Nucléaire : Renaissance Fusion table sur un premier démonstrateur de réacteur à fusion en 2030

Elle est la seule start-up française à travailler sur la voie de la fusion nucléaire. Renaissance Fusion vient d’être retenue dans le cadre de l’appel à projets « réacteurs nucléaires innovants » de France 2030. À la clé, 10 millions d’euros et un accompagnement privilégié par le Commissariat à l'énergie atomique (CEA). L'entreprise espère lancer un premier démonstrateur capable de produire de l'énergie à horizon 2030.
Simulation de la structure du futur réacteur de Renaissance Fusion.
Simulation de la structure du futur réacteur de Renaissance Fusion. (Crédits : Renaissance Fusion)

C'est un pas de plus sur le chemin, encore très long, qu'emprunte la start-up grenobloise Renaissance Fusion vers la création d'un petit réacteur à fusion nucléaire. Aux côtés de cinq autres acteurs français du secteur, elle est lauréate de la dernière relève de l'appel à projets « réacteurs nucléaires innovants », lancé par l'État au printemps 2022. Une reconnaissance qui lui permet d'empocher dix millions d'euros de subventions ainsi qu'un soutien technique du Commissariat à l'énergie atomique (CEA). Celui-ci se matérialisera par des collaborations renforcées avec les antennes de Grenoble, Cadarache et Paris-Saclay.

Ces 10 millions d'euros viennent s'ajouter aux 15 millions d'euros levés début 2023 auprès du fonds Lowercarbon, du français HCVC, et des Européens Norrsken, Position Ventures et Exor Seeds.

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Seule startup française à travailler sur la fusion

La sélection de la start-up grenobloise de 40 salariés dans le cadre de cet appel à projets, censé faire émerger des solutions nucléaires innovantes, était attendue. C'est en effet la seule, en France, à avoir choisi d'explorer la voie de la fusion, plutôt que celle de la fission. Et globalement, elles ne sont guère nombreuses dans le monde : sept en Europe (dont Gauss Fusion, cofondée par cinq entreprises européennes parmi lesquelles la françaises Alcen) et moins d'une quarantaine à travers toute la planète.

À l'occasion du deuxième anniversaire de France Relance, le mois dernier, Emmanuel Macron avait d'ailleurs indiqué vouloir accélérer significativement sur la voie de la fusion nucléaire, en parallèle de celle des petits réacteurs à fission. Et ce même s'il est très probable qu'aucun réacteur à fusion ne pourra être disponible et rentable énergétiquement avant, au bas mot, dix à quinze ans et ne participera vraisemblablement pas, ou peu, aux objectifs de décarbonation fixés par la France à horizon 2050. Et encore moins à horizon 2030.

La perspective de gains énergétiques sans déchets

Pour mémoire, explique l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) sur son site internet : « la fission nucléaire consiste à projeter un neutron sur un atome lourd instable (uranium 235 ou plutonium 239). Ce dernier éclate alors en deux atomes plus légers. Cela produit de l'énergie, des rayonnements radioactifs et deux ou trois neutrons capables à leur tour de provoquer une fission. Et ainsi de suite. C'est le mécanisme de la réaction en chaîne ».

La fusion, elle, s'appuie sur un procédé différent. « La fusion fait entrer en collision et fusionner des noyaux d'hydrogène (deuterium et tritium) pour former des atomes d'hélium. La fusion ne fait pas appel à des atomes lourds comme l'uranium. Cette réaction reproduit ce qui se passe au cœur des étoiles », explique Simon Belka, directeur des relations publiques de Renaissance Fusion.

Pour la provoquer, il est nécessaire de chauffer la matière à plusieurs millions de degrés Celsius, à très forte pression. La matière est alors ionisée et forme ce qu'on appelle un plasma. L'intérêt ? L'énergie produite dans le cadre de ce projet serait très importante, sans déchets radioactifs et sans émission de gaz à effet de serre : le sous-produit principal serait l'hélium, un gaz inerte non toxique.

Encore au stade expérimental

Aucun réacteur à fusion n'est aujourd'hui sur les rails d'une mise en service dans le monde. Mais les start-ups, ainsi qu'une cinquantaine d'initiatives publiques et publiques-privées turbinent sur le sujet. En particulier aux Etats-Unis, où le laboratoire californien Lawrence Livermore a démontré récemment, pour la première fois, qu'un plasma de fusion pouvait produire plus d'énergie qu'il n'en consommait. Mais cela n'a duré qu'une infime (100.000 milliardièmes) fraction de seconde. « Cette démonstration s'est faite sur un temps très court, mais il s'agit d'une avancée historique », observe le porte-parole de Renaissance Fusion.

Cette avancée concerne la fusion dite « inertielle », différente de la fusion magnétique, la voie retenue par Renaissance Fusion, mais aussi par le programme Iter (Réacteur thermonucléaire expérimental international, situé à Cadarache, dans les Bouches-du-Rhône). La différence entre les deux est expliquée par Daniel Vanderhaegen, Directeur du Programme Simulation de la Direction des Applications Militaires (DAM) du Commissariat à l'énergie atomique (CEA) : « pour maintenir les conditions nécessaires à l'obtention d'un plasma, il faut confiner la matière, soit par un champ magnétique (...), soit par un confinement inertiel par laser à des densités plus élevées et dans un temps beaucoup plus court ».

Un réacteur de type « Stellarator »

Sur la voie de la fusion nucléaire par confinement magnétique, Renaissance Fusion - fondée en 2020 par l'Italien Francesco Volpe et l'Allemand Martin Kupp - s'appuie sur trois briques qu'elle va devoir construire.

En premier lieu son réacteur, qu'elle a voulu de type « Stellarator » (différent du réacteur Tokamak utilisé par le programme Iter).

« Le Tokamak est plus avancé, la recherche publique s'est historiquement concentrée sur cette voie. Le Tokamak a l'avantage d'être plus facile à construire, mais il a l'inconvénient de fonctionner de manière pulsée. A l'inverse, le Stellarator est plus complexe à produire mais il a l'énorme avantage de pouvoir produire en continu », détaille Simon Belka.

Un choix « extrêmement intéressant », d'après Alain Becoulet, directeur scientifique général adjoint du projet Iter. L'expert a rejoint le comité stratégique de la start-up.

« Renaissance Fusion participera probablement à de grandes avancées sur la fusion. Il est essentiel que des acteurs privés français se positionnent sur ce sujet. Les pays anglo-saxons ont en effet pris de l'avance avec des investisseurs qui ont parié rapidement sur les start-ups. Elles travaillent sur des innovations de conception qui permettront une mise en œuvre industrielle, à moindre coût. En Europe, il faut désormais que les investisseurs se lancent pour participer à un modèle plus dynamique ».

Encore de nombreuses étapes à franchir

La deuxième brique que doit poser Renaissance Fusion concerne les métaux liquides.  La start-up a déjà réalisé un premier démonstrateur, qui lui permet de faire preuve de sa maîtrise de cet état physique, mais en manipulant un autre métal que celui qu'elle utilisera in fine, le lithium. « Progressivement, nous allons augmenter les épaisseurs de métaux liquides que nous maîtrisons, puis nous passerons au lithium », confie le directeur des relations publiques de l'entreprise.

Enfin, troisième étage de la fusée, les supraconducteurs utilisés pour la fabrication des aimants nécessaires au confinement magnétique. « Toutes les organisations travaillant sur ce sujet achètent ces supraconducteurs en Chine et en dehors de l'Europe. Nous allons les produire nous-mêmes, avec une méthode innovante et plus compétitive. Nous devons désormais fabriquer l'équipement qui nous permettra ensuite de produire ces supraconducteurs. Le cahier des charges est prêt et nous avons pratiquement tous les composants. Nous pourrons procéder à l'assemblage courant 2024 ».

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Une démonstrateur capable de produire de l'énergie en 2030

Pour fin 2025, Renaissance Fusion vise le lancement de son démonstrateur baptisé « Skyfall 3 ». Il s'agira d'une petite partie du réacteur final qui produira un champ magnétique de dix tesla (unités de mesure des champs magnétiques).

L'étape suivante sera celle, en 2030 espère Renaissance Fusion, d'un démonstrateur de réacteur capable de produire de l'énergie. Puis, dans les dix ans qui suivent, un réacteur final.

D'ici là, la start-up estime qu'elle aura besoin d'au moins 500 millions d'euros de financement. Qu'elle pourra trouver dans ses fonds propres, notamment grâce à un business plan appuyé sur la commercialisation, bien avant ses réacteurs, de sa technologie de supraconducteurs auprès d'autres secteurs d'activité comme le stockage d'énergie ou l'imagerie médicale. Mais c'est plus probablement dans de futures levées de fonds que la pépite grenobloise puisera l'essentiel des ressources nécessaires.

Un nouveau tour de table, qualifié de « plus important que celui de 15 millions d'euros annoncé début 2023 », est d'ailleurs au programme de l'année 2024.

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Commentaires 2
à écrit le 17/01/2024 à 20:48
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"un accompagnement privilégié par le Commissariat à l'énergie atomique (CEA)" depuis Mr Fillon premier ministre le CEA est devenu le "Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives"

à écrit le 17/01/2024 à 6:28
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l’énergie ne se fabrique pas, l’énergie miracle c’est juste un mythe qui nous fait dépenser beaucoup trop d’énergie justement … avec 1 kwh on ne peut pas produire plus d’ 1kwh, c’est mathématique, pourtant c’est ce qu’on cherche à trouver avec l’é...

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