LGV Lyon-Turin : le projet à nouveau sous l'oeil des élections législatives anticipées

Place dans l'Union européenne, transports, grands projets... La campagne pour les élections législatives fait aussi des remous en Maurienne (Savoie) au sujet de la future ligne ferroviaire européenne entre Lyon et Turin. Alors que le que le tunnel transfrontalier est en cours de creusement entre la France et l'Italie, mais que les accès français restent à financer, les partis divergent sur sur ce vaste projet : le Rassemblement national, qui y était fermement opposé, opère depuis quelques années un « glissement » encore ambigu, tandis que le Nouveau Front Populaire apparaît divisé. Revue des positions.
Le creusement du futur tunnel transfrontalier de 57,5 kilomètres entre la France et l'Italie a débuté il y a huit ans : fin mars 2024, « l'excavation a atteint 36,4 km de galeries sur un total de 162 km à réaliser », indique la TELT (promoteur public du projet franco-italien).
Le creusement du futur tunnel transfrontalier de 57,5 kilomètres entre la France et l'Italie a débuté il y a huit ans : fin mars 2024, « l'excavation a atteint 36,4 km de galeries sur un total de 162 km à réaliser », indique la TELT (promoteur public du projet franco-italien). (Crédits : telt-sas)

C'est un chantier européen aux dimensions titanesques, remué depuis plus de trente ans au gré des courants politiques : le sujet de la future ligne ferroviaire entre Lyon et Turin, qui vise notamment à faire transiter des marchandises par le rail entre la France et l'Italie - et enlever, à terme, un million de camions chaque année des routes - ressurgit à nouveau à l'occasion des élections législatives anticipées du 30 juin et du 7 juillet prochain.

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L'étendue du projet et son caractère « clivant » au sein de plusieurs partis politiques ont en effet remis en lumière le dossier. Et si le creusement du tunnel transfrontalier a pourtant débuté en 2016, actant ainsi la mise en œuvre du chantier franco-italien, la question du financement des voies d'accès françaises entre Lyon et l'entrée de l'ouvrage n'est cependant pas encore tranchée. Elle pourrait d'ailleurs constituer un point d'accroche important au sein du futur gouvernement, en cas de cohabitation.

Dans l'attente d'un retour de Bruxelles pour lancer les études d'avant-projet

Et pour cause : la prochaine étape consiste à recevoir une réponse, attendue mi-juillet, de la Commission européenne quant à la demande de subvention concernant les « études d'avant projet détaillé » (APD) relatives au tronçon français d'environ 150 kilomètres.

D'une durée d'environ trois ans, ces études techniques ont été budgétisées au total à 170 millions d'euros, auxquels s'ajoutent 50 millions d'euros supplémentaires pour celles du projet de contournement ferroviaire de Lyon pour le fret, appelé « CFAL Nord ».

Et si l'Union européenne pourrait prendre en charge la moitié des coûts, et les autorités françaises l'autre moitié, l'accord noué entre l'Etat et les collectivités territoriales en janvier dernier doit encore être validé par le prochain gouvernement.

Cela, « via un décret, ou toute autre forme d'autorisation », détaille Stéphane Guggino, délégué général du Comité pour La Transalpine, association de promotion du projet.

D'où une certaine « incertitude » pour ses promoteurs : si Renaissance, le Modem, Horizon, les Républicains, le Parti socialiste, le Parti communiste et Reconquête « ont clairement affiché leur soutien au Lyon-Turin », d'autres partis entretiennent encore l'ambiguïté, ou s'opposent au projet.

Un « glissement » du Rassemblement national

C'était notamment le cas du Rassemblement national. Le parti présidé par Jordan Bardella était jusqu'à peu fermement opposé au projet ferroviaire, non seulement pour des raisons techniques et financières, mais aussi pour sa logique relative à la mondialisation et à l'augmentation des échanges intra-européens, « de Kiev à Lisbonne ». Cela, en portant le concept du « localisme », à connotation identitaire, en matière d'écologie et d'immigration.

« Depuis 1998, le Front national (ex-RN ndlr) s'oppose à ce projet, pour des raisons de respect des populations, de l'environnement, et de non-rentabilité », écrivait ainsi l'ancien député européen du parti d'extrême-droite, Dominique Martin, dans un communiqué publié en 2016.

Quatre ans plus tôt, Bruno Gollnish, adhérant du FN depuis 1983, et qui a notamment dirigé la campagne électorale de Jean-Marie Le Pen en 2002, estimait quant à lui qu'il « n'existe pas de marché pour une telle liaison. Ni passager, ni fret ».

Depuis, le parti ne s'est que peu exprimé sur le sujet au niveau national, à quelques exceptions près. Stéphane Guggino a ainsi remarqué « un glissement » ces dernières années :

« Côté RN, on ne peut pas dire que le parti soutient le projet, mais il ne s'y oppose plus aussi frontalement qu'avant », indique le délégué générale du comité pour La Transalpine.

« Cette année, clairement, il y a eu une prise de position officialisée notamment par la candidate du RN dans la 3e circonscription de Savoie, Marie Dauchy, qui affirme désormais que le parti ne s'oppose plus au Lyon-Turin », poursuit le délégué général du Comité pour la Transalpine.

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Cette eurodéputée rattachée au groupe Identité et Démocratie (ID), élue le 9 juin dernier sur la liste de Jordan Bardella, tranche en effet avec les ancrages historiques de son parti.

« Puisque ce projet a déjà été tant avancé, il devient de plus en plus difficile, aujourd'hui, de s'y opposer, car arrêter les travaux représenterait un coût de plus en plus important », indiquait ainsi Marie Dauchy lors d'une assemblée plénière de la Région Auvergne-Rhône-Alpes en 2020, lorsqu'elle était conseillère régionale au sein du groupe RN.

Plus récemment, l'eurodéputée d'extrême-droite a visité le chantier du tunnel à l'occasion du déplacement du Premier ministre, Gabriel Attal, en Maurienne.

Pour autant, en interne, ce changement de posture, notamment engagé au niveau national, sans officialisation, n'a pas infusé à tous les niveaux, créant même des dissonances. Les élus régionaux du groupe Rassemblement national en Auvergne-Rhône-Alpes exprimaient encore leurs « doutes » sur le projet ferroviaire en juillet 2023.

En pointant par exemple « la suffisance de la ligne historique », « le dérapage des coûts », l'effet « aspirateur à camions » ou encore « le gaspillage énergétique » du projet ferroviaire.

Des positions hétérogènes, voire incohérentes, qui permettraient au parti d'extrême-droite de « ratisser » un électorat large dans un territoire où la députée LR sortante, Émilie Bonnivard, affiche pleinement son soutien au projet. Mais où les équilibres politiques pourraient bien être bousculés.

Aux dernières élections européennes, la liste menée par Jordan Bardella est en effet arrivée en tête dans la 3è circonscription de Savoie avec 35,4 % des suffrages exprimés (et 42 % en y ajoutant les votes Reconquête). En deuxième position, la liste PS Place publique a recueilli 14 % des voix en Maurienne. Suivie par la liste de la majorité présidentielle menée par Valérie Hayer (12,7%), puis par celles des Républicains (8,4 %), d'EELV (6%) et de LFI (5,4 %).

Division en Maurienne pour le Nouveau Front Populaire

De l'autre côté de l'échiquier politique, le sujet n'a pas été sans tension depuis dix jours. Notamment au moment de désigner les candidats du Nouveau Front Populaire (réunissant la France insoumise, le Parti socialiste, Europe-Ecologie-les-Verts et le Parti communiste) dans chaque circonscription.

En Maurienne, Daniel Ibanez, co-fondateur et coordinateur du collectif « Non au Lyon-Turin », a en effet été investi par la nouvelle alliance. Ce qui n'a pas manqué de provoquer un mini séisme local.

François Chemin, premier secrétaire fédéral du PS en Savoie, a en effet présenté sa démission le vendredi 14 juin, au lendemain de la présentation des candidats.

« Nous nous étions accordés la semaine dernière sur l'idée d'une candidature neutre, de quelqu'un qui ne serait ni pro ni anti Lyon-Turin », a détaillé l'ancien secrétaire à nos confrères de Savoie News ce mardi.

« C'est la deuxième fois que cette circonscription est revendiquée et obtenue par la France insoumise avec des résultats qui ne sont, à mon sens, pas au niveau », a ajouté François Chemin, la Nupes ayant obtenu 22,8 % des suffrages exprimés lors du premier tour des élections législatives en 2022, contre 33,1 % LR et 19,6 % pour le RN.

« Dans l'histoire de la cinquième République, la troisième circonscription de Savoie a été la plus souvent détenue par un député de gauche - avec Jean-Pierre Cot, Roger Rinchet, Béatrice Santais. Si on se dit qu'à chaque fois, on la réserve à LFI avec un sujet aussi clivant que le Lyon-Turin, cela signifie clairement que l'on tire un trait dessus », complète l'ancien secrétaire du PS local.

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Très investi sur le sujet des pesticides, ou encore de la rénovation thermique des logements, Daniel Ibanez s'est pour sa part engagé dans la bataille contre le projet ferroviaire à l'occasion de l'enquête publique, réalisée en 2012.

Dans le média indépendant Basta!, il indiquait ainsi, en juillet 2023 que « défendre l'environnement, la santé et l'argent public, c'est constater que toutes les prévisions pour ce projet sont fausses et surévaluées. Que la voie existante permet dès maintenant de reporter de la route vers le rail les deux tiers des marchandises. Contrairement à une idée largement répandue, les transporteurs routiers demandent à utiliser des navettes ferroviaires moins coûteuses que le mode routier ».

Le candidat du Nouveau Front Populaire, par ailleurs cofondateur de la « Rencontre annuelle des lanceurs d'alertes », aurait également indiqué ne pas évoquer le sujet du Lyon-Turin lors de la campagne.

Également candidat en douzième position sur la liste menée par Manon Aubry (LFI) lors des dernières élections européennes (non élu), Daniel Ibanez fera face, le 30 juin prochain, à Émilie Bonnivard (LR, députée sortante), à Marie Dauchy (RN) et à Pascale Trouvé (Lutte Ouvrière) dans la 3è circonscription de Savoie.

Un nouveau Parlement européen qui « ne bouscule pas les équilibres »

Le résultat des élections européennes du 9 juin dernier n'inquiète pas les promoteurs du projet Lyon-Turin. Au contraire : si la configuration du nouveau Parlement s'est certes déplacée à droite, le pôle central (PPE et SD), notamment « moteur » du projet, reste majoritaire.

Ce qui « rassure » le Comité pour la Transalpine sur les équilibres en place : si les autorités françaises s'accordent, les voies d'accès françaises pourraient prétendre à un financement européen de moitié dans le cadre de la prochaine enveloppe dédiée aux projets ferroviaires (2027-2032).

Soit quelque 4 milliards d'euros sur les 8 milliards estimés au global, auxquels s'ajoutent 2 milliards d'euros pour les voies de contournement de Lyon (CFAL Nord), nécessaires au projet Lyon-Turin.

« Selon les scénarios, le financement du Lyon-Turin pour le budget de l'Etat (français) s'inscrit dans une fourchette comprise entre 3,9 et 6,6 Md€ étalés sur 20 ou 30 ans », indiquait ainsi une étude de la Transalpine avec le cabinet Sia Partners en 2020.

Le coût global du projet (tunnel transfrontalier, accès italiens et français), avait quant à lui été estimé à 18 milliards d'euros par Sia Partners en 2020.

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Commentaires 2
à écrit le 21/06/2024 à 12:05
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Rendre un tel investissement aussi passionnel alors que nous devons impérativement opérer un report modal vers les modes de transport faiblement carbonés constitue une aberration de plus. L'Italie constitue le deuxième partenaire économique de la Fra...

à écrit le 21/06/2024 à 8:17
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La solution est simple, ce chantier est tellement entaché de malversations qu'à part le confier directement à Cosa Nostra je vois pas. Hein qu'ils se débrouillent pour une fois hein ? Qu'ils assument. ^^

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