Navettes autonomes : nouvel avis de tempête chez Navya avec la démission de Sophie Desormière

DECRYPTAGE. Le spécialiste des solutions de navigation pour les véhicules autonomes connaît un nouveau revers : après une fin d'année marquée par l'annulation, à la dernière minute, d'une nouvelle ligne de financement, c'est sa présidente du directoire, nommée en janvier dernier, qui vient de démissionner avec une date d'effet "immédiate" au 31 décembre. Un nouveau changement de gouvernance qui est loin d'être le premier pour le lyonnais, qui planche depuis 2014 sur le complexe marché de la voiture autonome.
(Crédits : DR/Navya)

C'est une nouvelle saga dont le lyonnais Navya se serait probablement bien passé, et qui confirme une histoire toujours mouvementée. Ce vendredi 31 décembre, le spécialiste des solutions de navigation autonome a annoncé, sans préambule, la démission de sa présidente du directoire, Sophie Desormière, presque un an jour pour jour après son arrivée, le 5 janvier dernier.

Sa nomination devait entre autres servir à assoir la stratégie d'industrialisation des solutions de navigation autonomes du lyonnais, développées depuis 2014 sans que le marché ne soit encore parvenu à décoller, tout en venant clôturer une histoire déjà marquée par le remplacement de trois anciens présidents.

Le fondateur historique du groupe, Christophe Sapet, avait en effet été remplacé une première fois par Etienne Hermite en 2019, avant que celui-ci ne soit évincé deux ans plus tard à l'été 2021, à la faveur de Pierre Lahutte, jusqu'ici Chief Strategy and Development Officer, qui s'était vu confier trois nouvelles missions additionnelles (dont la présidence du directoire par intérim pour un semestre), avant l'arrivée de Sophie Desormières début 2022.

Mais le pari aura finalement été avorté, près d'un an après la prise en main de celle qui avait occupé différents postes à la direction marketing de l'équipementier Valeo et du chimiste Solvay, et dont le départ prend effet « immédiatement » le 31 décembre 2022.

La présidente du directoire sera cette fois remplacée par le directeur financier et vice-président opérationnel Pierre Guibert, ainsi que le directeur de la R&D et des technologies, Olivier Le Cornec, sans plus de précisions cependant à ce stade concernant la durée de leur mandat et la recherche d'un potentiel remplaçant.

A deux semaines d'un incident majeur de communication

Un épisode qui pourrait être vu comme une nouvelle crise de gouvernance, tout en s'inscrivant au sein d'une période doublement critique pour le groupe : avec d'une part, une feuille de route qui souhaitait se tourner vers l'industrialisation des solutions de navigation autonomes et notamment de voir se transformer ses programmes expérimentaux en commandes fermes.

Mais cet épisode intervient aussi moins de deux semaines après un incident de communication majeur, ayant impliqué l'annonce d'une nouvelle ligne de financement finalement avortée et qui avait fait grand bruit sur les marchés financiers, à l'approche des vacances de Noël.

En effet, le 12 décembre dernier, Navya publiait, par l'entremise de son agence de presse, un communiqué annonçant la finalisation d'une nouvelle ligne de financement de 30 millions d'euros auprès de la société d'investissement Eshaq Investment Company W.L.L, basée au Royaume de Bahrain. Elle évoquait notamment un « contrat de prêt, régi par le droit français, est conclu pour une durée de 10 ans au taux de 3% par an. Les intérêts sont payables annuellement à compter de la deuxième année du prêt et le principal est remboursable in fine. »

Avec l'objectif clairement affiché « d'équilibrer sa structure financière et de disposer de liquidités lui permettant de financer son passage à l'échelle. »

Un rétropédalage remarqué

Une nouvelle, qui avait dans un premier temps eu pour effet de faire bondir l'action de l'entreprise de +140% le jour même sur les marchés financiers. Sauf que trois jours plus tard, le 15 décembre, Navya indiquait finalement avoir demandé entre temps la suspension de son action en Bourse, indiquant que ce document confidentiel « n'aurait dû être publié qu'à la conclusion d'un projet de financement de 30 millions d'euros » et l'avait donc été à « l'encontre de [ses] directives expresses  » par son agence de communication externe.

Depuis, l'agence de presse n'a pas fait de commentaires (mais indique ne plus représenter l'équipe financière de Navya) tandis que la société a elle-même rétropédalé en affirmant que les investigations menées « ont abouti à la conclusion que les conditions de mise en place de ce projet de financement relevaient d'une tentative d'escroquerie car elles ne sont notamment pas conformes aux règles fiscales internationales. »

Et d'ajouter : « Dans ce contexte, Navya a mis fin à ce projet de financement de 30 millions d'euros et n'a subi aucun impact sur ses comptes. » La société a par ailleurs annoncé qu'elle engagera « toutes les actions judiciaires nécessaires et appropriées, » sans préciser lesquelles à ce stade.

Enfin, Navya annonçait le 19 décembre dernier que son assemblée générale extraordinaire avait pris la décision de procéder à « une réduction de capital motivée par des pertes », qui vise à « réduire ainsi la valeur nominale de chaque action de 0,1 euro à 0,001 euro », afin de permettre à la société de« respecter l'une des conditions de tirage des OCABSA relative au cours de l'action de la Société qui ne doit pas être inférieur à 130% de la valeur nominale des actions pendant une période de vingt (20) jours de bourse consécutifs. »

Avec un capital qui avait perdu 96% de sa valeur sur un an en 2022, Navya (côtée en Bourse depuis juillet 2018) reste détenue majoritairement par le fonds d'investissement de Dubaï Negma Group Investment Ltd, mais également par les groupes Valeo (8,99%) et Keolis, le coréen Apam Corporation, le fonds espagnol Andbank Wealth Management SGIIC SAU et la société Navya SA.

De nouvelles questions en suspens

Ce sont donc de nouvelles questions qui s'ouvrent, en ce début d'année 2023, face au lyonnais qui peine toujours à transformer l'essai, notamment en France, sur le marché des solutions de navigation autonomes.

Avec 280 collaborateurs en France (Paris et Lyon), aux États-Unis (Michigan) et à Singapour et un chiffre d'affaires de 10,2 millions d'euros enregistré en février 2022 lors de son dernier exercice (soit -5% par rapport à l'année précédente), Navya se heurte depuis sa création en 2014 aux défis du passage à l'échelle du marché de la mobilité autonome et de sa réglementation, qui s'était traduite par un resserrement de ses objectifs d'un niveau d'autonomie dit de niveau 5 (permettant l'opération d'un véhicule sans conducteur avec autonomie complète) à 4 (comprenant un système de supervision externe).

Depuis son lancement, le lyonnais a mis sur pied différents programmes expérimentaux comme ceux réalisés avec le centre de tir de Châteauroux, et commercialisé au total près de de 200 unités de sa navette autonom shuttle, dédiée au transport de passagers, au sein de 25 pays.

Pas plus tard qu'en octobre dernier, sa présidente du directoire confiait à La Tribune les freins qui demeuraient au passage à l'échelle d'une telle technologie en France, malgré une évolution de la réglementation européenne engagée depuis l'été dernier, visant à autoriser la circulation de véhicules sur routes ouvertes, sans opérateur à bord (dite de niveau 4). « Le marché émerge plus vite en dehors de nos frontières, tout d'abord parce que, sur le sujet des villes du futur, les infrastructures se construisent directement autour de la mobilité autonome. (...) Mais il s'agit aussi d'une question de culture. »

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