiques montrent que 85% des passagers des vols Clermont-Roissy prennent une correspondance et donc ce ne sont pas des personnes qui vont sur Paris », argumente Patrick Wolff. Air France avait, en effet, décidé de maintenir cette activité afin d'assurer le transit international.

La compagnie Chalair prudente pour l'instant

L'argument central du dossier est l'arrivée prochaine, dès juin, de la ligne 14 à Orly qui permettra une connexion en 15 minutes entre l'aéroport et le centre de Paris. Ce qui devrait changer la donne, veut croire Objectif Capitales pour qui cette ligne redevient « crédible » et compétitive par rapport aux autres modes de transport. Cette ligne entre Clermont-Ferrand et Orly pourrait ainsi être relancée au printemps avec deux allers-retours quotidiens, un le matin et un le soir du lundi au vendredi. Quant au prix, il est le premier critère évoqué par les chefs d'entreprise dans le sondage, devant la rapidité du vol et la régularité des rotations.

« Pour 61% des sondés, le prix est un critère déterminant dans le fait de prendre ou non cette liaison. Ils seraient prêts à débourser 250 euros en moyenne pour un aller-retour. Dans les grands groupes, ce serait plutôt 300 euros, » détaille Samuel Evrard qui précise que la tarification n'a pas encore été établie.

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Mais pour Alain Battisti, PDG de la compagnie Chalair, avec un tarif de 250 euros l'aller-retour, l'équation s'annonce très compliquée. Sa compagnie n'est pas encore certaine de s'engager dans le projet.

« A ce tarif, il faudrait un taux de remplissage de l'avion de l'ordre de 75 à 85%, si l'on veut être rentable. Tout dépend aussi de la valeur de l'engagement des entreprises et du niveau d'accompagnement des collectivités. En clair, qui prend le risque ? Nous sommes prudents pour l'instant », nuance Alain Battisti.

Financement de la ligne

Le financement soulève beaucoup d'interrogations, car la ligne Clermont-Orly ne peut être considérée comme une ligne d'aménagement du territoire, celle de Roissy étant déjà apparentée comme telle. Exit donc les aides conséquentes liées à cette délégation de service public. Les collectivités (Région, Métropole clermontoise et Département) seraient quand même sollicitées pour apporter une « petite contribution financière », précise Patrick Wolff avant de poursuivre. « Elles sont partantes à condition que nous leur prouvions que nous avons la capacité de remplir l'avion ». Entre 50.000 et 70.000 passagers annuels seraient nécessaires pour assurer une rentabilité à la compagnie.

« Aujourd'hui, nous observons une difficulté dans la reprise du voyage d'affaires (depuis le Covid, avec le développement du télétravail et des réunions en visioconférence, ndlr). Selon les lignes, cela varie entre -25 et -50% et l'effet est durable. Pour compenser cette baisse, il faut attirer un trafic loisirs. Mais ces passagers ne sont pas prêts à dépenser plus de 250 euros sur un aller-retour. Il y a une alchimie à trouver, » poursuit le PDG de Chalair, pour qui il y a aussi peut-être une surestimation du besoin par les acteurs économiques.

Chalair étudie quand même la possibilité de liaisons transversales qui permettraient de rentabiliser au mieux l'appareil en journée entre les rotations parisiennes. Des liaisons avec Nantes ou Nice sont ainsi envisagées. Autant d'éléments à trancher. Mais ce qui se passe dans le département voisin de la Haute-Loire ne plaide pas en faveur du projet. La compagnie aérienne Twin Jet qui assure la ligne Le Puy-en-Velay- Paris a décidé de rompre son contrat de délégation de service public avec la Communauté d'agglomération du Puy. Là encore à cause d'un manque de rentabilité dû en partie à la crise Covid. La liaison affiche un déficit sur une année pleine de 800.000 euros à un million d'euros.

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Problématique du bilan carbone

« Nous devrons faire un vrai travail de communication en amont, a minima trois mois avant la reprise de la ligne pour prévenir tous les acteurs du territoire... », pointe Samuel Evrard, secrétaire général d'Objectif Capitales. Mais pas sûr que cela suffise.

« Si cette ligne reprend, je la prendrais seulement de temps en temps. Et cela dépendrait de pas mal de paramètres et notamment s'ils mettent en place un système d'abonnement avec des tarifs préférentiels. Si l'on se déplace à deux ou trois avec mes salariés, je ne suis pas certain que ce soit intéressant, » prévient Thierry Cézard de TTH Holding.

D'autant que, comme l'explique ce dirigeant, une attention particulière est désormais portée aux frais de déplacements et que le co-voiturage est privilégié. De la même manière, le groupe est engagé dans une démarche RSE. « Il faut être attentif au bilan carbone. Nous avons changé de monde. Alors il faut voir aussi quel sera le bilan carbone de cet avion, » conclut ce chef d'entreprise.

Sur ce sujet, l'ONG écologiste Greenpeace s'était justement félicitée en 2021 de l'arrêt de la ligne. Elle expliquait alors qu'un seul vol Clermont-Paris représentait une émission de gaz à effet de serre équivalente à 50 à 100 fois celle du même trajet en train et que l'activité de l'aéroport de Clermont-Ferrand/Aulnat était responsable d'environ 10 % des émissions de CO2 de la métropole. Un autre enjeu primordial soulevé par le débat de la réouverture de la ligne.

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Commentaires 12
à écrit le 23/11/2023 à 21:38
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le massif central .... le futur désert de la France .....

à écrit le 22/11/2023 à 9:37
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Il ne faut pas relancer cette ligne, il faut fermer cet inutile aéroport comme il faut fermer ceux de Tarbes, Caen, Deauville, Bergerac, Perpignan !

le 22/11/2023 à 10:15
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Comme la liaison par rail est déplorable entre Paris et Clermont l'avion est une alternative crédible sauf à renoncer au développement économique régional .En dehors de Caen et Deauville proches de Paris les autres destinations mentionnées ont un rôl...

le 22/11/2023 à 15:26
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ça sent le Parisien qui considère que la France s'arrête au Périf, que la météo n'est intéressante hors de Paris QUE pendant les vacances scolaires, et qui considère que les programmes TV ne doivent être modifiés QUE pendant la période de vacances co...

à écrit le 22/11/2023 à 8:49
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Michelin a eu idées de génie; confions lui projet. En attendant, vélorail.... pour les sportifs.

à écrit le 22/11/2023 à 6:52
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Quand on voit l´enclavement de Clermont-Ferrand : trains hors d´âge, dont les pannes sont le lot quotidien, et l´autoroute chère, la solution est ailleurs : premièrement mettre un autre exploitant que la SNCF sur le trajet (mais on sait que l´État co...

le 22/11/2023 à 10:23
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@Patricia: Puisque l'Etat, c'est moi, je vous assure que je ne soutiens rien du tout; je conviens avec vous qu'un voyage vers Clermont Ferrand est un retour dans le passé, l'exactitude en moins.

le 23/11/2023 à 4:59
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@henry : effectivement l Etat méprise la province, par exemple la SNCF ne s intéresse qu aux TGV (l état de la liaison Paris Clermont en dit long). Mais dans cas n empêchez pas l arrivée de concurrents privés, et s il n y a ni liaison ferroviaire, ni...

à écrit le 21/11/2023 à 23:10
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Toujours un problème de financements…et messieurs qui paye ? l état prévoit pour 2040 la régénération de la ligne ferroviaire jugée non stratégique …il faut 20-30 sur une ligne classique pour amortir l investisse et + 25 ans pour une ligne tgv . Un...

à écrit le 21/11/2023 à 23:05
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Toujours un problème de financements…et qui paye , l état prévoit pour 2040 la régénération de la ligne ferroviaire jugée non stratégique … et pas assez fréquentée car le bassin de population est assez faible à l e belle de la région comme l aérien ...

à écrit le 21/11/2023 à 21:01
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Un avion pour faire 400 bornes? Faut pas déconner! Je suggère d'autoriser sur l'autoroute de pouvoir rouler à 180/200 km/h sur 300 km entre Clermont et Paris😃

le 22/11/2023 à 16:26
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Nous ne sommes malheureusement pas en Allemagne, où ça ne poserait aucune difficulté, même avec des verts au pouvoir.

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