Montagne : comment Poma veut décarboner ses remontées mécaniques

A un mois de l'ouverture de la saison d'hiver, la question de la consommation énergétique des stations, et notamment des remontées mécaniques, demeure au centre des préoccupations. Arrivé en juin dernier à la présidence de l'isérois Poma, Fabien Felli sait déjà qu’il aura sa pierre à apporter à l’édifice afin d'aider le secteur de la montagne à réduire son empreinte énergétique à court, comme à long terme. Car l'enjeu ne sera pas seulement sur cet hiver, mais aussi sur l'horizon plus large des trente prochaines décennies.
Eco-conception, logiciels de pilotage, nouveaux matériaux (béton bas carbone, acier recyclé) mais aussi développement du photovoltaïque : toutes les pistes sont aujourd'hui étudiées par le constructeur Poma pour verdir les installations des trente prochaines décennies.
Eco-conception, logiciels de pilotage, nouveaux matériaux (béton bas carbone, acier recyclé) mais aussi développement du photovoltaïque : toutes les pistes sont aujourd'hui étudiées par le constructeur Poma pour "verdir" les installations des trente prochaines décennies. (Crédits : DR)

(publié le 7/11/2022, actualisé le 8/11/2022 à 14:20)

Son expérience au sein de grandes sociétés de l'aéronautique et de la défense comme Matra, Thales, et EADS pourrait lui servir, notamment sur le plan de la gestion des process industriels. A 47 ans, Fabien Felli est le nouveau président de la société Poma, qui succède, après avoir occupé plusieurs fonctions en interne (de la direction export à la direction commerciale), à Jean Souchal.

Et déjà, le dossier de la sobriété est plus que jamais sur la table : car même si Fabien Felli avance que l'industrie de la montagne n'a pas attendu les prises de position du gouvernement français pour s'intéresser à la réduction de ses consommations, avec une filière « déjà très portée sur son impact environnemental », le fabricant isérois de télécabines pour les remontées mécaniques comme pour le monde de l'urbain sait déjà qu'il devra lui aussi faire partie de la solution.

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Avec un objectif de neutralité carbone de l'industrie de la montagne fixée à 2050, et des éco-engagements pris par la filière des remontées mécaniques pour réduire la consommation de la filière de 10% d'ici les deux prochaines années, Poma travaille lui aussi à accélérer sa stratégie de décarbonation de ses propres produits.

Avec un focus tout particulier mis à la gestion du cycle de vie de ses télécabines, « dont la majorité de l'empreinte carbone est attribuable à son fonctionnement sur les 20 à 30 prochaines années ».

« Nous travaillons bien entendu sur la conception, l'approvisionnement et l'empreinte carbone du chantier, mais le principal levier que nous avons est de travailler sur l'ensemble du cycle de vie du produit, le retrait et le remplacement des pièces détachées, etc », précise Fabien Felli.

Acte 1 :  améliorer la gestion des infrastructures existantes

Poma a commencé par travailler sur son bilan carbone, de manière à être en mesure de donner à ses clients des données plus précises sur l'empreinte carbone d'un projet, allant de la conception à sa livraison finale.

« C'était encore peu le cas il y a quelques années, mais on constate que les exploitants français y sont de plus en plus sensibilisés. Les acteurs de la neige se positionnent déjà dans une logique de respect de l'environnement, en choisissant par exemple lorsqu'ils remplacent des appareils, la solution la plus adaptée en termes de réduction des pylônes, de la consommation énergétique, de bruit », concède le président du directoire.

Et selon lui, il est d'ores et déjà « évident qu'à terme, l'empreinte carbone rentrera dans les critères d'appels d'offres lors du renouvellement des équipements en stations. Le marché nous attend justement une solution technologique d'écoconception qui réponde aux enjeux actuels en termes d'empreinte et de consommation ».

Avec, pour commencer, certaines pistes de réduction déjà ouvertes par les équipements actuels : « La réduction de la vitesse en fonction de la file d'attente est déjà quelque chose qui se fait sur le terrain, et les exploitants y feront encore davantage appel cette année, étant donné qu'il existe une contrainte d'optimisation et de réduction énergétique. Mais technologiquement parlant, on essaie aussi de les accompagner encore plus loin ».

C'est notamment le cas avec le développement d'un logiciel d'aide à la décision, Eco Drive, développé par Poma et qui vise à fournir un système d'aide à la prise de décision, avec une proposition d'adaptation de la vitesse d'un appareil en fonction de sa charge.

« Nous sommes déjà en discussions avec un certain nombre de clients pour l'adapter sur leurs systèmes existants. Nous prévoyons aussi de pouvoir l'inclure dans tous nos appareils qui seront livrés cette année », affiche Fabien Felli.

Acte 2 : innover sur le plan des matériaux

Poma compte également sur un système de motorisation à entraînement direct sans engrenage, le direct drive, pour proposer un gain énergétique ainsi qu'un besoin en maintenance réduit.

« Le direct drive existe depuis déjà un nombre d'années mais c'est un élément qui est devenu aujourd'hui quasiment la norme, puisque près de 90% des projets sont aujourd'hui livrés avec ce type de motorisation », confirme Fabien Felli.

Poma a déjà commencé par rassembler l'ensemble des produits allant dans le sens de la sobriété au sein d'une offre baptisée LIFE (Low Impact For Environnement). Cette gamme comprend également le lancement d'un nouveau modèle de gare, dont l'architecture elle-même a été dessinée pour réduire le plus possible l'utilisation de matières premières.

« Nous avons également lancé une nouvelle génération de bandages (pièces faisant la liaison entre le câble et la poulie, ndlr) co-développés avec Michelin, afin d'offrir à la fois de meilleures performances et une durée de vie plus longue, avec un frottement amélioré qui permet aussi de réduire de 6 à 8% la consommation énergétique, tout en intégrant une filière de recyclage », assure-t-il.

Un partenariat avait en effet été annoncé lors du dernier salon Mountain Planet (dédié à l'aménagement de la montagne) entre les deux équipementiers et promettait déjà des pistes d'innovation en R&D qui n'avaient pas attendu la crise énergétique pour se mettre en musique.

Le fabricant isérois planche en parallèle sur l'usage de nouveaux matériaux, comme l'acier recyclé ou le béton bas carbone, en partenariat avec son voisin, le cimentier isérois Vicat, en plus de matières plus traditionnelles comme l'aluminium (pour ses cabines) ou du polycarbonate (pour les structures de ses pylônes).

« Aujourd'hui, le béton bas carbone ne répond pas encore toujours aux contraintes techniques d'une installation de télécabines, que ce soit en raison de sa performance ou des contraintes de températures du milieu de la neige. Mais nous regardons les configurations les plus adaptées afin de voir si cette solution est envisageable d'ici 2 à 3 ans ».

Avec du côté de l'acier recyclé, moins de contraintes technologiques mais une filière qui demeure très tendue, compte-tenu des conséquences de la guerre en Ukraine sur les approvisionnements mondiaux et qui pâtit encore d'une moindre implantation en Europe. « Cependant, la performance entre un acier recyclé et un acier standard demeure la même pour notre industrie », assure Fabien Felli.

Acte 3 : la voie de l'autoconsommation

« Aujourd'hui, la tension en matière d'approvisionnements se situe à tous les niveaux, que ce soit dans les aciers mais aussi les polycarbonates, ou sur le terrain des composants électriques. On ne se rend pas compte à quel point ces composants sont eux aussi importants pour notre filière, afin de gérer les automatismes et équipements électriques des cabines », reprend cependant le président du directoire de Poma.

Le tout, sur un marché de la montagne « où les délais de réalisation pour le marché de la neige peuvent être très courts, souvent proches de six mois, et c'est là tout le challenge de notre industrie alors que l'approvisionnement en matières premières s'étale en général sur douze à quatorze mois ».

Le fabricant travaille également sur un autre levier possible : celui de l'autoconsommation énergétique, avec l'essor du photovoltaïque sur les gares et les toits des télécabines en montagne, où le rendement des panneaux solaires s'avère maximisé par la réverbération de la lumière sur la neige.

« Nous équipons déjà depuis quelques années de panneaux photovoltaïques les gares, mais on voit que cela va devenir quasiment un équipement standard. On a désormais des films qui épousent la courbure de la gare et qui permettent d'alimenter une grande partie des besoins intrinsèques du fonctionnement de la gare, que ce soit en termes de lumière, de chauffage ou d'éclairage... »

Même si, sans surprise, ce type d'installation ne permet pas aux remontées mécaniques d'être complètement autonomes en énergie... « L'idée est d'abord de constituer une source d'énergie complémentaire qui peut s'associer, dans le cas de certains appareils, à des systèmes de récupération de l'énergie à la descente par exemple », avance Fabien Felli, qui précise que sur le toit des télécabines également, l'installation de panneaux solaires peut ainsi alimenter des caméras ou des systèmes d'éclairage.

Des systèmes qui représentent encore des surcoûts (non communiqués) sur la facture d'un projet global, mais qui tendent désormais à devenir des standards, dans un contexte où chaque KwH d'énergie produite devient stratégique pour les stations et leurs exploitants.

« Une grande partie de ces pistes sont en réalité déjà fonctionnement chez nos clients ou sont inclues au sein de nos nouveaux produits. Nous devons être dans de l'innovation permanente et incrémentale aujourd'hui : on ne va pas s'arrêter d'ici deux ans, une fois que les objectifs seront atteints. Nous regardons déjà comment améliorer notre empreinte carbone d'ici 2030 puis d'ici 2050, avec l'objectif d'une neutralité carbone avec compensation », conclut Fabien Felli.

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Commentaires 2
à écrit le 07/11/2022 à 14:02
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Comme souvent ce patron noie le poisson avec les ordres de grandeurs. 95% de la consommation électrique d'une remontée ce sont le(s) moteur(s). Des panneaux solaires pourquoi pas mais l'impact est extrêmement faible. Un levier bien plus puissant se t...

à écrit le 07/11/2022 à 13:41
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Les soucis risquent plutôt de venir du manque de neige et de froid. Plutôt que d'envisager la montagne autrement, la fuite en avant continue avec créations de retenues collinaires pour faire de la "neige artificielle"! à grand renforts de consommatio...

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