Tempête judiciaire à la Clinique Mutualiste : le pdg du groupe Avec soupçonné de « prise illégale d’intérêts »

Le pdg du groupe francilien Avec (ex-Doctegestio), Bernard Bensaid, avait fait de la reprise d'établissements de santé en difficultés sa spécialité. C'est d'ailleurs la stratégie qui l'avait amenée à racheter le Groupement Hospitalier Mutualiste de Grenoble (GHM) en octobre 2020 aux mains d'Adréa (devenue Aésio) et de la Mutualité Française, malgré l'opposition des salariés et usagers qui craignaient pour la mission de service public du second établissement de santé du bassin. Depuis cette semaine, c'est une tempête judiciaire qui s'abat sur le groupe : à l'issue d'une garde à vue de son pdg survenue lundi, une information judiciaire pour « prise illégale d’intérêts par un chargé de mission de service public » et « détournements de fonds publics » vient d'être ouverte par le parquet de Grenoble.
(Crédits : DR)

Un peu plus de deux ans après son rachat, le Groupement Hospitalier Mutualiste (GHM), que l'on appelle ici « la Mut' », entre dans ce qui pourrait bien devenir une tempête judiciaire.

Car depuis la vente au groupe Avec (ex-Doctegestio) de ce groupement grenoblois créé en 1957 et qui rassemble lui-même trois cliniques (la Clinique Mutualiste des Eaux Claires, la clinique d'Alembert et le Centre Daniel Hollard), une activité dentaire, des laboratoires et les centres de planification des Eaux-Claires et de consultation du Grésivaudan, les représentants des salariés n'avaient pas caché leurs inquiétudes quant au maintien du statut d'établissement de santé privé d'intérêt collectif (Espic), et à la gestion de ses finances.

En juin dernier, une plainte contre X avait même été déposée pour « prise illégale d'intérêts et détournement de fonds » par les syndicats FO et CGT, qui soupçonnaient leur pdg, Bernard Bensaid, de prélever chaque année une part de la trésorerie de leur établissement au profit du groupe Avec, qui compte lui-même 12.000 salariés et 400 établissements. Et c'est précisément cette procédure qui semble avoir franchi un nouveau cap ce lundi, avec la mise en garde à vue (depuis prolongée de 24 heures), du pdg du groupe Avec, Bernard Bensaid, au sein des locaux de la Police Judiciaire de Grenoble.

Le procureur adjoint, François Touret de Courcy, a confirmé mardi à la presse locale que Bernard Bensaid devait être « ramené à Grenoble pour être entendu sur les infractions de prise illégale d'intérêts et détournement de fonds publics », tandis que des perquisitions ont eu lieu à son domicile ainsi qu'au siège du groupe Avec.

Et ce mercredi midi, c'est le parquet de Grenoble qui a ensuite confirmé l'ouverture d'une information judiciaire pour « prise illégale d'intérêts par un chargé de mission de service public » et « détournements de fonds publics », avec le placement du pdg du groupe directement sous contrôle judiciaire assorti « d'une interdiction de gérer et de diriger l'UMH-GHM ou tout établissement de santé privé d'intérêt collectif et tout personne morale de droit public. » Avec à la clé, le versement d'un caution d'un million d'euros, tandis que la société Avec a également été mise en examen pour « recel ».

Cette étape devrait donc permettre la saisine d'un juge d'instruction qui sera ainsi chargé d'enquêter et de rassembler des preuves avant de décider un possible renvoi de l'affaire devant le tribunal compétent.

Une remontée de 2,7 millions d'euros qui a fait réagir

Pour comprendre cette affaire, il faut en réalité remonter quelques mois en arrière : « Cela fait deux ans que nous avions alerté à la fois le ministre de la Santé, de l'époque, l'isérois Olivier Véran, ainsi que la direction régionale de l'ARS sur la situation de l'UMG-GHM. Nous avons même récemment adressé un courrier à Elisabeth Borne », explique à La Tribune Thierry Carron, élu au Conseil social et économique (CSE) de l'établissement et délégué du syndicat majoritaire FO.

Selon lui, la présence d'un conseil d'administration de l'UMG-GHM uniquement composé, depuis octobre 2020, de salariés du groupe Avec et de trois membres de la famille du pdg, Bernard Bensaid, ne serait pas compatible avec la défense des intérêts de la Clinique Mutualiste :

« Cela s'est traduit par le vote de plusieurs mesures à l'avantage du groupe, comme la signature de convention de prestations de services inutile, qui coûte 4 millions d'euros par an au GHM, ainsi que par une convention de prêt de trésorerie de 8 millions d'euros signée en mai dernier au profit de Doctocare, une mutuelle détenue par le groupe Avec. Sur cette somme, seul 1,5 million d'euros ont été remboursés au GHM, alors que la direction prévoyait de reponctionner à nouveau 2,7 millions ce lundi », affiche le représentant syndical.

C'est la raison pour laquelle les salariés avaient d'ailleurs annoncé un large débrayage ce lundi midi qui aura réuni près de 300 personnes, en marge de la tenue annoncée de son conseil d'administration. Mais l'interpellation et le placement en garde à vue de son pdg, Bernard Bensaid depuis ce lundi matin, aura quelque peu changé la donne.

« Nous avons fait un maximum de bruit car une nouvelle ponction de 2,7 millions d'euros risquait de déstabiliser dangereusement les finances de la clinique, qui est déjà touchée en réalité par une forte baisse de son activité depuis la crise sanitaire, en raison du manque d'effectifs soignants », ajoute Thierry Carron, qui se félicite qu'une nouvelle remontée d'argent au sein du groupe n'ait pas pu avoir lieu.

Une cause qui semble avoir retenu l'attention du parquet de Grenoble, qui a évoqué, pour motiver l'ouverture d'une information-judiciaire, deux motifs en particulier, comme le révélaient Le Dauphiné Libéré : « la signature d'une convention de prestation de services entre la société Avec et l'UMG-GHM, ayant généré une facturation de 4,2 millions euros » ainsi que le « détournement de fonds publics, en ayant fait percevoir par la société anonyme Doctegestio, devenue Avec, la somme de 6,4 millions d'euros provenant de l'UMG-GHM, par l'intermédiaire de la mutuelle Doctocare ».

Un dossier qui avait cristallisé les craintes

Du côté du groupe Avec, on s'en tient pour l'heure au communiqué publié, nous répond la direction :

« Suite à la plainte contre X déposée par une organisation syndicale opposée de longue date à la reprise de l'UMG-GHM par le groupe Avec, Bernard Bensaid est entendu ce lundi par la Police Judiciaire à Grenoble. Comme l'a fait le groupe depuis que l'enquête préliminaire a débuté, tous les éléments souhaités seront fournis aux autorités de police afin de démontrer que les accusations contre X  ne sont pas fondées en droit et qu'elles s'inscrivent dans un combat procédurier d'opposition au groupe Avec. »

Contactée, l'ARS Auvergne Rhône-Alpes n'a pas donné suite à nos demandes à ce stade concernant ce dossier.

Pour rappel, l'annonce de la vente du Groupement Hospitalier Mutualiste de Grenoble (GHM) intervenue en septembre 2019 par les mutuelles Adrea et la Mutualité Française  avait déjà suscité l'émoi sur la scène grenobloise durant plusieurs mois.

En premier lieu en raison de la mission de service public, assurée par cet établissement de santé privé d'intérêt collectif (Espic) encore régi par le Code de la Mutualité qui emploie 1.300 salariés. Mais aussi de sa taille, puisqu'il se positionne comme le second établissement de référence sur le bassin grenoblois, avec ses 1.600 naissances et 35.000 passages aux urgences enregistrés en 2019.

Des réactions politiques

Un certain nombre de personnalités politiques, dont le maire de Grenoble Eric Piolle ainsi que le président de la métropole, Christophe Ferrari, avaient fait part de leur inquiétude à l'égard de ce projet de cession et demandé à leur tour des engagements, de la part du groupe Adréa (devenue Aésio) et de l'UMG GHM. La Métropole de Grenoble avait même tenté de préempter l'usage du bâtiment du GHM, à travers un arrêté publié début 2021, en vain.

Et c'était d'ailleurs encore le cas cette semaine puisque ce lundi, l'adjoint à la Santé de la Ville de Grenoble Pierre-André Juven estimait que « face aux comportements de grands groupes mutualistes, n'ayant plus de mutualiste que le nom, et à la menace d'une cession de la clinique mutualiste sans garantie pour la pérennité du service de santé public, nous, élus de terrain exprimons notre inquiétude et soutenons la mobilisation des syndicats et collectifs d'usagers et d'habitants depuis 2020. »

Ce mercredi, le maire de Grenoble Eric Piolle, qui est par ailleurs président du conseil de surveillance du CHU de Grenoble, a réagi lui aussi lors des voeux qu'il adressait à la presse ce mercredi matin :

« Depuis le début, j'ai dit que M. Bensaïd était à la tête d'une organisation qui fonctionne comme une pyramide de Ponzi, un château de cartes... On le voit ici, à Chamrousse, en Bretagne, un peu partout en France. Le risque était que la clinique mutualiste qui est le plus gros de ses achats, soit le coup de trop pour lui ».

L'élu écologiste interpelle le gouvernement afin qu'une solution soit trouvée pour que « cet acteur majeur de la santé reste dans le giron public ». Et d'ajouter : « On ne peut pas laisser se développer la santé-business ».

A l'époque, plusieurs dossiers de reprise avaient été soumis, dont l'un sous la forme d'une société coopérative (SCIC) par un collectif de salariés et habitants du quartier, et un second piloté par le CHU de Grenoble lui-même, déjà partenaire de l'établissement dans le cadre de l'organisation des services d'urgence à l'échelle du territoire, et qui s'était associé à l'AGDUC, une structure associative spécialisée dans la prise en charge de l'insuffisance rénale chronique.

Mais c'était finalement le groupe Avec (ex-Doctegestio), conduit par l'homme d'affaires Bernard Bensaid et spécialisé dans la reprise d'établissements de santé en difficulté, qui avait remporté la mise lors du vote du conseil d'administration de l'UMG-GHM. Avec à la clé, un groupement dont les pertes s'élevaient, à l'époque de sa reprise, à 17 millions d'euros pour un chiffre d'affaires annuel de 130 millions d'euros.

(publié le 11/01/2022 à 16:00, actualisé le 12/02/2022 à 15:21)

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