Reblochon : la bataille de certains éleveurs laitiers pour l’autorisation des robots de traite

Une vingtaine d’éleveurs de Savoie se mobilisent pour réclamer une modification du cahier des charges de l’AOP Reblochon. Trop restrictif à leur goût, celui-ci empêcherait une utilisation optimale des robots de traite. La question divise la filière. Le syndicat interprofessionnel du Reblochon, qui représente les 600 éleveurs, ne souhaite pas intervenir en ce sens auprès de l’Institut National de l’Origine et de la Qualité.
34 millions de Reblochon sont vendus chaque année en France.
34 millions de Reblochon sont vendus chaque année en France. (Crédits : Syndicat interprofessionnel du Reblochon)

Le cahier des charges actuel de l'Appellation d'Origine Protégée (AOP) Reblochon est clair quant au sujet de la traite : les robots sont autorisés dans la mesure où le règlement s'appliquant à tous est respecté. À savoir, deux périodes de traite quotidienne dans la journée, de quatre heures chacune, entre lesquelles une interruption de huit heures doit absolument être observée.

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C'est ce point, précisément, que conteste depuis une dizaine d'années le Syndicat professionnel des producteurs de lait AOP (Syprol). Deux de ses adhérents se retrouveront au Tribunal administratif de Grenoble le mois prochain afin de dénoncer l'avis défavorable de l'organisme de certification Certipaq, en charge du contrôle du respect du cahier des charges de l'AOP Reblochon. Une énième procédure dans une série de litiges opposant depuis une décennie l'organisme de certification et certaines exploitations agricoles ayant fait le choix du robot de traite. Litiges qui ont déjà mené à l'éviction de sept exploitations, auxquelles pourraient s'ajouter les deux fermes qui passeront devant le tribunal dans quelques semaines.

Des robots qui favoriseraient les nouveaux modes de vie des agriculteurs

C'est en 2012 que tout commence, lorsque le cahier des charges de l'AOP a été modifié pour introduire des modalités de traite jugées trop restrictives par le Syprol. Celui-ci s'était alors créé pour formaliser son désaccord avec le SIR, le syndicat interprofessionnel du Reblochon. Seul ce dernier pourrait être entendu par l'INAO, Institut National de l'Origine et de la Qualité, pour solliciter un assouplissement du cahier des charges.

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Le Syprol affiche aujourd'hui une vingtaine d'agriculteurs adhérents, produisant environ 15 millions de litres de lait chaque année pour le Reblochon. Loin de représenter la majorité des 620 exploitations de la zone AOP (montagnes de la Haute-Savoie et Val d'Arly en Savoie) qui en produisent 120 millions de litres, pour créer 34 millions de Reblochon par an. Auxquels s'ajoutent 200 exploitations dédiées au Reblochon fermier (transformation directement après la traite, avant qu'il n'ait le temps de refroidir).

Pour autant, le Syprol revendique mener un combat d'intérêt général pour la pérennité des exploitations laitière de la zone et le bien-être animal. Mais de quoi parle-t-on exactement ? Le robot de traite est un système automatisé de traite par lequel la vache se rend seule sur l'automate, quand elle le souhaite, et sans intervention de l'agriculteur.

« Ces robots nécessitent des investissements non négligeables pour des exploitations de la taille de celles qu'on trouve sur la zone AOP, mais ils représentent une avancée majeure pour le bien-être animal puisque la vache peut aller à la traite quand elle le souhaite, puis repartir au pâturage », explique Vincent Morand, président du Syprol et éleveur laitier à la tête d'une exploitation d'une soixantaine de vaches.

Pour sa part, il est toujours agréé pour l'AOP Reblochon, mais explique avoir subi plusieurs contrôles dernièrement et se dit sur la sellette.

« C'est aussi une amélioration importante de nos conditions de travail : le robot de traite permet de dégager du temps pour faire autre chose et donc à la profession d'être plus attractive pour de jeunes éleveurs ».

Et d'affirmer : « Les contraintes imposées par le cahier des charges sont incompatibles avec les robots et leur enlèvent tout leur intérêt. On doit contraindre les vaches dans des périodes horaires, ce qui est l'exact opposé de la philosophie du robot. Techniquement, les paramétrages à l'échelle d'un troupeau sont difficiles à mettre en place ».

« Aucun impact sur la qualité du lait »

S'appuyant sur une étude suisse réalisée il y a deux ans sur le Vacherin fribourgeois et qui avait conclu à l'absence d'impact de l'utilisation du robot tant sur les qualités organoleptiques du lait, que sur ses qualité bactériologiques, le Syprol demande la suppression pure et simple des conditions de traite du cahier des charges de l'AOP Reblochon. Le syndicat en appelle au Syndicat Interprofessionnel du Reblochon et a écrit à l'INAO, ainsi qu'au ministre de l'Agriculture, Marc Fesneau. Le Syprol avance par ailleurs qu'aucune autre AOP, hormis le comté, n'entrave l'utilisation des robots.

Mais la route risque d'être longue car le SIR ne semble pas l'entendre de cette oreille, même si sa présidente, Marie-Louise Donzel, prône l'apaisement.

« Nous avons entendu la demande de ces éleveurs. Nous savons que des jeunes agriculteurs veulent utiliser le robot de traite, qui peut correspondre aux nouveaux modes de vie auxquels aspirent les nouvelles générations. Nous avons d'ailleurs essayé de négocier depuis un an pour trouver un accord sur un assouplissement mais je crois que nous ne nous sommes pas compris. Et je regrette que cela se termine au Tribunal, je ne veux perdre aucun de mes éleveurs », explique la présidente du SIR, par ailleurs gérante du GAEC la Ferme des Corbassières et conseillère départementale de Haute-Savoie.

Ce combat est mené alors que la consommation de Reblochon n'est pour l'instant pas impactée par la baisse générale de consommation touchant l'ensemble de la filière fromage (-3,3% en 2022 par rapport à 2022).

Reprendre le dialogue

Malgré sa volonté affichée d'apaisement, la présidente explique toutefois qu'il n'est pas question, comme le demande le Syprol, de supprimer toutes les conditions liées à la traite dans le cahier des charges.

« C'est une question d'égalité entre les éleveurs et une question de pâturage, qui, elle, est très importante pour la qualité du lait. Notre filière se porte très bien, notre qualité est reconnue par les consommateurs. Ne scions pas la branche sur laquelle nous sommes assis. Les robots sont parfaitement conciliables avec notre cahier des charges : la preuve en est que sur une trentaine d'exploitations équipées, seulement sept ont été exclues. Mais après les prochaines étapes juridiques, nous allons reprendre le dialogue je l'espère ».

En attendant, certaines des sept exploitations exclues se sont tournées vers la tomme, IGP qui a déposée récemment, avec la Raclette et l'emmental, une demande de reconnaissance en Appellation d'Origine Contrôlée.

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