Skier moins tard, se déplacer moins vite, développer les ENR : "toutes les pistes sont étudiées" par les stations (2/3)

DOSSIER. Alors que le sujet de la sobriété énergétique occupe le devant de la scène, les stations de ski des Alpes, planchent déjà, à trois mois de l'ouverture de la saison d'hiver, sur la manière d'atteindre les cibles de réduction de 10% fixées par le gouvernement. Face au spectre des coupures et du délestage brandi par Elisabeth Borne, elles répondent par une première liste de mesures, applicables dès cet hiver. Si la profession n'est pas inquiète à ce stade, elle avance cependant en ordre dispersé, en faisant valoir les spécificités de chaque massif.
Ralentissement de la vitesse des équipements et télésièges, fermeture anticipée des domaines skiables, développement des énergies renouvelables, test de drones pour mesurer la hauteur du manteau neigeux... Les fortes tensions dans le domaine de l'énergie et le spectre du délestage encouragent les stations de ski à imaginer différents scénarios pour cet hiver.
Ralentissement de la vitesse des équipements et télésièges, fermeture anticipée des domaines skiables, développement des énergies renouvelables, test de drones pour mesurer la hauteur du manteau neigeux... Les fortes tensions dans le domaine de l'énergie et le spectre du délestage encouragent les stations de ski à imaginer différents scénarios pour cet hiver. (Crédits : DR/Alternative média)

Pour le président de Domaines Skiables de France, qui fédère 396 adhérents à l'échelle nationale, la nouvelle n'est pas une surprise : "Nous n'avions pas attendu cette année pour travailler sur la réduction de nos consommations, cela fait partie des 16 éco-engagements auxquels on se préparait déjà depuis deux ans. Cela montre que nous ne nous étions pas trompés. Avec derrière, un autre objectif qui est celui de la neutralité carbone que nous nous étions fixés à partir de la prochaine décennie, car il prendra technologiquement plus de temps", assure Alexandre Maulin.

Ce document de travail, dévoilé en octobre 2020, pourrait donc constituer une première base sur laquelle les stations de ski françaises et notamment ses exploitants, pourront s'appuyer dès cet hiver pour atteindre, comme pour l'ensemble du tissu des entreprises françaises, la cible d'une réduction de 10% de leurs consommations. "Nous sommes au travail et il nous a été demandé par Bercy d'envoyer nos pistes de réflexions à l'échelle de la profession".

Lire aussi Sobriété énergétique. « Economiser ne fera pas tout » : les communes de montagne alertent Bercy sur les risques de l'hiver (1/3)

David Ponson, directeur division montagne et activités outdoor à la Compagnie des Alpes se montre lui aussi confiant, à trois mois du coup d'envoi de la saison d'hiver, que ce soit par les cibles ou par les possibles délestages possiblement évoqués cet hiver.

"Le grand public n'est pas au courant, mais des délestages sont déjà réalisés tous les ans, mais sur de courtes durées. Ils sont complètement pilotés en collaboration avec RTE et Enedis". David Ponson ne nourrit donc pas de réelles craintes pour cet hiver, "d'autant plus que le délai de prévenance sera de deux jours, et sur des créneaux d'une durée de deux heures".

"Nous avons également eu connaissance de la cartographie des zones de déséquilibres jugées les plus tendues établie par Enedis et RTE, et la probabilité sur les secteurs que nous exploitons est très faible", assure le directeur des opérations de la Compagnie des Alpes.

Une volatilité des prix incitiative

Côté coûts, bien que la volatilité des prix d l'énergie est connue de tous, elle ne produit pas nécessairement le même effet d'urgence partout : la filiale côtée de la Caisse des Dépôts par exemple est elle-même désormais couverte par un contrat de deux ans avec le fournisseur Alpiq, aussi bien sur ses domaines skiables que ses parcs de loisirs, qui lui garantit les prix comme la fourniture de son électricité.

C'est donc relativement sereine que la Compagnie des Alpes se lance elle aussi la bataille de la réduction de ses consommations. "La période actuelle aura permis de faire de la pédagogie et de susciter une prise de conscience car il n'a jamais été plus aisé que de constater les effets du changement climatique", juge David Ponson.

Si le président de DSF estime lui aussi que le contexte va encourager les bonnes pratiques à se multiplier au cours des prochaines semaines, "cela devra être fait en fonction des spécificités présentes sur chaque territoire", nuance-t-il. "Il n'existe pas deux domaines skiables identiques, les solutions qui pourraient convenir à l'un, sans pénaliser l'expérience client, devront donc se faire en fonction des réflexions locales".

Une façon de dire que chaque exploitant de domaine skiable (qui se voit confier de la part des communes l'exploitation des remontées mécaniques, sous la forme d'une délégation de service public selon la Loi montagne), demeurera aux manettes de sa propre stratégie cet hiver, certaines pistes semblent déjà faire l'unanimité ou presque.

"Il existe déjà des pistes, comme la formation à l'éco-conduite des conducteurs de remontées mécaniques, visant à faire varier la vitesse des remontées pour réduire leur consommation, ainsi que celles des engins de damage", confirme Alexandre Maulin, qui estime que l'on peut déjà aller chercher des économies de consommation entre 5 et 10% avec l'optimisation de la vitesse des télésièges.

"Dans le domaine de la production de neige de culture, il est possible d'équiper les dameuses de GPS afin de réduire et affiner la production de neige nécessaire, mais également de consommer moins de gasoil", ajoute le président de DSF.

Des pistes à décliner, territoire par territoire

Ensuite, se déclineront des mesures plus précises, territoire par territoire : "aux Sybelles (Maurienne), nous avons par exemple plutôt choisi un outil d'adaptation automatique de la vitesse de nos télésiège en fonction de la fréquentation", cite en exemple Alexandre Maulin. Certaines stations comme Val d'Isère ont déjà avancé la possibilité que l'ouverture de certaines remontées en doublons puisse devenir conditionnée, cet hiver, à l'affluence.

"Cela fait partie de nos pistes de réflexions, mais on voit bien que l'on ne pourra pas demander ce type de mesures à de plus petites stations qui n'auraient qu'un téléski, c'est donc la force collective de la profession qui doit également jouer", reprend Alexandre Maulin.

"Après le Covid, les enjeux énergétiques nous montrent que c'est l'ensemble du modèle de la montagne qui doit changer et s'adapter. Pour cela, nous devons agir non seulement sur des postes comme les remontées mécaniques, mais aussi sur la mobilité. Car à l'échelle d'une séjour, les remontées mécaniques ne pèsent au final que 2% de la facture énergétique", résume pour sa part le maire de Bourg-Saint-Maurice/Les Arcs, Guillaume Desrues, arrivé à la tête de la commune en 2020 sous une liste citoyenne.

L'élu a déjà balisé différents scénarios : en plus d'étudier une réduction du chauffage à 19 degrés, la collectivité étudie par exemple des mesures comme l'abaissement de la température des équipements à vocation touristique comme piscines.

Côté remontées mécaniques, les Arcs planchent également sur une fermeture anticipée des domaines skiables à 16 heures au lieu de 17 heures, qui, associée à des mesures de ralentissement de ses télésièges, pourraient lui permettre de rencontrer plus rapidement la cible de réduction de 10% de ses consommations. Une baisse de la production de neige de culture de l'ordre de 10% est aussi sur la table.

"Nous nous gardons également la possibilité de suspendre le ski nocturne", affiche Guillaume Desrues, qui estime que l'ensemble de ces mesures ne se traduiront pas forcément par des impacts sur l'affluence attendue : "la montagne nous a déjà démontré qu'elle savait rebondir. Je ne m'inquiète pas sur le fait que nos destinations puissent rester attractives".

Serre-Chevalier, le modèle à suivre pour la Compagnie des Alpes

A l'échelle de la Compagnie des Alpes, le plus grand exploitant français qui gère déjà 10 des plus grands domaines skiables (La Plagne, Les Arcs, Tignes, Val d'Isère, Méribel, Les Menuires, Serre Chevalier, Grand Massif...), tous les regards sont tournés vers la station de Serre-Chevalier, dans les Hautes-Alpes.

Car c'est elle qui, depuis 2016, a développé une politique avant-gardiste dans le domaine des énergies renouvelables : avec 3 à 4 millions d'euros d'investissements (assumés en propre par la CDA et avec une aide de la Région Sud), Serre-Chevalier est devenu le premier domaine skiable au monde à produire sa propre électricité en combinant trois énergies renouvelables (hydroélectricité, photovoltaïque et micro-éolien).

La station atteindra bientôt 30% d'autoproduction de sa consommation électrique. Un avantage de taille à l'heure où les prix de l'énergie se sont envolés : "Notre première motivation n'était pas économique mais environnemental, mais il est certain que les stations qui n'y avaient pas songé vont être incitées à embrayer, ne serait-ce que compte-tenu des prix de l'énergie", reconnaît Patrick Arnaud, le directeur général de Serre Chevalier Vallée.

Au cours des deux dernières années, la station aura d'ailleurs vu défiler plusieurs confrères, venus s'informer des pistes testées sur place. Car les 30% auto-consommés permettent à la station de réduire son exposition aux fluctuations des prix de l'énergie, avec déjà, de premiers enseignements.

"Le retour sur expérience montre que l'éolien n'est pas le plus intéressant, compte-tenu de l'investissement nécessaire et du volume d'énergie produite, sans compter l'acceptabilité qui est bonne lorsqu'on pose 2 ou 3 éoliennes, mais deviendrait certainement différente si l'on devait en installer 40 pour massifier la production".

Par contre, c'est du côté du solaire, qui offre un très bon rendement en montagne (et peut être installé en toiture ou sous forme de plexiglas sur les gares des télésièges), mais aussi de l'hydraulique, plus long à mettre en place administrativement, mais en cours déploiement sur un second site relié à un torrent, que les pistes semblent les plus prometteuses selon Serre-Chevalier.

L'accélération du plan environnemental de la CDA

De premiers retours qui vont permettre à sa maison-mère, la Compagnie des Alpes, d'accélérer à son tour. Après avoir présenté l'an dernier son nouveau plan stratégique, qui annonçait déjà l'objectif d'atteindre le net zéro carbone d'ici 2030, le groupe qui chapeaute l'exploitation de 10 domaines skiables va lui aussi devoir appuyer ses ambitions, et notamment ses programmes expérimentaux, qui pourraient ouvrir demain la voie à une généralisation à l'ensemble des domaines du groupe.

C'est par exemple le cas du passage au carburant HVO (huiles végétales recyclées) de l'ensemble de ses dameuses dès cet hiver, afin de remplacer le gasoil et de réduire de 80% ses émissions de CO2 et de 60% de particuliers fines. Ou de la poursuite d'un co-développement d'une dameuse électrique, dont le nouveau prototype sera expérimenté pour la seconde année consécutive sur les pistes de la station de La Plagne, en collaboration avec la fabricant savoyard CM Dupont.

"La première phase de cette expérimentation a été très concluante et nous permet même de dire que l'appareil est capable de régénérer jusqu'à 30% de son autonome en descente, ce qui était une bonne surprise", avance David Ponson.

Côté neige de culture, la Compagnie des Alpes s'apprête également à tester un drone équipé d'un lidar à Serre-Chevalier qui lui permettra de mesurer automatiquement la hauteur de neige sur l'ensemble de ses pistes cet hiver "afin de produire uniquement la neige nécessaire, au bon endroit", et qu'elle appelle désormais "la juste neige".

Pour David Ponson, les cibles fixées par Elisabeth Borne vont en premier lieu se traduire par la poursuite d'un plan d'optimisation de la consommation électrique déjà engagé depuis une décennie par le groupe, et par une accélération de sa stratégie de net zéro carbone d'ici 2030.

"Nous allons continuer à travailler sur l'optimisation de nos processus, en utilisant notamment toutes les possibilités de variations de vitesse et de puissance permises par nos équipements, et notamment les pompes, les moteurs et les compresseurs, et nous allons compléter ces actions par le fait d'essayer de devenir nous-même auto-producteurs d'énergie, avec une campagne d'installation d'énergies photovoltaïque et hydroélectrique", annonce-t-il.

Tandis que dans le domaine des énergies renouvelables, un plan accéléré se profile avec l'équipement, déjà effectif, en photovoltaïque des stations des Menuires, des Arcs, de la Plagne et de Serre-Chevalier, qui représentent déjà quelques dizaines à centaines de MWh installés, ainsi que des projets hydrauliques en cours de déploiement à Serre-Chevalier, aux Arcs et à Tignes.

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Commentaire 1
à écrit le 07/09/2022 à 7:21
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le sujet peut aussi être abordé sous un autre angle: les stations ont été construites par l'état puis on a privatisé les profits. Nombres de stations n'ont pas assez investi et maintenant que l'énergie coûte plus chere on pénalise le consommateur. A ...

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