Tourisme durable : « L'idée, c'est de repenser la valeur créée pour les clients » (Dominique Kreziak, IAE Savoie Mont Blanc)

INTERVIEW. Comment adapter le tourisme aux enjeux de décarbonation ? Cette question sensible, qui affecte directement les activités économiques en montagne, est au cœur de la réflexion du secteur. Cela passera-t-il par d'autres activités plus « frugales » et une bascule vers de nouveaux publics ? Dominique Kreziak, titulaire de la chaire de recherche « tourisme durable » à l'IAE Savoie Mont Blanc, livre des éléments de réponse.
Comment décarboner la montagne ? Si la demande d'expériences dites « autoproduites » - encore minoritaires dans le flux touristique global - progresse, celles-ci ne sont pas forcément plus durables sans adaptation de l'offre, pointe Dominique Kreziak, chercheuse à l'université Savoie Mont Blanc.
Comment décarboner la montagne ? Si la demande d'expériences dites « autoproduites » - encore minoritaires dans le flux touristique global - progresse, celles-ci ne sont pas forcément plus durables sans adaptation de l'offre, pointe Dominique Kreziak, chercheuse à l'université Savoie Mont Blanc. (Crédits : Domaine public)

A l'heure où la société est appelée à réduire drastiquement les émissions de gaz à effet de serre en atteignant la neutralité carbone en 2050, le secteur du tourisme fait face à des sujets de taille : transports, logements, consommations. Si les réponses à ce défi peuvent s'inspirer des théories sur la sobriété, de l'efficacité et de l'innovation, une partie concerne bien le renouvellement de l'offre touristique, remarque Dominique Kreziak, titulaire de la chaire « tourisme durable » de l'université Savoie Mont Blanc (IAE), spécialiste du comportement du consommateur. Et s'il était possible d'esquisser les vacances dans le futur ? Entretien.

LA TRIBUNE - Au salon « Destination montagne », qui a réuni les d'acteurs du tourisme à Chambéry, la conjoncture économique du secteur a été présentée sous plusieurs angles. La question de la « premiumisation » des séjours a notamment été abordée, ainsi que la progression de la moyenne d'âge de la clientèle. D'abord, ces deux phénomènes sont-ils corrélés ? Et que disent-ils de l'évolution de l'offre touristique ?

DOMINIQUE KREZIAK - La tendance est effectivement à la premiumisation des séjours et à la montée en gamme de l'offre. En revanche, il y a beaucoup de croyances autour du facteur « âge », avec l'idée de chercher une montée en gamme lorsqu'on vieillit. Mais ce n'est pas exactement le cas. Bien sûr, il existe une corrélation, en fonction des revenus. Mais les clients ne sont pas forcément à la recherche de ces types de gamme-là. D'ailleurs, il y a peut-être l'idée d'un certain dogme autour de la « montée en gamme », comme seule voie possible pour la montagne. Il est facile de regretter le manque de renouvellement de la clientèle, mais de nombreux hébergements cherchent bien une montée en gamme. Pour autant, il existe d'autres marchés, d'autres types d'expérience, qui peuvent constituer des expériences très signifiantes et d'autres formes de luxe.

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Quels sont ces « autres marchés » ? Répondent-ils d'une certaine façon aux enjeux de transition écologique du secteur touristique ?

Une partie de la demande s'oriente vers des activités dites « autoproduites », conçues soi-même, qui n'entrent pas exactement dans ce qui est aujourd'hui prévu et aménagé. Les territoires font remonter un nombre croissant de visiteurs pour ce type de pratiques. Nous pouvons ainsi remarquer une réelle appétence pour la moyenne montagne, qui a beaucoup appelé à augmenter son attractivité. Or, les vacanciers viennent, mais ne sont pas forcément des « clients ». Ils ne sont pas forcément intéressés par ce qui est « prêt et packagé » dans des hébergements conventionnels. Ils recherchent peut-être davantage des expériences de nature, des expériences autoproduites qui ne seront, d'ailleurs, pas forcément plus durables car il n'y a pas d'aménagement prévu. En effet, s'il y a toujours eu des bivouacs en montagne et au bord des lacs, leur nombre augmente et cela devient surtout plus visible. Plusieurs territoires commencent d'ailleurs à réglementer, en raison de conflits d'usages ou encore de dégradations du milieu naturel. C'est le cas de la Chartreuse (Isère), qui a interdit le bivouac pendant l'été. Ce n'est pas du tout anodin. Et c'est toute l'ambiguïté.

Pour améliorer la durabilité de ces activités, cela passerait-il par de nouvelles offres et infrastructures ?

Il n'y a pas de réponse magique, mais l'offre n'est pas forcément prête face à ce genre de pratiques. Ils peuvent s'inspirer de ce qui se fait dans les parcs naturels nord-américains, où il est possible de s'installer dans la nature, dans des emplacements prévus, même sommaires, où des toilettes sèches et un point d'eau sont à disposition contre une petite redevance. En France, le massif de Belledonne (Isère) mène une réflexion en ce sens avec des « camps de base », à savoir des lieux où dédiés où installer des tentes, un peu comme en camping sauvage, mais avec quelques équipements grâce auxquels il est possible d'éviter des effets négatifs, tout en proposant des activités bien plus immersives, dans la nature.

Ces expériences peuvent-elles favoriser les changements d'habitudes ?

L'idée d'Ilse de Klijn pour sa thèse était de travailler sur des marcheurs du parcours de Saint-Jacques-de-Compostelle, sans gîte, dans une expérience qu'elle a qualifiée de « frugale ». Elle les a observés pendant leur marche, puis à leur retour. Et elle a vu qu'ils ont mis en place un certain nombre de changements dans leur quotidien à la suite de cette expérience : aller au travail à vélo, se déplacer uniquement à pied. Ses travaux montrent que le moment des vacances permet d'expérimenter des pratiques plus vertueuses, plus intéressantes en termes de durabilité, qu'il n'est pas forcément possible d'expérimenter au quotidien pour des questions d'habitudes, ou encore de temps. Des vacances et des stages émergent autour de compétences très pratiques, comme la permacutlure. Dans ce cas, c'est gagnant-gagnant.

Comment les territoires s'y préparent-ils ? Le ski garde une place prédominante dans l'économie touristique en montagne, avec un modèle organisé pour cette activité.

C'est en effet le modèle le plus répandu. Mais il est intéressant d'observer des voies qui émergent, qui peuvent faire l'objet de réflexions. D'observer des signaux faibles pour dire ce qu'ils inspirent, vers quoi on peut aller, quelles sont les voies pour renouveler l'offre et la réenchanter. L'idée n'est pas forcément de faire moins bien, ou une expérience dévaluée, mais plutôt de repenser la valeur créée pour les clients et d'en tirer partie de façon durable pour les territoires qui les accueillent. Et cela ne veut pas dire que les destinations ne s'interrogent pas, au contraire, elles portent toutes ces réflexions. Mais pour l'instant, elles continuent comme elles ont toujours fait.

La question de l'étalement des séjours a aussi été soulevée par plusieurs acteurs... Comment évaluez-vous cette question, dans le débats depuis de nombreuses années ?

En effet, cela fait longtemps que cette question est soulevée. L'hôtellerie et les offres « hors saison » posent assez peu problème. De même, il y a des voies très intéressantes sur les week-end prolongés en montagne, où il est aussi possible d'aller télétravailler. Par exemple, la station de Val d'Isère a installé des espaces de télétravail. Briançon s'est aussi orienté vers cette voie-là en proposant des espaces de coworking pour des travailleurs venant dans la région quelques semaines, un mois, pour en profiter autrement. Ce sont des voies très intéressantes, en complément de gamme. L'idée n'est pas de remplacer du tout au tout « le séjour au ski du samedi au samedi », qui comporte un certain nombre de bénéfices en termes d'efficacité : c'est un format simple, connu, tout le monde s'organise autour de ce format. Mais il existe certains interstices pour faire autrement. La durabilité, c'est aussi se questionner sur comment utiliser au mieux ce qui existe déjà.

Comment renouveler la clientèle touristique et attirer notamment les étudiants au ski ?

Si les stations et les territoires de montagne sont engagés dans la question du renouvellement de leur clientèle, les étudiants, peut-être destinés à être dans les CSP+ à la suite de leurs études, sont des cibles vraiment intéressantes. Ce ne sont peut-être pas des clientèles faciles à accueillir en termes de bruit, de cohabitation avec des clientèles plus conventionnelles, c'est l'hypothèse que l'on peut faire. Mais ce seraient de bonnes idées pour faire découvrir la montagne à des clients qui n'y seraient peut-être pas venus, et des cibles potentiellement qui auront les moyens de venir au ski.

Le Conseil Savoie Mont Blanc, instance de gouvernance bidépartemental entre la Savoie et la Haute-Savoie, qui fédère notamment les acteurs du tourisme et les stations de sports d'hiver des deux départements à travers l'agence de promotion Savoie Mont Blanc, voit ses missions largement réduites en 2024, sur décision du Conseil départemental de la Haute-Savoie en 2023. Quel signal cela renvoie-t-il aux acteurs de la région ?

Je trouve qu'il est dommage que des territoires comme ceux-là ne collaborent pas, car c'étaient des succès importants. Vu de l'étranger, la différence entre Savoie et Haute-Savoie n'est pas lisible. D'ailleurs, l'analyse européenne des flux touristiques se fait par pays, ou par grande région. Il y a des dynamiques très claires entre ces deux territoires. J'imagine qu'il y avait de bonnes raisons de démanteler cette gouvernance. Mais en matière touristique, l'attractivité se fait quand même mieux quand on a plus de moyens et qu'on les met en commun.

La Tribune - Les Alpes françaises sont désormais seules en lice pour l'obtention des Jeux olympiques d'hiver 2030. La région Auvergne-Rhône-Alpes, qui porte cette candidature avec la région PACA, y voit une belle opportunité en termes de décarbonation des mobilités, d'accessibilité de la montagne. Est-ce aussi l'occasion de développer des « signaux faibles », comme ceux que vous avez évoqués ?

Les championnats du monde de ski alpin 2023, qui se sont déroulés dans les stations de Méribel et de Courchevel (Savoie), ont mené une démarche vraiment intéressante au niveau RSE : collaborative et ouverte. En revanche, il est encore trop tôt pour évaluer quoi que ce soit pour les JO 2030. J'attends donc de voir.

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