Viticulture : « Dans le Beaujolais, pas question d’arracher, nous sommes en sous-production » (Philippe Bardet, président d’Inter Beaujolais)

À l’occasion de la sortie du Beaujolais nouveau ce jeudi 16 novembre, Philippe Bardet, le président d’Inter Beaujolais (l’interprofession des vins AOC du Beaujolais), fait le point pour La Tribune sur la santé du vignoble Beaujolais (14.500 hectares s’étendant du sud de Mâcon jusqu’au nord de Lyon). Cette nouvelle édition devrait être équivalente à l’année passée, soit 15 millions de bouteilles environ. Plus globalement, le principal défi des vins Beaujolais n’est actuellement pas celui de la demande, contrairement à d’autres vignobles comme le Bordelais qui va démarrer une campagne d’arrachage, mais plutôt celui du rendement et du volume.
Le Beaujolais, avec ses 12 AOC, représente 14.500 hectares de vignes pour 580.000 hectolitres de vin produits en 2023.
Le Beaujolais, avec ses 12 AOC, représente 14.500 hectares de vignes pour 580.000 hectolitres de vin produits en 2023. (Crédits : DR)

LA TRIBUNE- Qu'attendez-vous de cette nouvelle édition du Beaujolais nouveau, ce vin primeur issu des toutes dernières vendanges 2023 ?

PHILIPPE BARDET- Nous pensons que nous allons réaliser environ 120.000 hectolitres de vin, ce qui correspond à 15 millions de bouteilles environ. Ce sera sensiblement le même volume que l'année dernière. Le Beaujolais nouveau est important pour notre filière, car il représente 20% des ventes de Beaujolais, toutes appellations confondues. Ce n'est que 20%... mais c'est tout de même 20% ! Quant à ce moment précis de la sortie du Beaujolais nouveau, chaque troisième jeudi du mois de novembre, il est crucial. C'est là que, chaque année, l'essentiel des bouteilles sont achetées et consommées. Même si le Beaujolais nouveau peut très bien se conserver plusieurs mois, nous savons que les clients l'achètent et le boivent en général dans la semaine, en ce mois de novembre. C'est là qu'il a ce goût fruité recherché par les amateurs.

La sortie du Beaujolais nouveau est devenue une véritable institution, avec de très nombreux événements organisés à cette occasion...

Oui, c'est une tradition qui existe depuis les années 1950. D'abord dans la région lyonnaise, puis cela s'est diffusé en France et à l'export. Des centaines d'événements sont organisés chaque année un peu partout en France et dans le monde. La sortie du Beaujolais nouveau est associée à des moments de convivialité entre amis, en famille, entre collègues, entre partenaires professionnels.

La consommation de vin diminue en France et dans le monde. Selon une étude récente publiée par le Comité National des Interprofessions du vin (CNIV) et par Vin et Société, la baisse est de plus de 70% depuis 60 ans. Comment s'en sort le Beaujolais dans ce contexte global de baisse de la consommation ?

C'est un vin très dynamique. Et puis, même si depuis trois ans, nous avons dû augmenter nos tarifs, un Beaujolais nouveau de bonne qualité se trouve entre 5 et 12 euros la bouteille, ce qui reste très abordable pour nos clients. En termes de prix et en termes de goût.

Vous parlez de vin abordable, le Beaujolais nouveau a longtemps été associé certes à un moment de convivialité, mais aussi à une qualité moyenne. Qu'en est-il aujourd'hui de cette image ?

Cette image a beaucoup évolué en réalité, tout simplement parce que nos vins ont évolué. Le Beaujolais nouveau d'aujourd'hui n'a rien à voir avec celui d'il y a vingt ans. Il faut savoir qu'il est très difficile de produire un bon vin primeur. Mais depuis plusieurs années, les producteurs ont énormément travaillé pour le faire monter en qualité. La dynamique est particulièrement notable depuis une dizaine d'années.

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Un paradoxe, c'est que nous avons été aidés en ce sens par le réchauffement climatique. Avec des saisons plus chaudes, nos cépages gamay arrivent plus vite en maturité. Jusqu'à il y a encore quelques années, nos cépages produisaient à profusion, mais arrivaient difficilement à maturité. Désormais, les rendements ont baissé, mais nous obtenons des raisins qui, au moment des vendanges, sont plus matures.

Est-ce que les amateurs de vin à l'étranger apprécient le Beaujolais nouveau ?

Nous avions sensiblement diminué nos ventes à l'export ces dernières années, mais depuis le Covid, nous avons retrouvé des niveaux satisfaisants, grâce notamment au retour du Japon dans nos portefeuilles clients. Nous vendons environ 30% de nos bouteilles de Beaujolais nouveau à l'export, principalement au Japon (qui n'achète pas de Beaujolais par ailleurs), aux Etats-Unis, dans les Benelux, en Italie, en Scandinavie, ou encore au Canada.

Plus globalement, au-delà du Beaujolais nouveau, comment se portent le terroir Beaujolais (14.500 hectares de vignes s'étendant du sud de Mâcon jusqu'au nord de Lyon) et ses douze AOC ? Est-ce que vous pourriez vous trouver prochainement dans une situation comparable à celle que rencontrent actuellement vos collègues du Bordelais qui, face à une baisse de la consommation et à l'augmentation trop importante de leurs stocks, devraient arracher environ 8 % de leur vignoble d'ici cette fin d'année ?

Notre situation est complètement différente. Nous sommes plutôt, à l'inverse, dans un manque de production et une insuffisance de nos stocks. Nous n'avons aucun problème pour vendre ce que nous produisons aujourd'hui, le Beaujolais a le vent en poupe.

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Pour le millésime 2023, toutes appellations confondues, nous produirons environ 580.000 hectolitres. Nous étions tombés, les deux années précédentes à 500.000 hectolitres en raison d'incidents climatiques. C'est donc mieux que l'année dernière mais nous étions auparavant plutôt à 650.000 hectolitres. Cette réduction du rendement est directement liée à l'impact des incidents climatiques, devenus presque systématiques désormais (la sécheresse, les gelées, la grêle), et à la hausse des températures. Nous savons que nous avons le marché pour écouler au moins 650.000 hectolitres, encore faut-il réussir à les produire...

Face au réchauffement climatique, ce défi de remonter le niveau de production est-il alors à votre portée ?

Nous devons changer nos façons de travailler, mettre en place de nouveaux végétaux qui s'accommoderont mieux de cette transformation climatique. Mais cela prendra du temps. Une vigne, dans le Beaujolais, est plantée pour cinquante ans. Nous avançons, certes, mais malheureusement le changement climatique avance plus vite que nous. Résultat : du côté des rendements, je crois que nous ne pouvons pas vraiment compter dessus pour augmenter notre production.

En revanche, une des solutions pourra venir des plantations et replantations. Nous avons encore des espaces disponibles pour de nouvelles vignes et nous assistons depuis trois ou quatre ans à un retour des vocations. Pendant longtemps, nous avons eu du mal à attirer des jeunes. Aujourd'hui, les formations refont le plein. Par exemple, le lycée viticole de Belleville-en-Beaujolais est actuellement bien rempli. Au niveau de l'interprofession, nous voyons arriver des demandes d'exploitations, notamment de néo-vignerons. Et puis, nous constatons aussi l'arrivée de plus en plus marquée d'investisseurs. Ils ont un tout autre profil que les exploitants traditionnels : ils confient l'exploitation à des professionnels mais arrivent avec des moyens financiers auxquels nous n'étions pas habitués. Souvent, il s'agit d'anciens chefs d'entreprise qui ont vendu leur société et réinvestissent dans le vin. Chez nous, contrairement à d'autres régions, je n'ai pas encore pas vu d'investisseur étranger en revanche.

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