Panne des services d’urgence : pourquoi les réseaux peuvent être fragiles

ENJEUX. Alors que les services d’urgence viennent de faire face à une panne généralisée, la fiabilité des réseaux télécoms est au coeur des débats depuis ce matin. Comment fonctionnent habituellement ces plateformes, destinées à réorienter les appels des services de secours, et pourquoi Orange est précisément ciblé dans ce dossier ? Eléments de réponse avec Razvan Stanica, maître de conférences au département des télécommunications de l'INSA Lyon.
Plus qu'une simple panne, ce dossier pourrait également mettre en lumière une décision politique et historique de l'Etat, qui a choisi de conserver un système décentralisé pour la gestion de ses plateformes d'urgences, contrairement à d'autres pays comme les Etats-Unis.
Plus qu'une simple panne, ce dossier pourrait également mettre en lumière une "décision politique et historique de l'Etat", qui a choisi de conserver un système décentralisé pour la gestion de ses plateformes d'urgences, contrairement à d'autres pays comme les Etats-Unis. (Crédits : Stephane Mahe)

LA TRIBUNE - La France vient connaître une panne généralisée de l'ensemble des services d'urgence (15/17/18/112) à l'échelle nationale, qui a affecté au total près de 90 départements de manière aléatoire selon le Ministère de l'Intérieur, dont plusieurs situés au sein région Auvergne Rhône-Alpes. Lors de cet épisode, on a beaucoup parlé de la technologie de la Voix sur IP (VOIP). Pour quelle raison ?

RAZVAN STANICA - En réalité, le réseau téléphonique classique que nous utilisions encore majoritairement dans les années 80 et 90 était ce que l'on appelle une téléphonie de "circuit", basée sur un câble virtuel créé entre les deux téléphones et à l'intérieur duquel la voix circulait.

Mais depuis les années 2000, on a commencé à développer en parallèle des réseaux fonctionnant avec Internet, et notamment l'Internet protocole (IP), qui, au lieu de créer un câble virtuel, visait à faire passer des petits morceaux d'informations par paquets, chacun étant acheminés de manière différente sur différents canaux. Cette technologie a l'avantage de présenter une forme de redondance ainsi qu'un niveau de fiabilité supérieur au réseau circuit traditionnel.

Elle demande de faire appel à des équipements différents, mais qui fonctionnent sur le même principe : alors que nous avions auparavant des commutateurs et répartiteurs de circuits, nous avons aujourd'hui de nouvelles générations d'équipements réseaux comme des IP routeurs ou des switchs.

Pour autant, si une grande partie de la téléphonie fixe est passée sur cette technologie de voix sur IP avec l'essor des box internet, ce n'est pas le cas du réseau de téléphone mobile, moins de 20 % a effectué la transition, qui nécessite également d'avoir des terminaux compatibles 4G.

Dans un premier temps, on a évoqué le rôle de cette technologie de Voix sur IP (VOIP) dans la panne que nous venons de connaître... Pour quelle raison ?

Pour l'heure, l'hypothèse principale dont nous avons eu connaissance est plutôt, au contraire, celle d'un dysfonctionnement sur le réseau circuit, c'est-à-dire l'ancienne formule, et non la VOIP.

Ce serait au moment de changer un répartiteur sur cette ancienne génération de circuits, basé à Lille, que la configuration du nouvel équipement n'aurait pas fonctionné lors de la remise en route.

Quel est le lien direct de cet incident avec les numéros des services d'urgence (15/17/18/112) plus précisément :  comment sont-ils acheminés au sein des réseaux télécoms ?

Lorsqu'on appelle un numéro d'urgence, on a l'impression d'avoir affaire à un numéro unique, mais en réalité, chaque préfecture et département dispose de son propre numéro. Ainsi lorsqu'on compose le 15, l'opérateur télécom va analyser très rapidement d'où l'appel est émis -via la localisation du téléphone fixe comprise dans son identifiant, ou bien grâce aux informations fournies par l'antenne d'un téléphone mobile- et va ensuite orienter automatiquement l'appel vers le service d'urgence le plus proche.

Dans le modèle français, chaque opérateur de téléphonie (fixe ou mobile) a l'obligation de permettre ces appels gratuitement. Cela veut dire qu'un utilisateur peut les appeler gratuitement (y compris s'il n'a pas de carte SIM ou plus de forfait mobile), mais aussi que l'État ne paie pas pour la gestion de l'infrastructure et de ce service, qui est compris, de manière implicite, au sein des licences passées avec les opérateurs. Et c'est un élément important dans la suite de la construction de ce modèle.

Vous estimez justement que cet épisode pose plus globalement des questions concernant l'organisation du réseau français : pour quelle raison ?

Contrairement à d'autres pays européens ou aux Etats-Unis, la France a fait le choix de bâtir un réseau de numéros d'urgence fondé sur cette forme de contrat "gratuit" passé avec les opérateurs. En même temps, elle transfère la charge de la localisation de l'appelant, et se mise en lien avec le service d'urgence le plus proche à l'échelon départemental.

Ce n'est pas le choix qu'ont fait par exemple les États-Unis avec le 911, où les appels sont d'abord envoyés vers une plateforme nationale, assurée par l'Etat, qui se charge ensuite d'acheminer les appels vers les territoires. En France, on a étrangement fait le choix de laisser la charge de la localisation de l'appel aux opérateurs, et non aux services de l'Etat.

Une proposition de loi (adoptée ce jeudi 27 mai en première lecture à l'Assemblée nationale), et s'appuyant sur une directive européenne existante, vise à renforcer l'unification en proposant un numéro d'appel unique (112) en Europe : est-ce que cela pourrait changer la donne ?

Pas vraiment, puisque cette directive européenne continue de placer la charge sur l'opérateur en matière de localisation des appels. Cela traduit uniquement un changement d'échelle, qui serait celui de l'Europe, mais ne modifie pas profondément l'organisation du réseau.

Dans le cadre d'un tel incident comme celui de vient de connaître la France, quelles seraient les bonnes pratiques à mettre en place ?

Du point de vue de la maintenance des réseaux en tant que telle, l'une des bonnes pratiques consiste à mettre en place une forme de redondance, avec l'activation en parallèle d'équipements de remplacement, qui soient suffisamment puissants et dimensionnés pour prendre le relais durant la phase de reconfiguration d'un nouvel appareil.

Le risque étant que si l'on utilise comme "plan B" un équipement d'une génération plus ancienne, qui n'a pas fonctionné ou été testé depuis longtemps, il peut rapidement se retrouver surchargé, et c'est ce qui semble être arrivé.

Pour quelle raison l'opérateur Orange est-il ciblé depuis hier comme l'origine de cette panne -suscitant un échange au sommet de l'État avec le PDG du réseau-?

C'est principalement car les services de l'État sont, de manière historique, sous contrat avec cet opérateur pour leurs services de téléphonie au sein de leurs services d'urgence (pompiers, samu, etc). Ces derniers sont donc par conséquent ensuite tous liés à un même réseau et équipement.

Cela veut dire que peu importe que l'appel entrant provienne d'un autre opérateur, il transitera nécessairement par le réseau de l'opérateur utilisé par l'Etat, en l'occurrence Orange. C'est également pour cette raison que lorsque durant cette panne, les départements et préfectures ont mis en place des numéros longs et alternatifs dans la soirée d'hier pour chaque territoire, on a pu en bout de ligne contourner l'équipement défaillant.

Comment éviter qu'un tel incident ne se reproduise ?

L'une des bonnes pratiques pour l'État serait de diversifier ses fournisseurs d'accès de téléphonie, afin d'assurer d'avoir une forme de redondance, en passant par exemple un contrat avec au moins deux opérateurs différents sur un même niveau géographique.

Cependant, cette option est plus complexe et plus coûteuse à assurer au sein du système français, qui dépend en réalité d'une organisation dépendant elle-même de chaque département. Alors qu'à l'étranger, la mise en place d'une plateforme nationale permet de faciliter la mise en place de cette redondance, tout en limitant les coûts, puisque le contrat est passé directement avec la plateforme de l'Etat.

Mais sur ces sujets, il ne faut pas oublier que de l'autre côté, ces opérateurs acheminent les appels d'urgence gratuitement pour le compte de l'Etat : quel est l'intérêt pour eux de se positionner sur ce type de contrats, si c'est pour ne rien gagner commercialement et être ensuite cité dans la presse en cas de problème ?

Au final, l'enjeu d'un tel dossier est qu'il dépend d'une décision politique et historique de l'Etat, qui était de conserver des plateformes d'appels d'urgence à l'échelon départemental.

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Commentaires 2
à écrit le 04/06/2021 à 12:10
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Quelques précisions : En France on ne peut appeler le 112 d'un portable qu'avec une carte SIM valide ou pas et pas les autres N° d'urgence (15 /17 /18) . Cela veut dire que peu importe que l'appel entrant provienne d'un autre opérateur, il transiter...

à écrit le 03/06/2021 à 21:11
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Avant les autocoms, les centraux en cuivre c'étaient moins de 1% de panne ,une qualité de son et pratiquement impiratable avec le numérique. Pas de mails chronophages ,les jeunes ne marchaient pas tels des zombies plongés dans leurs écrans,vous aviez...

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