L’école de ski Oxygène prête à se diversifier pour repenser l'avenir des stations

FOCUS. Il fait partie de ceux qui attentent la réouverture des remontées mécaniques avec impatience, même si une fois encore, cette perspective semble s'éloigner... Malgré une activité qui a chuté de 97% durant les fêtes de fin d’année, le cofondateur de l’école de ski indépendante Oxygène (300 moniteurs ; 12 massifs) envisage déjà l’été prochain sous le signe de la diversification de ses activités. Et veut voir, dans cette crise, une occasion de repenser l'économie de montagne.
L'école de ski Oxygène, qui se positionne sur parmi les compétiteurs de l'ESF, emploie près de 300 moniteurs habituellement chaque hiver. Cette année, seuls une quarantaine ont pu travailler durant les fêtes de fin d'année, tandis que son chiffre d'affaires a fondu de 97%.
L'école de ski Oxygène, qui se positionne sur parmi les compétiteurs de l'ESF, emploie près de 300 moniteurs habituellement chaque hiver. Cette année, seuls une quarantaine ont pu travailler durant les fêtes de fin d'année, tandis que son chiffre d'affaires a fondu de 97%. (Crédits : DR)

Comme ses confrères, il écoutera attentivement les annonces du gouvernement ce mercredi. Même si d'une certaine façon, le sort de la saison d'hiver 2020/2021 lui semble déjà scellé.

Bertrand de Monvallier, cofondateur de l'école de ski Oxygène en 1992 à la Plagne (Savoie), emploie chaque hiver plus de 300 moniteurs au sein de 12 stations situées dans les massifs de Savoie et Haute-Savoie. Il figure parmi les anciens de l'ESF, une institution du paysage français qui emploie elle-même 17.000 moniteurs, à avoir monté ensuite sa propre école de ski.

Alors qu'il délivre habituellement près de 100.000 heures de cours de ski collectifs et individuels à travers ses clubs (et jusqu'à 1.000 cours par jour durant certains pics), son activité a chuté de 97% sur la période des fêtes de fin d'année...

« En temps normal, nous proposons toute une gamme de cours collectifs tous niveaux pour enfants et adultes en ski et snowboard, ainsi qu'une gamme de cours privés ou individuels toutes disciplines alpines. Nous proposons notamment du ski alpin, du ski de randonnée, qui est la grande star de cette saison, ou encore du ski de fond, qui demeure quant à lui plus anecdotique », détaille Bertrand De Monvallier.

Mais cette année, la saison qui peut démarrer dès la mi-novembre sur certains massifs comme Val-Thorens (Savoie), ou plus largement début décembre pour le reste des domaines, n'a pas vraiment débuté, faute de remontées mécaniques mais aussi de touristes étrangers.

« Les stations de la Tarentaise fonctionnent avec 80 à 90 % de clientèle étrangère. C'est un peu moins le cas sur des massifs de Haute-Savoie comme Megève, qui demeure une station très francophone et parisienne, mais où l'on compte aussi des Suisses, ainsi que des touristes venant du Moyen-Orient ou du Brésil ».

D'autant plus que sur la saison 2020/2021, la clientèle britannique, qui représentai jusqu'ici également un vivier de skieurs important, sera aux abonnés absents à la fois en raison du Brexit, mais également de la nouvelle souche du Covid-19, qui affole l'Europe.

Les vacances de février, l'autre pierre angulaire

Comme pour le reste de la filière montagne, le chiffre d'affaires annuel de ses cours de ski (environ 10 millions d'euros enregistrés l'an dernier) dépend fortement de la période des vacances de Noël (25%) et des vacances de février (40%). « Nos stations de Savoie et Haute-Savoie peuvent bénéficier des vacances de Pâques début avril où la demande demeure généralement très forte, contrairement à d'autres massifs. C'est pourquoi nous avions d'ailleurs été plus impactés par le premier confinement que certains de nos voisins des Vosges ou du Jura », note le cofondateur d'Oxygène.

Résultat ? Ses moniteurs sont à l'arrêt depuis le 15 mars dans leur grande majorité, et ils bénéficient du fonds de solidarité, tandis que le reste de ses salariés (marketing, comptabilité, commerciaux, etc) ont été placé en activité partielle, entre 50 et 100 % en fonction des postes. L'école Oxygène emploie en effet habituellement 10 équivalents temps plein et une soixantaine de saisonniers, en plus de ses 300 moniteurs en hiver.

Depuis peu, elle pourra toutefois prétendre à une compensation d'une partie de ses pertes, à hauteur de 20 % de son chiffre d'affaires annuel dans un plafond de 200.000 euros pour le mois de décembre notamment. « Le site gouvernemental a ouvert ce début de semaine », précise Bertrand de Monvallier, qui avoue manquer encore de recul sur ce qui lui sera proposé.

Seule certitude : ouverture ou non des remontées mécaniques, il demeurera quant à lui ouvert, même pour une activité très limitée.

« Nous ne faisons pas uniquement ce métier pour gagner notre vie, il s'agit aussi d'une philosophie de vie. Nous avons proposé des activités de randonnée qui demeure l'une de nos spécialités à laquelle les moniteurs sont formés, ainsi que des cours de ski de fond ou des balades en raquettes », glisse Bertrand de Monvallier.

Et ce, même si le volume généré ne représente que 3% de son activité habituelle, tout au plus. « Cela nous a permis de faire travailler une quarantaine de moniteurs sur l'ensemble de nos stations, tout en assurant une présence et des cours pour les jeunes enfants », ajoute-t-il.

Repenser le modèle des stations

Pas question de s'avouer vaincu cependant. Il se prépare déjà à repenser le modèle de sa profession, et appelle ses confrères à se « saisir » de cette occasion pour innover.

« Le montagnard est comme le marin : il ne se lamente pas car il est habitué à affronter des conditions extrêmes », explique justifie de Monvallier.

A une exception près cependant, puisqu'il sait très bien qu'«aucune entreprise au monde ne peut durer sans client durant près d'un an, d'autant plus que nous avons des charges à supporter toute l'année, qui doivent être amorties en l'espace de quatre mois de saison ».

Malgré l'impératif économique et l'angoisse d'une saison blanche sur 2020/2021, le chef d'entreprise tente déjà de regarder plus loin : « Nous envisageons d'investir, pour la saison d'été prochaine, sur du matériel de VTT électrique, car nous pensons qu'il s'agit d'une piste intéressante pour développer le tourisme quatre saisons, et amener un autre public à découvrir la montagne, en assurant une meilleure accessibilité ».

Car il fait partie des voix qui estiment qu'un changement de modèle demeure possible, et pourrait être impulsé dès aujourd'hui. « Malgré la tragédie humaine qui se déroule face à nous, c'est peut-être une occasion qui nous est offerte de tout remettre à plat et de sortir par le haut et par l'innovation », croit-il.

Avec parmi ses pistes de réflexion, celle d'un autre développement et aménagement des espaces situés en altitude. « Jusqu'ici, nous étions dans une forme de fuite en avant, avec de grands opérateurs immobiliers qui souhaitaient construire et aménager toujours plus beau et grand, à travers différents montages fiscaux, et qui se désengagent des résidences au moment où il faut rénover pour reconstruire quelques mètres plus loin» . S'il concède que des établissements 5 étoiles demeurent nécessaires pour attirer une clientèle premium, « nous devons aussi revenir à plus de simplicité et penser à plus long terme ».

Avec ou sans le ski : l'équation délicate

Même chose sur le plan des activités hors ski alpin, qui ont connu un bel essor de fait cet hiver, bien que ni la fréquentation ni le volume n'auront permis de compenser les pertes à ce stade.

« Il est nécessaire que les acteurs de la montagne entament une réflexion profonde sur la fréquentation touristique des stations, car même si la raison d'être de la saison d'hiver demeure le ski, il est possible de pratiquer en montagne de nombreuses activités sportives et culturelles, que nous devons davantage mettre en valeur ».

Pour assurer la rentabilité économique des stations, Bertrand de Monvallier ne voit pas d'autre solution que de tendre vers un modèle basé sur « au moins huit mois d'ouverture à l'année », qui serait selon lui un gage pour amortir des infrastructures toujours plus chères et plus lourdes, sur une période plus longue. « À nous également d'imaginer une meilleure accessibilité pour les personnes à mobilité réduite ainsi que pour les personnes âgées, qui n'étaient jusqu'ici pas considérés comme des publics prioritaires ».

À sa propre échelle, le cofondateur de l'école de ski réfléchit donc à déployer de nouvelles activités estivales (VTT, sports d'eaux vives, etc), en investissant non seulement dans les équipements, mais aussi dans la formation de ses moniteurs de ski, afin de leur proposer « un métier en hiver et un métier en été », de manière plus pérenne.

« Nos moniteurs doivent aussi se saisir et comprendre les enjeux de la culture et de l'histoire locale, de la faune et de la flore car nous ne pouvons pas faire nos métiers en étant hors sol. Il faut que nous puissions leur proposer aussi un projet de vie ».

Reste à savoir comment des acteurs comme lui pourront concilier cette transformation de leur secteur, aux impératifs économiques en pleine période de pandémie. Les aides d'urgence à la filière, en premier lieu imaginées par le gouvernement, seront-elles suffisantes ? Et comment comblera-t-on les trous dans la raquette des professions qui n'entreront pas dans les cases ? Pour l'instant, il est trop tôt pour le dire. Car le gérant de l'école de ski Oxygène ne se leurre pas : « Pour nous, il n'y aura pas de véritable retour à la normale du volume d'activité avant 2022 ».

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