Cinq ans après, quelle identité territoriale pour la "super région" Auvergne Rhône-Alpes ?

ENQUETE (2/3). Les auralpins se sentent-ils... auralpins ? A l'image de ses voisines (Occitanie, Nouvelle-Aquitaine, Grand Est, etc), Auvergne Rhône-Alpes a eu cinq ans pour se créer une nouvelle identité territoriale commune sur un territoire très diversifié, de la taille de l'Irlande. Qu'est devenu ce mastodonte de 8 millions d'habitants et 70.000 km2 ? Et surtout : a-t-il réussi à se forger une image et un destin collectif ?
Toute la différence entre une fusion et une addition pourrait aussi se résumer sur un terrain : celui de l'identité régionale, ou de ce que d'autres appellent la communauté d'intérêts. A ce titre, qui est Auvergne Rhône-Alpes, cinq ans après sa fusion ?
Toute la différence entre une fusion et une addition pourrait aussi se résumer sur un terrain : celui de l'identité régionale, ou de ce que d'autres appellent "la communauté d'intérêts". A ce titre, qui est Auvergne Rhône-Alpes, cinq ans après sa fusion ? (Crédits : Comité régional de développement touristique d'Auvergne, photographe: David FROBERT)

Depuis 2016, les régions françaises se sont profondément transformées, passant de 22 au nombre de 13, avec à la clé, une redéfinition profonde de leur périmètre géographique et de leurs compétences, issue de la loi du 7 août 2015, portant sur la Nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe).

Cinq ans plus tard, à l'aube d'un nouveau mandat régional, quel est le bilan de ces grandes opérations territoriales, qui visaient en premier lieu à bâtir de grandes ensembles plus solides, capables à la fois de simplifier l'organisation publique mais aussi, de soutenir la comparaison à l'échelle internationale, à l'image des Länders allemands ?

Avec, dès le départ, une exception française : quelles que soient les ambitions affichées, l'Etat français se sera pas allé jusqu'à donner, à ses nouvelles régions, la même latitude financière et politique que celle de ses voisins d'Outre-Rhin.

C'est le constat que posait d'ailleurs l'Institut Montaigne dans son dernier rapport sur les régions, publié début juin, relevant que ces nouveaux exécutifs n'auront été en effet dotés que d'une « infime fraction des moyens » en comparaison des Länder allemands.

C'est aussi le cas en Auvergne Rhône-Alpes, où la grande région, si elle en impose désormais par ses chiffres, ne dispose « que » d'un budget annuel de 3,851 milliards d'euros en 2020 (4,2 milliards en 2018). Contre 26 milliards d'euros pour des régions voisines comme la Lombardie (Italie) en 2018, ou même 38,6 milliards pour la Bavière (Allemagne).

« Les données des pays comparés démontrent clairement que la France est le pays européen où la dépense publique décentralisée est de loin la plus faible », notait à ce sujet un rapport édité par Régions de France en 2018.

Pour autant, la nouvelle région issue du redécoupage de 2016 a pu bénéficier d'une forme de puissance économique renouvelée. Puisque désormais, Auvergne Rhône-Alpes se pose en effet comme la 1ère région industrielle de France, mais aussi la seconde région française sur le terrain de l'innovation (avec 7 milliards consacrés à la R&D), de l'export (avec le nombre le plus élevé d'entreprises exportatrices de biens) ou encore du tourisme.

Face à la volonté de se positionner en Europe, c'est désormais chose faite ou presque, puisque son PIB régional de 270 milliards d'euros (contre 220 millions en 2016) lui permet de figurer parmi le top 5 des régions européennes (sur la base des régions issues de la nomenclature Eurostat, hors länder allemands).

Cette "petite France" qui confronte les régions d'Europe

Une image jugée attractive par une grande partie des acteurs socioéconomiques de la région, pour lesquels l'échelon régional est désormais devenu une référence, voire même un nouveau moyen de se définir.

Jean-Luc Raunicher, président du Medef Auvergne Rhône-Alpes, estime qu'en rassemblant les deux territoires, la nouvelle Région s'est ainsi dotée « d'un poids économique bien supérieur » même si elle demeure aujourd'hui « très hétérogène. »

« Dans le cas présent, c'est une fusion avec un effet multiplicateur, où 1 + 1 font trois. Cela a notamment permis de dépasser les frontières administratives des deux anciennes régions, et de faire travailler davantage les entreprises ensemble, en se découvrant une communauté de vues et d'intérêts progressivement. Nous sommes aussi mieux identifiés à l'international, par les autres régions européennes ».

Seul petit bémol sur le terrain économique : l'INSEE notait que cette « fusion » avait surtout consisté en une addition des principaux indicateurs régionaux :

« Pour l'instant, on observe que cette opération en elle-même n'a pas bouleversé les dynamiques de fond propres à chaque territoire, comme la croissance de la population, l'emploi, le PIB, etc, qui se jouent plutôt à des échelles plus petites comme les départements », indiquait Stephan Challier, directeur adjoint de l'INSEE Auvergne Rhône-Alpes.

« Ce qui s'est produit a plutôt été de l'ordre de l'addition des forces, plutôt que d'une fusion à proprement parler », abonde Antoine Quadrini, président du Ceser Auvergne-Rhône-Alpes. « Cela a permis à la nouvelle région de bénéficier de toute la diversité et la richesse de ces secteurs clés pour l'économie ».

Auvergne Rhône-Alpes, qui es-tu vraiment ?

Car toute la différence entre une fusion et une addition pourrait aussi se résumer sur un autre terrain : celui de l'identité régionale, ou de ce que d'autres appellent "la communauté d'intérêts".

Car si la fusion "ne se décrète pas" comme plusieurs acteurs l'ont déjà évoqué par le passé, c'est d'autant plus vrai sur le plan de l'identité. D'ailleurs, très tôt, les décideurs en charge de ce dossier n'avaient qu'une idée en tête : ne pas braquer les habitants de l'ex-Auvergne ni de l'ex-Rhône-Alpes, qui ne souhaitaient pas se retrouver dans une grande région, les éloignant encore un peu plus des centres de décision.

Résultat ? A l'image de ses voisines, la question de l'identité commune d'Auvergne Rhône-Alpes demeure en partie en suspens, pas complètement achevée.

« L'un des objectifs concrets de cette fusion était bien que tout ceux qui y vivent puissent se sentir d'une même région, et c'était loin d'être gagné au départ », résume Antoine Quadrini.

Bien qu'il note qu'une « une confiance rapide s'est installée, portée par l'ensemble des organisations patronales, syndicales, et associatives, qui ont eux-mêmes pris le virage, faisant que l'addition des forces s'est faite plus rapidement que prévu », il concède que dans les faits, « bâtir une communauté de destin est quelque chose de plus ambitieux ».

Les acteurs socioéconomiques de l'ex-Auvergne ne se semblent en effet toujours pas avoir endossé leur manteau « d'auralpins ». Tandis que du côté de l'ex-Rhône-Alpes, même s'il ne semble pas de bon ton de l'afficher ouvertement, rares sont ceux qui utilisent le terme d'auralpins pour se décrire.

En coulisses, plusieurs acteurs concèdent que l'identité régionale n'est « pas encore complètement construite », et qu'il faudra du temps.

Mais le plus étonnant réside peut-être encore dans l'absence de travaux académiques relatifs justement à l'évaluation de cette fusion, et à son acceptation par les habitants. Comme si l'épisode était encore trop "frais" pour être digéré :

« Aucune étude n'a été lancée sur le sujet, ce qui signifie sans doute une absence de financements en amont pour répondre à cette question, pourtant essentielle, de l'impact des fusions de régions sur le développement économique », nous glisse notamment une chercheuse.

Peut-être aussi parce que le sujet des territoires reste sensible : Dominique Pella, délégué régional INSERM Rhône-Alpes Auvergne et président du groupe de travail "Coopérations en matière de recherche" du Ceser, estime quant à lui :

« Que ce soit du côté d'Auvergne Rhône-Alpes ou de l'ex-Rhône-Alpes, certaines choses n'ont pas fondamentalement changé. À savoir que les habitants ont tendance à se sentir attachés plutôt à une notion de territoire plus petit, comme l'échelle de leur département ».

Benoît Meyronin, professeur en marketing territorial à Grenoble Ecole de Management et directeur de l'Institut ServiCité, évoque le même phénomène en pointant le fait que ces nouvelles grandes régions se sont construites sur des socles politiques voire géopolitique en vue de concurrencer les grandes régions européennes, mais pas nécessairement « historiques » ou « culturels ».

« C'est pourquoi, contrairement aux régions Occitanie ou Nouvelle Aquitaine par exemple qui pouvaient faire sens de par leur histoire, la fusion d'Auvergne Rhône-Alpes ne permet pas de dégager une logique évidente ».

Le sujet du nom, pas tout à fait tranché

Concrètement parlant, la construction de la nouvelle région aura dû cependant passer en Auvergne Rhône-Alpes comme ailleurs, par l'étape très concrète du choix du nom. Et déjà en 2016, la question s'était faite prégnante.

Si le choix ne s'est finalement pas porté sur la création d'un nouvel attribut (comme ses voisins d'Occitanie), l'identité de la Région Auvergne Rhône-Alpes a un temps laissé place à différentes tentatives et rétropédalages : sigle AURA, voire même ARA, puis Auralps pour certains... Avant que n'apparaisse, progressivement, le nom fusionné par des tirets, qui semble s'être imposé par défaut avec le temps : "Auvergne-Rhône-Alpes".

« Au moment du choix du nom, il existait la peur que le sentiment de perte l'emporte sur le gain pour les deux territoires, lors de la création d'un nouveau nom », traduit Antoine Quadrini.

Et force est de constater que le sujet n'est toujours pas complètement tranché. Avec d'un côté, certaines organisations qui utilisent le sigle raccourci AURA, d'autres s'y refusent par principe, arguant qu'il n'évoque pas grand-chose.

« Pour moi, seul le terme Auvergne-Rhône-Alpes incarne l'addition des forces. Il est aussi le seul à représenter, en dehors de nos frontières, des territoires qui ont déjà marqué l'imaginaire, comme l'Auvergne et son identité géographique, et c'est la même chose pour le Rhône et les Alpes », estime le président du Ceser.

« Finalement, Auvergne Rhône-Alpes fonctionne pas mal car cela reprend une réalité géographique de grands massifs, ainsi que d'un fleuve qui les structure voire les rassemble un peu, même s'il n'existe aucune histoire commune pour les rattacher », analyse de son côté Benoît Meyronin.

Même tendance du côté du président du Medef Jean-Luc Raunicher, qui estime que le nom Auvergne-Rhône-Alpes a l'avantage de présenter une meilleure résonance sur le plan international, avec des composantes « mondialement connues ». « Il n'est certes, pas facile de trouver un nom qui fasse consensus », ajoute-t-il.

Engager la réflexion des citoyens sur ce qui les rassemble

La région Auvergne Rhône-Alpes finira-t-elle par suivre le chemin de sa voisine PACA, qui s'est finalement trouvée, des années plus tard, un nouveau nom avec le titre de Région Sud, par un vote de son conseil régional en 2017 ?

« En PACA, une grande consultation a été lancée sur le web pour solliciter l'avis des citoyens et qu'ils proposent des noms, etc. Ce n'est pas quelque chose que l'on a connu en Auvergne Rhône-Alpes », ajoute Benoît Meyronin, qui note l'absence de réflexion plus poussée d'un point de vue marketing ou de l'identité territoriale.

Cependant, une chose semble certaine selon lui : « pour des raisons de commodité, il va falloir finir par normaliser et établir quel sigle sera utilisé, même si personne ne se vivra nécessairement comme un Auralpin. C'est d'ailleurs un peu la même chose dans le cas des Franciliens qui, pour la plupart, ne se définissent pas comme tels même si le terme existe. Cela n'empêche pas la conservation d'identités plus locales, comme les Auvergnats ou même les Bourbonnais ».

Officiellement, la Région de Laurent Wauquiez -qui n'a pas souhaité répondre à notre interview, en invoquant son droit de réserve sur ce sujet, au même titre que l'ensemble de ses institutions régionales-, semble avoir tranché pour Auvergne Rhône-Alples (sans tirets). Ce dernier n'aura cependant pas eu le loisir de nous expliquer ce que son équipe a tenté de mettre, derrière cette identité commune.

Première étape : s'affirmer d'abord face à l'extérieur ?

Lorsqu'on regarde le marketing territorial accompli par sa branche régionale Auvergne Rhône-Alpes Tourisme, on constate cependant que l'addition des forces en matière de tourisme semble déjà actée sur ce terrain.

Même si les identités locales, véhiculées par des branches départementales, comme l'Agence Savoie Mont Blanc (Deux Savoie), l'Isère (Isère Attractivité), la Drôme (La Drôme Tourisme) et bien entendu de l'Auvergne (Auvergne Destination) demeurent très présentes, et pas annihilées pour autant.

Pour Benoît Meyronin, « le dossier du tourisme était un bon parti pris car il s'agit d'un sujet très peu polémique, qui peut au contraire faire rapidement consensus. Mais il faudra probablement faire appel à d'autres leviers, comme celui de la culture par exemple, qui est aussi le socle d'une identité commune, et plus largement bâtir des projets emblématiques pour créer un vrai rayonnement régional ».

Des festivals de cinéma (Lumière à Lyon, Film d'animation à Annecy, Court métrage à Clermont Ferrand, etc) à la présence de pôles de production (Valence, Annecy, etc), grands équipements culturels et rencontres culturelles (Musilac, Jazz à Vienne, etc), « ce sont des sujets où la Région pourraient prendre toute sa place et impulser une véritable dynamique régionale », croît le professeur de marketing territorial.

Une chose est sûre : l'étape numéro 2 de la fusion sera probablement sur la table du prochain exécutif régional.

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