Véhicules autonomes : « le travers de Navya, c'est d'avoir oublié les débouchés à court terme »

ENTRETIEN. Le développeur et fabricant lyonnais de véhicules autonomes Navya, placé en redressement judiciaire au printemps dernier après plusieurs années noires, a été repris dans la foulée par les groupes Gaussin, spécialisé dans le matériel de levage, et Macnica, déjà distributeur des navettes en Asie. La marque, qui change de nom et devient aujourd’hui « Gama », voit sa stratégie réorientée vers les sites fermés (plateformes logistiques, ports, aéroports), tout en conservant la partie consacrée au transport de personnes. Son nouveau président-directeur général, Jean-Claude Bailly, jusqu’alors vice-président exécutif de Gaussin, détaille à La Tribune les nouveaux axes de développement de la société et ses pistes à court-terme.
Pour sa première représentation publique dans un salon, au Busworld de Bruxelles en octobre 2023, la nouvelle marque de véhicules autonomes Gama, anciennement Navya, affiche sa nouvelle identité. Jean-Claude Bailly, PDG de Gama.
Pour sa première représentation publique dans un salon, au Busworld de Bruxelles en octobre 2023, la nouvelle marque de véhicules autonomes Gama, anciennement Navya, affiche sa nouvelle identité. Jean-Claude Bailly, PDG de Gama. (Crédits : Gama)

LA TRIBUNE - Après de nombreuses déconvenues ces dernières années, Navya, rachetée au printemps par les groupes Gaussin et Macnica pour 5 millions d'euros, après avoir été placée en redressement judiciaire, semble à nouveau sortir la tête de l'eau. Quels sont les intérêts des deux groupes pour Navya et par où commencer ?

JEAN-CLAUDE BAILLY - C'est au moment du redressement judiciaire que Gaussin et Macnica ont décidé, ensemble, de faire une offre et de reprendre les actifs de la société Navya. Gaussin, acteur français des mobilités lourdes et propres pour les sites fermés, comme les ports, les aéroports, les sites industriels, possède aujourd'hui 51 % du capital. Et pour lui, il s'agit d'accélérer le développement des versions autonomes de ses plateformes. De son côté, Macnica, fabricant japonais de semi-conducteurs, distribuait déjà les navettes Navya au Japon et dans quelques pays asiatiques. Il possède aujourd'hui 49% de la nouvelle marque Gama, anciennement Navya, notamment pour renforcer le développement de son pôle Smart Mobility. Il y a des intérêts pour les deux groupes, Gaussin et Macnica, mais aussi pour Gama, qui est d'avoir des débouchés de court termes, de deux ordres : une unité commerciale plutôt « on road », sur le transport de passagers, et une autre, « off road », plutôt tournée vers toutes les activités logistiques.

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Quel est le niveau d'investissements dans Gama ? Comment la société se restructure-t-elle?

Au moment de l'arrivée au capital, nous avons repris la quasi-totalité des effectifs, qui s'élevaient à 149 personnes. Nous souhaitons désormais accélérer, en support au plan d'investissements de 10 millions d'euros, financé aux deux tiers par Macnica. Pour cela, nous avons lancé un plan de recrutement assez important, avec une cinquantaine de postes sur plusieurs sites dans l'idée de revenir à un effectif de 200 personnes à horizon 2025. Ils couvrent tous les métiers, en R&D, soit 75 % de nos effectifs, mais aussi des postes en finance, en commerce, en service-client, pour les sites de la Défense, ou encore de Villeurbanne. En revanche, nous n'avons pas repris l'unité de production de Vénissieux. Elle a été transférée dans les locaux de Metalliance, filiale de Gaussin, à Saint-Vallier (Saône-et-Loire). La production a repris, et nous recrutons aussi sur cette ligne. Enfin, nous avons toujours une filiale à Singapour, qui a été dernièrement renforcée.

Quelles ont été les erreurs de Navya ?

L'intérêt pour Gama, c'est d'étendre le spectre des débouchés, alors que Navya était plutôt concentrée vers celui des passagers. Un énorme effort avait d'ailleurs été fait sur l'atteinte du niveau 4, à savoir la conduite autonome sans chauffeur, avec une vision pour l'implémenter sur la route. Forcément, ces sujets sont plus difficiles, parce qu'il y a des réglementations et une homologation routière beaucoup plus complexes que dans des sites fermés. C'est d'ailleurs, un peu, ce qui avait amené Navya dans une impasse. Elle investissait énormément dans le développement, mais vers un débouché plus « long-termiste » qu'il fallait pouvoir supporter.

D'ailleurs, Navya devient aujourd'hui Gama. La marque lance une toute nouvelle identité, visuelle, sémantique... D'où vient-elle et pourquoi ce changement ?

Gama, c'est Gaussin Macnica Mobility, de son nom juridique. Nous avons un nouveau nom, un nouveau logo, dynamique, dont nous sommes assez fiers. Nous avons reçu de bons retours lors du salon Busworld, à Bruxelles, début octobre. Cela nous permet de relancer une dynamique autour d'un projet, un peu différent de celui que portait Navya. Mais soyons bien clairs : nous nous appuyons sur les forces de Navya. Gama n'est pas là pour l'effacer. Ses actifs sont extrêmement forts. C'était dommage de voir qu'une société, à la pointe de la technologie, puisse disparaître du marché.

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Sur quels aspects souhaitez-vous faire aujourd'hui la différence ?

Tous les clients de Gaussin nous disent, à terme, que l'activité de transport des semi-remorques dans les sites fermés deviendra autonome. Et ce, pour des raisons assez simples : cela professionnalise toute l'approche logistique à l'intérieur des grandes plateformes, mais c'est aussi un gain d'efficacité, notamment dans la distribution, les infrastructures portuaires et aéroportuaires. Mais lancer dix véhicules autonomes sur un site fermé n'est pas aisé : il faut les gérer, leur donner individuellement une mission. Chaque cas est différent.

Gama

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La conduite autonome doit répondre aux différentes législations, et c'est bien souvent ce qui complexifie les habilitations : qu'en est-il dans le secteur industriel et logistique ?

Dans ce cas précis, la législation est plutôt ouverte, mais ça ne veut pas dire qu'elle n'est pas complexe, notamment sur la partie « manœuvres ». En revanche, en termes de réglementation, la directive « machine » s'applique ici. C'est la même que pour les robots industriels. L'avantage, c'est que les sites sont fermés au public. Et dans ce cas, l'ensemble des personnes gravitant autour sont pleinement informées. Des procédures sont mises en place. Ce qui ne nous empêche pas d'avoir un niveau de sécurité extrêmement élevé.

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Quelles sont vos perspectives de développement sur ce marché B to B ? Des liens sont-ils déjà établis avec certains clients des deux actionnaires, dont de grands distributeurs ?

Gaussin a déployé des plateformes logistiques aujourd'hui matures auprès de quasiment tous les acteurs connus, comme Carrefour, Leroy Merlin, Ikea, partout en France et en Europe. Tous ces acteurs se professionnalisent. Il y a une forte demande de véhicules autonomes et, bien sûr, nous devons bénéficier de toutes ces relations client dans le groupe, en particulier sur la logistique et le portuaire.

Sur ce dernier, les véhicules Gaussin vont-ils devenir autonomes ?

Oui, notamment le tracteur logistique avec les deux véhicules ATM (38 t) et APM (75 t), qui sont constitués de la même base. Ce que nous développons sur le premier, nous pourrons aussi le réaliser sur l'autre. En revanche, les cas d'usage sont un peu différents.

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Travaillez-vous également sur la partie « navettes » pour du transport de passagers, en reprenant le portefeuille de Navya ? Ne faudrait-il pas revoir à la baisse le niveau d'autonomie des véhicules pour une meilleure viabilité au regard des législations en vigueur, mais aussi de la situation précédente de Navya ?

Nous avons conservé le travail sur l'atteinte du niveau d'autonomie 4. Nous avons relancé la production des petites navettes Evo, que nous avions déployées sous le nom d'Arma, à plus de 220 exemplaires dans le monde. Ce sujet est un premier axe stratégique à court terme. Par exemple, le Japon est très demandeur et a lancé un gros projet de développement de la conduite autonome dans les villes. Plus de cinquante d'entre elles veulent lancer des projets concrets. Nous avons aujourd'hui des débouchés courts termes pour cette navette, dès 2024 et 2025, sur la partie routière. Et nous continuons à travailler avec des partenaires comme Bluebus, du groupe Bolloré, pour aller plus loin et développer une navette de niveau 4 plus typée « bus ».

Quels sont vos autres débouchés à court terme justement ?

Il y en a plusieurs. Nous sommes en contact avec quasiment tous les pays européens, du Moyen-Orient, mais aussi avec les Etats-Unis. Lors du salon Busworld, nous avons reçu des demandes de plusieurs pays concernant ces navettes, pour un déploiement sur des sites fermés et relativement bien maîtrisés, où nous pouvons atteindre assez facilement le niveau 4 aujourd'hui. En revanche, sur route ouverte, le chemin est plus long, mais nous nous en approchons peu à peu. Le gros sujet concerne la réglementation. Et là-dessus, les pays asiatiques ont tendance à aller un peu plus vite.

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Quels sont vos objectifs de parts de marché ?

C'est relativement difficile à dire, il n'y a pas énormément d'acteurs dotés de ce niveau de maturité. Nous sommes positionnés sur un secteur qui se porte bien, dans le sens où ce sont des navettes ou des petits bus qui roulent doucement, et parcourent des distances relativement courtes. Nous espérons prendre une bonne part, et accélérer ce que Navya était déjà, à savoir l'un des leaders technologiques dans ce domaine.

Concrètement, en 2024, quel niveau de production et nombre de véhicules prévoyez-vous ?

Globalement, il faut voir les deux activités. Ne serait-ce que pour le Japon, à travers les projets gouvernementaux, nous sommes autour des 25 véhicules en 2024 et une cinquantaine en 2025. À cela, s'ajoutent tous les prospects qui sont en train de revenir vers nous.

Quels sont vos objectifs financiers pour l'année prochaine ?

Je ne peux pas vous les donner. Mais nous avons construit un business plan réaliste et réalisable. Nous pouvons toujours flamber dans les technologies futures, mais nous avons construit un plan de financement très clair, qui nous permet de travailler en toute sérénité.

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